Les quatre sites industriels de la proche banlieue où sont déversés et "traités" la plupart des déchets de Paris sont actuellement tous inexploitables. Dans le contexte du mouvement social contre la réforme des retraites, ces sites gérés par le Syctom subissent des perturbations variées. Les stratégies des grévistes, qui varient selon les sites, s'appuient en effet sur les contraintes techniques et économiques d'un secteur industriel empêtré dans l'incinération, la mise en décharge et la casse sociale.
À l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (94), le personnel est en grève depuis le 6 mars, bloque et occupe le site jour et nuit. Avec un taux de grévistes oscillant entre 90 et 100%, une fosse presque vide et un four éteint depuis plus de deux semaines, le mouvement est bien parti pour battre son dernier record de blocage (23 jours). L'occupation est suivie et soutenue. Rien qu'aujourd'hui, un rassemblement interprofessionnel de la CGT est venu animer le site tout au long de la journée, tandis qu'une manifestation étudiante s'y était donné rendez-vous dans l'après midi. Des médias français et étrangers s'y relaient sans cesse.
À l'incinérateur d'Issy-les-Moulineaux (92), le personnel est en grève depuis le 7 mars, et filtre l'accès des camions-benne au site du petit matin jusqu'au soir, joyeusement soutenus par les klaxons des automobilistes. Les taux de grévistes tournent autour de 90% et le four est éteint, occasionnant depuis le début du mouvement l'arrêt de l'alimentation de la Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain, qui doit désormais chauffer la ville en brûlant du fioul et non plus des déchets. Un nombre réduit de camions peut entrer et décharger sur le site. De ce fait, la fosse se remplit si lentement qu'il n'est pas rentable de rallumer le four.
À Saint-Ouen (93), il se trouve que l'incinérateur a été mis en arrêt technique pour maintenance au moment même de la grève. Si l'activité d'accueil des camions-benne a repris le 20 mars, le four est toujours éteint. La fosse se remplit d'autant plus lentement que les camions sont filtrés, que le nombre de grévistes augmente et que des audits de sécurité sont encore en cours. Dans ces conditions, il n'est pas non plus envisageable de rallumer le four.
Restait, comme principal débouché en proche banlieue, le centre de transfert de déchets de Romainville (93). Là, les camions-benne publics et privés, bloqués aux incinérateurs, avaient pu décharger jusqu'au 19 mars. Les ordures ménagères et le tri y étaient stockés pêle-mêle, avant de partir par d'autres camions à la décharge Veolia de Claye-Souilly (77) pour y être enfouis. Le 20 mars au matin, une action de blocage du site a permis d'empêcher ce processus d'évacuation, et de renvoyer des camions-benne toujours remplis de déchets à leur garage.
Si le blocage a été levé le 21 en fin de matinée, suite à une intervention policière, le site est actuellement sursaturé : environ 3000 tonnes de déchets occupent une fosse prévue pour en accueillir 2000. L'intervention policière avait donc pour but de débloquer la situation, quoi qu'il en coûte : la révouverture du site a permis la reprise de l'activité de mise en décharge à Claye-Souilly, par le biais du sous-traitant Mauffrey, qui paye (à la mission et non à l'heure) des chauffeurs de poids lourds pour acheminer toutes ces ordures jusque dans le 77, pour enfouissement.
Syctom de romainville bloqué, rejoignez-nous ! pic.twitter.com/5gtpVkOAaU
— Jeanne Guien (culture POUB) (@CulturePoub) March 20, 2023
C'est ainsi que, sur chacun de ces sites, les grévistes du déchet, du transport et de l'énergie mettent en place des stratégies spécifiques, parvenant habilement à tirer un profit politique des faiblesses techniques et économiques de l'industrie du déchet. L'activité de cette industrie en région parisienne repose désormais sur des réquisitions et des interventions policières, sur un faible pourcentage de non-grévistes et sur la mise en décharge dans un site éloigné et déjà surpollué.
Ces réactions autoritaires et écocidaires à un mouvement social largement soutenu sont typiques d'une société où l'on produit, incite à consommer et revoit constamment à la baisse le statut des travailleur.ses du déchet, comme si tout cela était sans conséquence. La force des grévistes du déchet est de mettre ces conséquences sous nos yeux, sans fard.
La mobilisation des travailleur.ses du déchet s'étend bien au-delà de la région parisienne, immobilisant de nombreux incinérateurs français (Agen, Le Havre, Dunkerque, Couëron...). La créativité militante (dessins, graffitis, pancartes, autocollants...) et les techniques de lutte (renversement et feux de poubelles, liées par serre-flex) montrent bien que les grévistes du déchet sont justement considérés, à ce jour, comme l'avant-garde du mouvement social.

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Je remercie Ali Chaligui (CGT) et les autres grévistes du déchet qui ont bien voulu partager leurs informations et analyses avec moi.