Gwawin Orcades (avatar)

Gwawin Orcades

Etudiant·e en philosophie

Abonné·e de Mediapart

23 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 mars 2019

Gwawin Orcades (avatar)

Gwawin Orcades

Etudiant·e en philosophie

Abonné·e de Mediapart

De la nécessité de la violence ? Réflexions sur le mouvement des Gilets jaunes

Comment penser la lutte, ses stratégies et sa finalité dans le mouvement des Gilets Jaunes ? Quelques réflexions suite à l'acte 20 que j'ai suivi de Châtelet jusqu'à Trocadéro.

Gwawin Orcades (avatar)

Gwawin Orcades

Etudiant·e en philosophie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Esquisse d'une opinion politique sur le vif.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que la manifestation s'est déroulé dans le calme, les tensions avec les forces de l'ordre n'ayant pas dépassé le stade des huées et de quelques jets de lacrymo en spray jusqu'à Trocadéro.
Non content d'avoir déclaré le trajet de manifestation, Sophie Tissier (brandissant un grand drapeau blanc, dont je ne sais trop s'il était symbole de paix ou de reddition) et sa petite garde rapprochée, postés en tête du cortège, se faisaient fort de désamorcer toute situation d'escalade potentielle par des appels incessant « au calme », vilipendant au passage « les casseurs » et appelant « les vrais gilets jaunes » à s'arrêter dès lors qu'un groupe de manifestant·es les dépassaient avec des intentions un peu trop ouvertement belliqueuses, ou même devant les tentatives de certain·es d'impulser un nouveau trajet de manifestation pour en finir avec cette interminable nasse mouvante dans laquelle nous évoluions. Las, ce verrouillage du cortège tint bon jusqu'à Trocadéro en dépit de l'agacement croissant d'une partie des manifestant·es. C'est que si « la violence ne fait que nous diviser » et qu'elle « ne résoud rien » (sic), Sophie Tissier divise visiblement encore plus, et résoud encore moins. A imposer des mots d'ordre si manifestement contraires aux tendances exprimées sur le vif par la plupart des manifestant·es (mots d'ordre suffisants pour en briser la dynamique cependant, notamment par l'hésitation qu'ils produisent lorsque l'on se rend compte qu'une partie du cortège, même minoritaire, s'arrête derrière nous) et à se poser en leader autoproclamé de fait en dépit de la tendance très horizontalisante qui règne autrement dans les cortèges de gilets jaunes, son attitude a de quoi énerver. Sans compter la division opérée entre « casseurs » et « vrais gilets jaunes » qui reprend les catégories d'analyses médiatiques et du pouvoir, quand il règne dans les faits une solidarité réelle, voir une connivence certaine, entre les manifestant·es sur toutes les formes de lutte. Il n'y a qu'à se rappeler la véritable « haie d'honneur » formée par les manifestant·es lors de la remontée des Champs par un groupe de black bloc, ou les « Révolution ! Révolution ! » scandés par l'ensemble du cortège devant le sac du Fouquet's et des boutiques adjacentes. Il n'y a pas que les universitaires à être « complices »...

On pourrait donc se demander, au vu de la situation, « qui donc veut la peau de la violence ? »

Conduisons une expérience de pensée, dans un futur pas si lointain : les manifestations du samedi durent maintenant depuis un an, sans débordements, et regroupent entre 100 000 et 250 000 manifestant·es qui font des petits trajets loin des lieux stratégiques, puisque c'est le seul parcours autorisé. Iels manifestent en vain : les principaux médias ont abandonné la couverture des rassemblements depuis belle lurette, faute d'y trouver les images sensasionnelles dont ils sont friants. Les invisibles sont redevenus invisibles, et inaudibles, pour longtemps. Si la côte de popularité d'Emmanuel Macron ne dépasse plus les 30% depuis des mois (quant à savoir pourquoi elle n'est pas inférieure à ce seuil alors que les instituts de sondage nous annoncent en permanence qu'elle n'en finit pas de baisser, c'est un vrai mystère) et que des journées épisodiques de grève paralysent certains secteurs, au premier rang desquels l'éducation nationale, les réformes s'enchaînent à un rythme soutenu et achèvent progressivement d'en finir avec toute idée de biens ou de services publics (c'est la fin de la res publica). La grève générale ne prends toujours pas, aidée en ceci par la désertion des directions syndicales de toute attitude de contestation trop ouvertement radicale, et appuyée par les partis électoralistes qui s'évertuent à transformer la colère jaune en bulletins de vote. Ayant renoncé à briguer un deuxième mandat en raison de la défaite cuisante de LREM aux européennes, Macron s'évertue à achever toutes les réformes libérales possibles avant le terme de son quinquennat. Les médias montent de toute pièce un « Macron bis », Glucksman, dont les positions « raisonnables » rassurent, à droite comme à... droite. En face, le RN n'a jamais été aussi haut. Libération titre « Faites ce que vous voulez, mais votez Glucksman » aux prochaines présidentielles. L'abstention promet d'exploser tous les reccords.

Evidemment, les choses peuvent se passer différemment : peut-être aurait-on un parti polique « Gilet jaune », qui regrouperait 10 à 15% de l'électorat, peut-être que les manifestations se seront interrompues, faute de résultats probants, avec les vacances d'été, encouragées en ceci par les quelques primes consenties par le gouvernement, qui permettent pour la première fois depuis une éternité à de nombreux ménages de se payer une quinzaine de jours de vacances. Dans tous les cas, « l'ordre républicain » cher à Castaner, est maintenu. Les apparences sont sauves. Les manifestant·es, sous contrôle, les éléments perturbateurs ou trop « radicaux » sont gérés par une instrumentalisation toujours plus croissante de la justice et des lois. L'entreprise France reste une vache laitière à flot, permettant aux grands patrons et aux actionnaires de s'enrichir toujours plus, malgré la grogne sociale, largement tue par les médias dominants. Tout n'est pas rose, mais tout est sous contrôle.
La violence permettrait-elle, seule, de transformer ce scénario en quelque chose d'autre ? Peut-être que non, peut-être que oui. Peut-être faut-il d'abord s'entendre sur ce que c'est que « la violence », et sur ses effets. Peut-être qu'on tente trop d'opposer « violence » et « pacifisme » comme si la violence était une valeur, et non un moyen, ou un effet qu'il n'est pas toujours possible de cerner avec des critères objectif. Il convient d'ailleurs de remarquer que la mention de la violence comme d'une valeur, dont l'usage par un individu viendrait traduire l'adoption d'un certain régime de pensée qui en ferait de facto un individu suspect (suspect d'être soit assujetti à ses passions, irrationnel, ou alors d'être une graîne de fasciste en herbe), n'est convoqué la plupart du temps que dans le cadre de la violence physique des manifestant·es. On n'interroge assez peu suivant ce prisme la violence des forces de l'ordre (même quand on la dénonce), pourtant beaucoup plus systématique, encore moins la violence symbolique ou structurelle de la société. On le pourrait bien, pourtant : cette violence structurelle n'alimente-elle pas une « guerre des classes » à laquelle on pourrait opposer le « pacifisme » d'une société qui en serait libérée ?

Faire de la violence une valeur, unanimement dénoncée de la droite à la gauche la plus extrême, dont on rappelle constamment qu'elle fût le moteur et le moyen des sociétées les plus inhumaines, fascistes, nazies, totalitarismes de toutes sortes, c'est aussi un moyen commode de s'assurer que l'ordre établi le reste, parce que toutes les autres manières de contester un peu radicalement le régime en place sont verrouillées par un appareil législatif, judiciaire et policier très efficace. Des ZAD aux militant·es de Green peace aux femens, on sait ce qui attend celleux qui contestent un peu trop fermement l'ordre établi. Et on sait avec quelle violence les reçoit celui-ci, par l'intermédiaire de ses agents, qu'iels soient juges ou forces de l'ordre, en passant par le mépris des médias. Employer la violence n'est jamais un problème pour l'Etat, ou la bourgeoisie, pas plus que ces deux-là ne lésinent sur les moyens employés pour la légitimer, voir même faire oublier que c'est de la violence. Après tout, les oppressions sont intrinsèquement violentes. Que la violence soit convoquée pour les maintenir en place, quelque soit sa nature, ne saurait constituer une surprise.
La réciproque est-elle vraie pour autant ? Peut-on identifier sans autre forme de procès « violence = oppression » ? Si la violence ne se résume ni à une valeur, ni à rendre compte de la présence d'une oppression, qu'est-elle ? On n'évacuera pas le problème en disant qu'elle n'est qu'un outil, un moyen. Ce serait verser dans une dichotomie assez caricaturale entre valeur et moyen, faisant du domaine des valeurs un régime théorique abstrait, et du domaine des moyens une sphère des faits qui ne dépend que de l'interprétation qu'on en donne.

Pour y voir plus clair, j'aimerais convoquer un instant une intervention de Besancenot à laquelle j'avais assité (meeting du NPA du 28 mars, auquel j'étais allé·e par curiosité). Il y convoquait deux éléments sans les mettre en lien, à ma grande surprise. D'un côté, la violence des blacks blocs, qui ne servait à rien d'autre, selon lui, que fournir au régime les images de casse dont il avait besoin pour durcir son arsenal répressif et effrayer les manifestant·es. De l'autre, la violence des policiers, peut-être pas très croyants en matière de violence « mais qu'est-ce qu'ils sont pratiquants ! ». Un bon mot, une analyse décevante. J'étais surpris·e qu'il ne mette pas en lien ces deux éléments autrement que comme des réalités adjacentes des manifestations et qu'il réduise l'impact des black blocs à des images spectaculaires de casse. Car, qui peut nier que c'est précisément suite à la montée de la répression policière (en 2016 avec les manifestations contre la « loi travail » notamment) que les cortèges de tête ont commencé à s'organiser et à se structurer en black blocs ? Qu'il y ait des raisons idéologiques, certainement, que le black bloc vise à plus que l'autodéfense, indubitablement, mais il est difficile de faire l'impasse sur cette raison là dans la genèse de ces mouvements. Difficile de dire qu'il ne sert qu'à casser quand il tente tout autant de protéger (y compris en forçant la concentration des forces de l'ordre à un point donné). Il suffit de se pencher sur l'évolution des manifestations des Gilets jaunes pour s'en convaincre, et voir avec quelle vitesse ce moyen d'action s'est développé (et s'est trouvé soutenu par une large majorité de manifestant·es) alors qu'il en était totalement absent à la base. On ne peut guère soutenir que c'est par « proximité idéologique » avec l'anarchisme, les autonomes ou les doctrines les plus contestataires qu'il s'est implémenté. Non, il s'est implémenté avec cette fulgurance parce que la répression policière a été inouïe, et a pris les gilets jaunes de la première heure de court, beaucoup étant novices en terme de manifestation. Ajoutons que les pacifistes les plus endurci·es résistent difficilement à la brutalité qui s'abat sur elleux semaines après semaines : « tendre l'autre joue » est un précepte auquel on réfléchit à deux fois quand le coup vous emporte un œil.
Si on ne peut pas évincer le lien causal entre la brutalité policière et l'organisation des Gilets jaunes en blocs, il serait faux de congédier toute influence idéologique. Les « aha, anti, anticapitalistes » sont désormais aussi souvent scandés que les « Macron démission » et « Ahou, ahou ! », preuve de la porosité et des militant·es et des idées entre une gauche radicale habituée des manifestations et les Gilets jaunes historiques. Cette évolution se traduit aussi dans les pratiques de lutte les plus virulentes, comme l'atteste l'acte 18 et sa scène la plus notable, le sac du Fouquet's. Si l'organisation et « la violence » des blacks blocs viennent donc se poser comme en écho à la violence policière, elles surviennent aussi dans un contexte de prise de conscience, disons « de classe » au sein de l'ensemble des Gilets jaunes, et cette violence s'adresse au système capitaliste plus général, là aussi comme en écho à sa violence structurelle et économique.
On pourrait se poser longuement la question de l'émergence de la violence « en écho » à une autre violence. On la résume d'ailleurs souvent par le précepte qui veut que « la violence appelle toujours la violence » et qu'elle serait donc une chose à éviter. Ironiquement, en utilisant cette maxime pour tenter d'y mettre un terme, on en conteste implicitement les prémisses : si la violence appelle toujours la violence, dans une nécessité implacable, à quoi bon tenter de l'empêcher ? Sinon à admettre que parfois, la violence n'appelle justement pas la violence. Encore faut-il savoir sous quelles modalités. On peut en distinguer deux : soit que l'on soit trop affaibli pour répliquer, soit que l'on s'y refuse. Ou bien que, parce que l'on est trop affaibli mais que l'on refuse de le laisser transparaître, on s'y refuse, et que l'on fasse alors passer ce refus pour un choix, quand il résulte en vérité d'une impossibilité. Qui peut savoir ?

Le succès des mobilisations sociales contre un régime en place est toujours dépendant, ultimement, du rapport de force et du contexte dans lequel il s'inscrit. Avec un gouvernement soucieux de sa reconduite électorale, notamment dans le cadre où il dépend d'un parti historique, de longues marches pacifiques qui regroupent suffisamment de manifestant·es peuvent avoir un impact notable. Les exemples récent avec la droite au pouvoir ne manquent pas. Preuve a posteriori s'il en est besoin, l'état de délabrement durable d'un Parti socialiste qui a nié les mobilisations de rue de son électorat de base pendant tout le quinquennat de François Hollande. Dans le cas d'un gouvernement constitué sur la base d'un parti fantoche, vitrine d'une bourgeoisie qui n'est jamais à court de remplaçant·es et bien décidée à mener ses réformes jusqu'au bout, le problème ne se pose pas de la même manière. Survient alors forcément dans notre “enquête” pour cerner la nature de « la violence », la question des fins que l'on souhaite atteindre.

Là encore, je ne trouve pas utile de convoquer des vues aussi binaires telles que « la fin justifie [ou ne justifie pas] les moyens ». Fin et moyens sont en relation, en interconnexion, et si on les sépare analytiquement c'est parfois au détriment de la visibilité de cette interpénétration en pratique. Parvenir à discerner ce qui sépare ou ne sépare pas fin et moyens en dehors de l'évidence (la fin est ce que l'on recherche et le moyen ce que l'on met en œuvre pour y parvenir), saisir combien les moyens alimentent les fins, combien la fin se détermine d'après les moyens, combien résultat et méthode se modifient et s'influence réciproquement, bref : ce n'est pas l'objet de notre propos. Admettons simplement que la relation entre ces deux termes est plus complexe que ce à quoi on se contente de la résumer habituellement. Partant de là, impossible de déterminer la fin sans se poser la question des moyens, et réciproquement.

Celleux qui entendent vouer les Gilets jaunes au pacifisme s'attachent selon moi mécaniquement à trois sortes de fins : l'échec pur et simple par K.O, par un gouvernement qui aura su gérer (plus que résister à) cette crise ; la satisfaction d'une partie de la population par l'octroi de concessions réelles ou symboliques sur le pouvoir d'achat et la démocratisation de la vie politique, qui auront tôt fait d'étouffer les irréductibles restant en diminuant suffisamment leur nombre ; la récupération électoraliste par un parti existant ou par une portion des Gilets jaunes elleux-mêmes constitués en parti, après des mois de résistance à l'idée de toute représentativité. Ou un mix de ses trois résultats, particulièrement les deux dernières options.

Devant l'absence d'une mobilisation suffisante des organisations syndicales et du reste de la population en faveur d'une grève générale, devant l'absence d'un parti suffisamment combatif avec le nombre de membres permettant de peser réellement vers une sortie non-électoraliste de la situation (à moins de soutenir la thèse que l'on peut changer par les institutions l'ensemble des problèmes soulevés par les Gilets jaunes – ce à quoi je ne crois pas – toute résolution électorale me semble synonyme de défaite), et attendu que les mobilisations sociales habituelles ne vont pas en augmentant au fil des semaines, ces trois fins me semblent être les seules auquel ouvre une mobilisation qui se refuse par principe à l'usage de la violence.

A quoi ouvrirait alors la possibilité de la violence ? La difficulté tient à ce qu'il faut entendre par « possibilité de la violence ». Est-ce sous sa forme des actes 2, 3 et 18 ? Avec des îlots combatifs peu définis, poreux, et le reste du cortège sympathisant ? Est-ce sous une autre forme ? On peut déjà observer ses effets sous cette forme, par les conséquences des actes évoqués : Macron prêt à être exfiltré en hélicoptère à l'acte 3, un haut lieu de la bourgeoisie qui brûle, comme une revanche symbolique, à l'acte 18, des barricades enflammées, « Paris en état de siège » et les forces de l'ordre dépassées momentanément. Le poids économique, également, qui se chiffre en centaines de millions d'euros qui partent en flamme. Evidemment, ces résultats sont lié à des facteurs multiples, et pas simplement à l'emploi « de la violence ». Le manque de préparation du dispositif policier, la cécité des décideur·euses sur la réalité de la colère, la surprise, plus généralement, y compris du côté des manifestant·es ignorantes de leur propre force.
Mais globalement, on ne peut pas nier que ces actes nous frappent et nous marquent durablement, comme s'ils nous emmenaient dans une dimension autre. Quelque chose d'une vérité ou d'un réel que tout le monde saisit intuitivement mais que l'on maintient caché, dilué, et qui s'exprime subitement, brutalement, brusquement sous nos yeux. Comme si tous·tes les acteur·rices ôtaient enfin leurs masques, et que les places réelles de chacun s'assumaient au grand jour. Les actes de grande violence sont ainsi de grands moments de vérité : vérité sur la nature du pouvoir, qui marche sur nos morts et pleure ses vitrines ou ses kiosques, vérité sur les forces de l'ordre, qui mutilent, tuent, tabassent. Vérité sur les manifestant·es, dont la violence s'exprime avant tout sur les biens, les lieux symboliques, et dont « l'horreur » qu'elle constitue chez les bourgeois masque la réalité de la retenue. La retenue ! On parle de surenchère de la violence, de manifestant·es « ultraviolent·es », mais on ne s'étonne justement pas assez de la retenue dans la violence de leur part. L'épithète le plus révélateur à ce sujet est bien celui de « casseur » : oui, justement, on s'en tient à de la casse. Donc des biens, du matériel. Leur violence, à elleux, ne fait-elle pas des morts par centaines ? Si vraiment la violence appelle la violence, on n'est jamais assez surpris de voir combien la violence des Gilets jaunes et des black blocs est disproportionnée (mais en négatif !) par rapport à la violence structurelle et policière, qui mutile, qui tue, qui blesse.

Quel perspective pour cette violence, hautement symbolique et retenue ? Ce que l'on a déjà constaté plus haut : elle destabilise. Elle force un positionnement qui dévoile au grand jour ce qui s'avançait masqué. Elle met suffisamment le régime en crise pour que de cette crise sorte des choses imprévues (et donc ingérables). Elle remplit un rôle à la fois de catalyseur, d'entretient et de développement d'une revanche qui débouche sur la possibilité d'un débordement plus vaste et plus général. Bref, elle nous amène « à y croire ». Parce qu'elle force à toujours plus de rigidité, elle rompt le « consensus mou de la social-démocratie molle » ; il n'y a qu'à voir les suites de l'acte 18, avec l'armée convoquée pour encadrer les lieux de manifestations interdits. L'armée, et un sursaut de mobilisation par protestation pour l'acte 19, alors que les médias prophétisait l'acte 18 comme le « chant du cygne » des Gilets jaunes. En parallèle, elle nous habitue aussi à des manifestations où sont pour une fois en jeu le devenir de notre société toute entière. Elle nous prépare à la riposte d'un système et d'une bourgeoisie qui n'hésitera pas (qui n'a jamais hésité) à tuer pour se sauvegarder, et à le justifier par tous les artifices rhétoriques possibles. Bref, si d'aventure c'est une révolution qui doit emporter ce régime, il n'y a peut-être bien que ces manifestations-là, véritables petits devenirs insurrectionnels, qui nous y préparent convenablement. C'est peut-être même eux, en poussant le régime dans ses retranchements, qui sont capables de la faire advenir du même coup. Si c'est bel et bien ce qui doit se produire, nous ferions mieux de nous y préparer et de libérer autant que d'accompagner ce qui demande à s'investir dans le réel, au lieu de le brider, de le neutraliser et de le congédier à nouveau par d'incessant appel « au calme » « à la mesure », « au pacifisme ».

La violence ne résoud rien. Mais c'est peut-être bien une des conditions de possibilité de toute résolution (a fortiori de toute révolution).
Violemment vôtre,

Jeanne Deaux.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.