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Les politiques culturelles vues depuis le terrain par une metteure en scène, directrice de projets culturels, défenseure du droit culturel.

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Billet de blog 30 novembre 2015

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Vue depuis les petites structures culturelles - Impact des contrats Ville-Département

Contrat Ville-Département : subventions de fonctionnement aux structures culturelles... redistribution, réduction ou disparition ? Du développement culturel local au développement durable.

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Contrats de développement Ville-Département : késako

Les petites associations s'en rendent compte... Les dossiers de demande de subvention aux départements sont de moins en moins disponibles suite à la signature d'accords de développement entre les communes et les départements. Concrètement, c'est quoi tout ça ?

Après petite recherche sur le sujet, voici ce qu'il en ressort globalement : un contrat de développement Ville-Département est un accord sur 2 ou 3 ans signé de façon volontaire entre une ville (ou une communauté de communes) et un département. Ce contrat permet aux communes une visibilité tri-annuelle sur les financements qu'elles reçoivent du département sur les compétences sport, culture, petite enfance, manifestations, d'une part, et permet, d'autre part, au département de transférer aux communes la gestion des projets de toute taille, tout en gardant la main sur des projets de plus grande envergure : en bref, fini le saupoudrage, en route vers une efficacité renforcée pour les deux parties. Une équation à priori gagnante.

Les contrats de développement Ville-Département sont signés les uns après les autres depuis deux-trois ans, et les acteurs associatifs du terrain ressentent de plus en plus nettement les effets des transferts de ces compétences, notamment culturelles puisque c'est le secteur dont il est question dans cet article. Bien sûr, elles ressentaient déjà fortement les baisses généralisées de moyens de soutien aux structures, répercutées de façon très nette depuis deux ans, tout d'abord par une non-augmentation, puis par une baisse significative des aides. Aujourd'hui, elles doivent s'en remettre uniquement à leurs mairies pour l'octroi de ces aides, aussi réduites soient-elles.

Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ?

Le principe est donc le suivant : au lieu d'avoir plusieurs canaux de subventions territoriales de fonctionnement, il n'y en a plus qu'un, et il passe directement par les mairies. 

Patrick Devedjian, en avril 2013, s'en réjouit lors de la signature de Contrat Ville-Département à Antony (92) :  "L'objectif est à la fois de simplifier les procédures, de rendre plus lisible l’intervention financière du conseil général et de permettre aux communes de valoriser leurs grands projets."

Les maires s'en trouvent rassurés aussi, comme le souligne le 18 septembre 2015, monsieur Jean-Didier Berger, maire de Clamart (92) : "Dans le contexte actuel de baisse des dotations de l'Etat, c'est pour nous une aide très importante. (...) C'est aussi une aide qui nous donne de la visibilité..."

Cette évolution semble logique pour plusieurs raisons : tout d'abord, les mairies sont à mêmes de connaître les projets, les structures accompagnées ou à accompagner, et les besoins auxquels cela répond. Elle peuvent valoriser leur action sur leur territoire, avec une politique volontariste. Le département versera la totalité des montants aux villes, à charge pour elles de ventiler ensuite ces aides en fonction des besoins sur leur territoire, qu'ils soient pour la culture, l'éducation, les sports, etc... Soulignons le fait qu'une fois les aides versées aux communes, rien ne les empêche de préférer financer finalement un projet plutôt que l'autre ; un réel avantage pour les mairies.

Ensuite, pour le département, la simplification de ces mécanismes représente une économie considérable de fonctionnement des services (commissions simplifiées, moins de gestion de petits dossiers). Cela permet aussi de rendre plus lisible l'aide qu'il verse, et favorise la transparence des procédures.

Et pour les petites structures, sur le terrain ?

Comme tout changement de fonctionnement, surtout en ces périodes de disette, cela fait très peur aux acteurs associatifs.

Les subventions de fonctionnement sont très importantes à tous niveaux de budget. Certaines structures s'équilibrent réellement grâce à ce soutien, pour des actions qu'elles engagent sur un territoire, dans la proximité avec les personnes. 

Tous les ans depuis quelques années, les petites associations remplissent et documentent soigneusement plusieurs dossiers de demande de subvention de fonctionnement auprès du département et de la Ville. Elles détaillent leurs actions passées, présentes et à venir. 

N'avoir plus qu'un seul dossier à remplir est un rêve !! Finis les casse-têtes de dates limites, de budgets à ventiler de plusieurs façons différentes, de cases à remplir différemment selon les dossiers... De plus, être au plus près des mairies, qui connaissent très bien le travail de terrain que font ces structures est certainement une bonne chose. 

Mais aussi, malheureusement... finis les interlocuteurs différents, qui peuvent apporter des points de vue divergents qui s'enrichissent les uns les autres, fini le balancier qui pouvait garantir une certaine continuité, même en cas de changement de bord politique municipal et/ou départemental... En effet, les associations culturelles de terrain seront probablement plus ballotées au gré des changements d'équipes, avec des visibilités réduites sur les continuités des financements. Des élus fraichement arrivés aux commandes que ce soit dans les régions, les départements ou les villes, n'ont pas toujours l'expertise, ou la possibilité de bien s'entourer sur des questions aussi pointues que la culture, bien que l'on ait l'impression que tout un chacun peut avoir un avis tranchant sur celle-ci !! On peut se reporter par exemple sur les récentes déclarations glaçantes de la campagne du Front National, qui explique prévoir de faire un grand ménage dans les financements d'associations qui seraient trop politisées, ou encore se souvenir de la fin retentissante de la programmation du Forum du Blanc-Mesnil suite aux élections municipales en 2014 (cette salle, rebaptisée Théâtre 9, cessera d'ailleurs apparemment ses activités à compter de fin décembre 2015, par décision municipale). Une association étant politisée de fait, puisqu'elle est un lieu de militantisme et d'investissement personnel sur un point d'évolution ou de vigilance de la société, on voit bien le danger que cela représente.

Même au-delà des changements de couleur politique, la Culture, quand elle est vue de façon trop étroite ou par le petit bout de la lorgnette, passe vite au second voire au dernier plan ... En effet, comment lutter quand, en tant que simple citoyen, on doit choisir entre financer un projet sportif ou de petite enfance, au regard d'une action culturelle. La culture, domaine qui travaille sur le long terme, est bien moins populaire (on nous rabache même les oreilles qu'elle est élitiste), et de fait non consensuelle. Elle pourra vite être dépouillée au profit d'autres secteurs aux effets plus immédiats et rassembleurs...

Vigilance et état d'urgence.

Ce vocabulaire malheureusement actuel et volontairement alarmiste décrit une véritable réalité. 

Certains territoires ont la chance d'avoir pour le moment une bonne continuité et une vision politique cohérente au moyen ou long terme, mais d'autres, on le sait, sont moins stables, et risquent de ne pas nécessairement aller vers une meilleure gestion.

Ces changements de fonctionnement ne doivent pas cacher non plus la baisse généralisée des volumes de financements dans la Culture, qui se poursuit, malgré les annonces d'augmentation du budget du ministère de tutelle.

Les petites structures de terrain sont un liant essentiel dans le maillage culturel et le maintien d'une cohésion horizontale de notre société. Elles sont aussi celles qui permettent, en dehors des grosses structures publiques et privées, l'application d'un principe fondamental des droits de l'homme, mais que l'on a tendance à minimiser : le Droit Culturel.

Vers la fin de la culture de proximité comme mécanisme contre l'exclusion sociale ?

En cette période de COP21, il est important de souligner que "la Culture est la façon dont nous donnons un sens à notre vie, et dont nous comprenons notre environnement humain, naturel et construit." et "Le rôle de la culture dans le développement durable est crucial et dépend de l'assurance des droits culturels pour tous" (Farida Shaheed, rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des Droits Culturels).

Les structures culturelles de terrain sont au plus près des populations. Elles nourrissent les personnes, les quartiers, les villes, dans leur diversité, et ce, avec une économie fragile. Leur financement est nécessaire et salutaire.

Elles garantissent une irrigation des plus petits vaisseaux sanguins de notre grand corps sociétal. Leur nombre, leurs différentes tailles et axes d'approche des personnes permettent d'oxygéner les flux interculturels si importants dans ces périodes d'inquiétude identitaire et de violence sociale.

Le travail qu'elles fournissent n'est pas toujours visible à une grande échelle, et n'apporte pas le prestige immédiat des grands projets, qui peuvent flatter les égos des uns et des autres Elles sont toutefois le vecteur d'une cohérence du schéma corporel de notre société, qui se complexifie à l'heure où les populations sont de plus en plus mouvantes tout en restant attachées à leur identité culturelle.

Quels que soient les interlocuteurs, ne laissons pas tomber les petites structures associatives culturelles.

Au contraire, portons-les, valorisons-les, renforçons-les.

Exemples de Contrats de développement Ville-Département dans les Hauts de Seine  :

http://www.hauts-de-seine.fr/votre-collectivite/les-partenariats-avec-les-communes/les-contrats-de-developpement-departement-ville/un-dispositif-daide-aux-communes-sur-le-long-terme/

http://www.hauts-de-seine.fr/votre-collectivite/les-partenariats-avec-les-communes/les-contrats-de-developpement-departement-ville/la-politique-de-contractualisation-du-departement/

http://www.hauts-de-seine.fr/votre-collectivite/les-partenariats-avec-les-communes/les-contrats-de-developpement-departement-ville/de-nouveaux-enjeux-pour-le-departement/

http://www.hauts-de-seine.fr/votre-collectivite/les-partenariats-avec-les-communes/les-contrats-de-developpement-departement-ville/les-premiers-contrats-signes/

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