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Billet de blog 9 octobre 2019

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Biovertu et pérennisation durable. Europacity embauche Publicis pour son greenwashing

Pour répondre aux critiques écologistes, l’équipe d’Europacity s’est offert les services de Publicis Consultants. Le 4/10, la presse a été réunie dans cette agence de communication, recevant un communiqué en forme de cadavre exquis : de néologismes creux en pléonasmes obscurs, de promesses intenables en contradictions flagrantes, les défenseu.r.se.s d’Europacity ont bien du mal à se verdir...

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Europacity, un projet décrié par les écologistes

Europacity est un projet de méga-complexe commercial et touristique, que les groupes Auchan et Wanda ambitionnent de construire dans le triangle de Gonesse (Val d’Oise). À la place des 300 hectares de champs de maïs qui l’occupent actuellement, Europa City proposerait une industrie du loisir, entre centre commercial, parc d’attraction et zone d’activité : hôtels de luxe, boutiques et restaurants, bureaux, aquarium, salles de spectacle et piste de ski artificielle. Le tout spécialement desservi par une gare de la future ligne 17 du Grand Paris Express. C’est le plus gros investissement privé francilien (3,1 milliards d’euros) depuis Disneyland Paris. La gare, elle, sera financée par des fonds publics.

L’une des raisons pour lesquelles ce coûteux projet est contesté, c’est son caractère climaticide : énergivore, consumériste et générateur d’un important trafic, Europa City implique de plus la bétonisation et la destruction irréversible de ces rares terres franciliennes encore intactes, d’une haute fertilité et abritant une riche biodiversité. Le Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), qui a fait connaître ces enjeux environnementaux[1] et s’oppose depuis 2011 à Europacity, est aujourd’hui soutenu par la plupart des groupes et personnalités écologistes[2] ; le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, désormais chargé du dossier, l’a auditionné en juillet dernier.

Jusque là, les défenseu.r.se.s d’Europacity se référaient principalement à « l’emploi » et au « développement du territoire » pour justifier la bétonisation du triangle de Gonesse[3]. Mais, face à la prise au sérieux des arguments écologistes, et dans un contexte où leur popularité va croissante, les défenseu.r.se.s d’Europacity ont choisi de s’atteler à un exercice bien connu des multinationales sujettes à la critique ou au boycott : le greenwashing.

Greenwashing et communication

Parfois traduit par « éco-blanchiment », le greenwashing consiste, pour une organisation, à présenter un produit, un projet ou un programme politique comme contribuant à la préservation de l’environnement, sans pouvoir attester d’un engagement global, cohérent et transparent dans cette direction. Le greenwashing implique ainsi un travail de communication : pour présenter la valeur environnementale d’un produit, d’un projet ou d’un programme contesté, il faut l’entourer de symboles, d’images, de mots ou de textes. Des motifs fleuris, du vert, des mots-valise commençant par « bio » ou « éco », se terminant par « responsable », « durable » ou « éthique »… Les exemples abondent, plus ou moins aberrants[4]. L’association Les Amis de la Terre France décerne même un « prix Pinocchio » aux entreprises les moins crédibles dans leurs tentatives de verdissement d’image[5]. Au vu de ses derniers tracts, communiqués de presse et discours publics, le partenariat Europacity-Publicis Consultants mérite d’être nominé aux élections 2019.

Les « impacts positifs » revendiqués par Europacity : transferts d’impact, externalisation des pollutions et systèmes de compensation

Le 4 octobre, alors que commençait la marche de Gonesse à Matignon organisée par le CPTG, des défenseu.r.se.s d’Europacity[6] ont invité la presse (AFP, Le Monde, Le Parisien…) dans les locaux de Publicis Consultants, une agence de communication qui revendique « plusieurs expertises : relations médias, communication financière, affaires publiques, gestion de crise, identité, stratégie d’image et de contenus, communication de changement et marque employeur »[7], et qui compte parmi ses entreprises clientes la Société Générale, Coca-Cola, LVMH, Sanofi ou Disneyland Paris. À cette occasion, les journalistes ont reçu un communiqué de presse en forme de cadavre exquis : trois pages qui empilent, copient-collent et réassemblent ad nauseam des éléments épars du vocabulaire écologique. L'analyse de ce texte révèle cependant des formes de greenwashing précises : le transfert d'impacts, l'externalisation des pollutions et les système de compensation.

Europacity, selon la première page de ce document, sera la « 1ère destination de loisirs et culture éco et bio-vertueuse de l’ère de la transition écologique et solidaire », un « modèle d’aménagement durable, sobre, résilient, solidaire avec son territoire », « renforçant la pérennisation durable de l’agriculture autour du projet du Triangle » (sic), s’inscrivant dans la « ville durable » et l’ « économie circulaire ». À projet démesuré, ambitions démesurées, détaillées de façon plus ou moins concrète dans les pages suivantes. On apprend ainsi p.2 que, pour la deuxième fois, Europa City « annule définitivement sa piste de ski ». Ce, « au profit d’un agrandissement dédié au loisir (parc à thème et parc aquatique) et à des espaces inédits de formations sur les métiers touristiques et culturels ». Même si cette nouvelle promesse « définitive » venait à être tenue, on aurait donc là un simple transfert d’impacts : la substitution d’un type de pollution à un autre. Ainsi, à la place des canons à neige, remontées mécaniques et systèmes de refroidissement de l’air, on trouvera à Europacity davantage de piscines géantes, d’attractions énergivores, d’espèces aquatiques enfermées pour le spectacle.

De plus, cette ambition réaffirmée de développer le tourisme promet un accroissement du trafic aérien avoisinant, qui pollue déjà abondamment la zone[8]. Promettre, comme le fait ensuite ce communiqué, qu’Europa City sera un projet « zéro carbone », c’est traiter ce trafic comme une externalité. C’est aussi occulter le trafic routier nécessaire au chantier et à son approvisionnement régulier.

Quant à la promesse de « zéro artificialisation nette », elle repose sur un système de compensation qui n’est pas compatible avec les principes de l’écologie. En effet, l’écologie implique le respect des interdépendances et des équilibres biologiques présents dans un écosystème. Or les écosystèmes, contrairement aux mots, ne peuvent pas être copiés-collés : une forêt artificielle, par exemple, ne stocke pas le même taux de CO2, ni n’offre la même biodiversité et la même beauté, qu’une forêt centenaire. Au contraire, sa création perturbe les équilibres déjà existants et chasse les espèces endémiques. Le limon des terres de Gonesse, s’il venait à être détruit, le serait de façon irréversible ; la « recréation de 80 hectares d’espaces naturels et agricoles », la « plantation (…) de 4000 arbres » et « l’introduction de plusieurs espèces sauvages » promises ne constituent donc nullement une « compensation » pour cette qualité unique. Ce modèle de comptabilité de la nature, qui permet sa marchandisation[9], est étranger à la logique des écosystèmes. On ne peut les « recré(er) » après les avoir détruit. On ne peut que les remplacer, éventuellement, par de la nature domestiquée, comme un aquarium géant ou le « parc paysager » que promet un tract un tract diffusé le même jour par la mairie de Gonesse. Une nature domestiquée, et marchandisée : payante. De fait, la gratuité des loisirs et de la culture qu’offre la nature semble bien être ce qui dérange les défenseu.r.se.s d’Europa City.

Par-delà cultures et culture

À lire ce communiqué de presse, les espaces gratuits de promenade, d’activités de plein air, de découvertes biologiques et agronomiques, de convivialité et de beauté qu’offre sans compter la nature ne méritent pas d’être considérés comme des modes d’accès au « loisir » et à la « culture » - deux mots qui reviennent sans cesse dans ce texte. C’est d’autant plus étrange que les communicant.e.s qui l’ont rédigé s’évertuent par ailleurs à opposer loisir et commerce, promettant de renforcer les « espaces dédiés au loisir et à la culture par la réduction des surfaces commerciales », « sans hypermarché ». Or l’accès aux loisirs à Europacity sera payant. Il y aura par ailleurs des commerces : dans le tract diffusé par la mairie de Gonesse, des élu.e.s répètent qu’« Europacity n’est pas un centre commercial » tout en écrivant quelques lignes plus loin qu’on y trouvera « hôtels, restaurants, commerces ».

Derrière ces contradictions, un mépris réaffirmé de l’activité agricole, de ses savoirs, ses beautés, sa convivialité. Faut-il rappeler que le sens actuel que nous donnons au mot « culture » est directement tiré du modèle de l’agriculture, des cultures du sol ? Le mot « culture » vient du latin colere qui signifie « soigner », « faire croître ». C’est Cicéron qui a proposé de l’appliquer à la connaissance des sciences, des lettres et des arts : comme la production de nourriture implique du temps et du travail, que l’on appelle culture, ces connaissances impliquent de l’apprentissage, un travail sur soi qu’il associe à la philosophie et qu’il appelle « culture de l’âme »[10].

Cette opposition entre cultures et culture et ce mépris servent la prédation des espaces agricoles et de leurs externalités positives.

Derrière ces contradictions, une même logique, qui est celle qui relie capitalisme et crise environnementale : faire des bénéfices en privatisant les biens communs d’une part, en socialisant les nuisances et les pollutions d’autre part.

[1] Voir par exemple la page « Changement climatique – transition écologique » de leur site, à l’adresse : http://nonaeuropacity.com/category/informer/environnement

[2] À la marche organisée les 4 et 5 octobre par le CPTG, on pouvait ainsi croiser des membres de France Nature Environnement, Terre de liens, Europe Écologie-Les Verts, Greenpeace, Extinction Rebellion, Youth for Climate, Nous voulons des coquelicots, la Confédération paysanne… Delphine Batho, Yannick Jadot, Danielle Simmonet, Julien Bayou ou encore Raphaël Glucksmann y ont pris la parole pour exprimer leur soutien. La commission départementale de préservation des espaces naturels et Nicolas Hulot sont également opposés à Europacity. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé (à la requête du rapporteur public) le plan local d’urbanisme de Gonesse pour les motifs suivants : information insuffisante du public sur les impacts environnementaux du projet, consommation excessive de terres agricoles, non prise en compte de l’offre commerciale existante. Malgré cette incertitude quant à l'avenir d'Europacity, les travaux de la gare ont commencé sur le triangle...

[3] Arguments également contestés par les opposant.e.s à Europacity, parmi lesquel.le.s on trouve des fédérations locales et nationales de commerçant.e.s, qui soutiennent que les emplois promis par Europacity, en plus d’être surévalués en quantité, ne seraient pas créés mais déplacés : s’implantant dans une zone qui compte déjà trois centres commerciaux peu rentables (Oparinor, Paris Nord 2, Aéroville), le projet Europa City risque de détruire davantage d’emplois qu’il n’en créera, menaçant également les petits commerces de centre-ville. Beaucoup d’opposant.e.s questionnent par ailleurs la qualité de ces emplois en centres commerciaux, comparée à celle des emplois dans l’agriculture ou le commerce de proximité. Voir la page « commerce » du site du CPTG à l’adresse : http://nonaeuropacity.com/category/informer/environnement

[4] Mon préféré (pour l’instant) : la brioche « moelleuse et responsable » de Harry’s, agglomérat de blé, sucre et arômes vendu dans une épaisse pochette en plastique jetable.

[5] https://www.prix-pinocchio.org/qui-sommes-nous/

[6] Étaient notamment présent.e.s le président de la communauté d'agglomérations Roissy Pays de France, la présidente du comité départemental du Val d’Oise, le maire de Gonesse, le directeur général d'Alliages & Territoires, le fondateur et président de Creative, le président de la Chambre de l'artisanat, des sénateurs…

[7] Comme présenté sur leur site : http://www.publicis-consultants.fr/

[8] Le triangle de Gonesse, entouré des aéroports du Bourget et de Roissy-Charles de Gaulle, est survolé quotidiennement par 1500 avions. La lutte contre Europacity entre ainsi en convergence avec celle contre le T4 de Roissy-Charles de Gaulle et la privatisation d’ADP, qui visent une augmentation de 40% du trafic aérien.

[9] À ce sujet, voir notamment C. Bonneuil et S. Feydel, Prédation. Nature, le nouvel el dorado de la finance.

[10] Cicéron, Tusculanes, II, 13.

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