Les artistes sont de plus en plus intéressés à communiquer plus avec le public, et le public de plus en plus en demande d’intermédiaires pour apprécier l’oeuvre. Que ce soit dans les musées avec des guides, audio-guides, ateliers, que dans les spectacles ou concerts, avec des actions culturelles, de pratique instrumentale, de pédagogie…
Ainsi on constate que la transmission est au coeur de beaucoup de pratiques artistiques aujourd’hui, et qu’elle est portée volontairement tant par les artistes que par les institutions.
En amont d’une conférence sur la « Médiation en musique », que j’appelle le « Concert Partagé » qui se tiendra le 15 janvier 2016 à 19h à la Maison de la Musique de Nanterre, il m’a semblé intéressant d’apporter un regard non pas universitaire ou sociologique sur la question (beaucoup d’études passionnantes et très bien documentées sont menées depuis quelques années).
Il s’agit d’apporter humblement le regard de l’artiste que je suis, une artiste militante, sur le territoire, qui oppose aux grands discours de politiques culturelles une réalité du terrain : action, partage, bienveillance, écoute, kilomètres, rencontre, regard, parole, savoirs, transmission, plaisir, jeu…
Publics
Depuis des années, comme beaucoup d'autres, je m’interroge sur les publics du spectacle vivant, en général, et du concert classique en particulier, puisque plus que jamais, la validation viendrait du chiffre de fréquentation.
Le concert classique est une forme qui a peu évolué depuis 200 ans, pour le plus grand plaisir de certains et pour le dépit des autres.
En effet, le rituel du concert classique est comme un grand chausson dans lequel on vient se lover quand on se rend à un concert, et en même temps, cet immobilisme, cette permanence de la forme a quelque chose d'agaçant, d'excluant.
Le concert classique ne serait-il qu’une grand-messe pour les initiés ? Ne serait-il donc qu’un musée vivant que l’on visiterait de temps en temps, comme un moment privilégié en immersion romantique ?
A l’heure de la démocratisation culturelle, on essaie donc de comprendre qui va au concert, qui n’y va pas, pourquoi, qu’est-ce qui fait qu’on va se sentir légitime ou pas à aller au concert, etc.…
On essaie aussi de s’interroger sur la forme (un peu) et de remettre en question les lieux du concert (bye bye shoebox).
J’entends souvent des personnes dire, « je n’y vais pas car je n’y connais rien, cela ne me concerne pas. » Je conçois tout à fait que le concert puisse être un moment un peu excluant, tant les rituels perdurent. Si ces rituels ne sont pas respectés (par exemple le silence, les applaudissements autorisés, les comportements policés), le regard réprobateur des spectateurs fait passer toute personne novice (qu’elle soit adulte, enfant, âgée, ou autre peu importe) pour mal-élevée, inférieure, et imbécile.
Cette sur-ritualisation est insupportable et en même temps, il est vrai que l’écoute d’un récital dans un silence total permet une immersion assez unique dans le monde de bruit permanent qui est le nôtre…
Entre-soi et démocratisation
Aussi, faisant partie moi-même de ce milieu musical depuis toujours, (et appréciant ce petit côté confortable et rassurant du rituel), je ressens que son entre-soi est tel qu’il confine parfois à l’étouffement, tant dans la salle que sur la scène.
Je défends donc que le concert de musique classique, ne doit pas être qu’une affaire de spécialistes.
Ce que je défends surtout, c’est que le concert est un moment de partage, il peut être ouvert, inclusif, et non pas un moyen de distinction particulière entre personnes qui auraient une position sociale, une connaissance ou des clés qu’ils auraient reçus en héritage, ou par la chance d’un environnement propice.
La démocratisation du concert a été un objet central depuis la renaissance, puis au siècle des Lumières. Le concert, dès lors qu’il sort du cadre du pouvoir politique ou religieux, doit être accessible à tout un chacun. C’était le postulat du Concert Spirituel par exemple.
Un concert classique serait donc pour moi comme une table autour de laquelle on se retrouve, quels que soient nos âges et nos connaissances, et sur laquelle on pourrait piocher à l’envi une nourriture soit très élaborée, soit très légère et directe, tout en gardant un soin particulier à la fraicheur et la qualité des ingrédients.
Pendant un repas, quelques règles communes sont intégrées, mais trop de cérémonial empêche de profiter pleinement des mets. De même, lors d’un concert, on peut observer quelques usages qui assurent la bonne réception des oeuvres, tout en ménageant des débordements nécessaires pour oxygéner le tout !
La médiation au concert classique
Pour faire court, on parle de médiation culturelle pour décrire tout élément qui permet la communication entre les personnes et un objet artistique quel qu’il soit.
Ainsi, les éléments en présence lors d’un concert peuvent tous être considérés comme « médiateurs »: les musiciens, le public, les lumières, les régisseurs, les salles de concert, le fauteuil dans lequel vous êtes assis…On ne va pas recevoir de la même façon un morceau joué assis dans un fauteuil moelleux avec une lumière chaude, que perché sur un banc éclairé au néon. Tout cela participe donc à la relation entre l’oeuvre et les personnes.
Pour resserrer la question, parlons ici de médiation en musique classique volontaire et directe. Cela vise donc à transformer le concert pour permettre une circulation d’éléments qui accompagnent l’écoute de la musique.
Comme ce mot de médiation est un terme en soi très complexe, j’ai appelé cette réflexion « Partager le concert ».
Partager le concert
On peut mettre en oeuvre plusieurs types de médiations en musique classique et nous allons essayer d’en explorer quelques-unes.
Médiation « Fable ». Cette médiation vise à aller chercher le programme de la musique, c’est à dire l’histoire, et la donner à entendre ou à voir pour éclairer l’écoute de façon originale et percutante. Cette médiation apporte aussi souvent des éléments d’interprétation que l’on peut moduler selon la cible de public. C’est une interprétation en soi et cela donne une lecture particulière à l'oeuvre qui permet d'accueillir dans la salle de concert un public qui a peut-être besoin qu’on lui parle de façon directe et décomplexée.
D’aucuns diront qu’ajouter un texte (ou des images) sur une musique qui n’en a pas à la base peut être dommageable, car cela dirigerait trop l’écoute ou la lecture par le spectateur. Toutefois, on peut opposer qu’une interprétation est justement intéressante, dès lors qu’elle pose un univers sur une oeuvre. Elle peut le faire en lui associant des tempi particuliers, une instrumentation nouvelle, et une mise en place particulière… Pour faire un parallèle, en arts plastiques, le thème d’une exposition, l’ordre des oeuvres et l’accrochage vont mettre en lumière une part précise d’une oeuvre, qui aura été voulue par le-la commissaire, parfois sans que l’artiste y ait lui/elle-même pensé.
Médiation « sensorielle ».
Elle va s’attacher à faire entrer le spectateur plus dans une ambiance, une émotion liée à la musique. Elle se passe de mots et ne vise pas à apporter d’information sur l’oeuvre, autre que la donner à entendre et voir d’une certaine façon. On peut choisir de faire apparaître le texte différemment, s’il y en a un, ou de mettre en avant des éléments d’écoute (construction harmonique, rythme, couleur) sans pour autant les expliquer.
Dramaturgie musicale
Il est intéressant à l'aune de mes expériences de voir que le travail sur la médiation est utile tout autant au public qu’aux artistes. En effet dans mes diverses tentatives, j’ai réalisé combien déplacer la lecture d’une oeuvre sur un autre plan que celui purement musical pouvait enrichir non seulement l’écoute pour le public, mais aussi l’interprétation pour les musiciens. Le travail de médiation peut s’apparenter alors à une forme de dramaturgie musicale.
La dramaturgie est le travail d’approche que l’on fait en théâtre avant de jouer une pièce. On va la regarder sous toutes ses coutures, dresser un portrait de l’oeuvre dans et hors de son contexte, et pouvoir ainsi l’interpréter librement.
Médiation « dramaturgique »
Les musiciens/musiciennes médiateurs/médiatrices, peuvent apporter une lecture plus structurelle à l’oeuvre en nous faisant entrer en quelque sorte dans un processus de défrichage de l’oeuvre. Ils partagent en quelque sorte leurs propres interrogations sur l’oeuvre.
« Comment est-ce que je me positionne par rapport à cette oeuvre? »
« Trouvons-nous difficile, plaisant, inspirant de la jouer ? »
« Pourquoi ? »
Lors de la préparation, à chaque question sur l’oeuvre, ils associent un exemple, un extrait, qui permet d’illustrer musicalement les réponses. Dans l’écriture de la médiation par la suite, on peut faire goûter au spectateur une forme de jeu qui reprend les éléments de cette discussion et intégrer les réponses dans le concert, ce qui fait que tout ce qui est dit est issu des ressentis et paroles des musicien-nes.
Là encore, il ressort de ce travail, que la médiation ouvre un espace de dialogue que n’ont pas toujours naturellement les interprètes dans un groupe, par manque de temps ou par attachement au matériau et à la technique musicale. Or, prendre ce temps d’échange permet d’oxygéner, et de libérer l’interprétation.
L’adresse. Ne pas faire « leçon ».
Le concert pédagogique. Ce concert est en général un ensemble, accompagné par une personne extérieure qui explique ce qui est joué.
On connait des émissions de télé grand public qui donnent des clés d’écoute aux auditeurs de façon plus ou moins réussie, plus ou moins grand show. On a l’impression que c’est très novateur, mais en fait cela existe depuis longtemps.
Leonard Bernstein (Concerts "Young person’s guide to the orchestra"), ou les tournées des Jeunesses Musicales de France dans les années 50, en sont quelques exemples. On a essayé depuis un demi-siècle d’infuser au concert des éléments pédagogiques, afin que le public ressorte en ayant « appris »quelque chose, en ayant reçu des clés qui lui permettent de mieux s’approprier l’oeuvre qu’ils entendent. Pour cela on va un peu déconstruire la musique avant de la jouer, faire entendre des extraits, et donner des notions musicologiques, dans des termes simplifiés. Il s’agit en quelque sorte de « vulgarisation ».
Lors de ces concerts, la question de l’adresse est centrale : à qui s’adresse-t-on ? Quelles notions semblent nécessaires à ce public pour mieux comprendre et apprécier ? Comment se positionner vis-à-vis de ce public ? Le danger de faire une « leçon » de musique est en effet important, et ce n’est pas nécessairement ce que le public va rechercher.
Cela peut aussi faire abonder l’idée que pour apprécier un concert, il faudrait être « sachant », ce qui est contre-productif.
Aujourd’hui beaucoup de notions sont trouvables en quelques clics sur internet, et l’enjeu de ces concerts est encore plus dans l’échange, dans la conversation entre le plateau et la salle, qu’une somme de connaissances que l’on déverserait sur le public.
Conclusion
Pour conclure, parler de médiation en musique classique, pour moi, de « Concert partagé », c’est autant réfléchir à l’artiste face à son public, qu’au discours sur l’oeuvre. C’est en quelque sorte renouveler le regard et l’attention à l’oeuvre, tant dans la salle que sur le plateau.
Le vendredi 15 janvier 2016 à 19h à la Maison de la Musique de Nanterre - Concert conférence : "Le concert partagé"
C’est surtout ouvrir la possibilité de l’évolution d’un moment unique, fort et irremplaçable : le concert de musique classique.