C'était en Juin 2019... Cette fois-ci en décembre 2022, LFI est traversée par plusieurs problèmes en même temps, qui sont des problèmes de fond : la condamnation de Adrien Quatennens, l'accession de Manuel Bompard à la coordination nationale, au détriment (semblerait-il) de quelques vieux militants députés : Raquel Garrido, François Ruffin, Eric Cocquerel, Alexis Corbières, Clémentine Autain ... qui sembleraient exclus de l'instance de direction de LFI, sans considération non plus pour des requêtes récurrentes de la part de militants insoumis qui demandent "un peu plus" de démocratie.
Je me pose alors cette question : comment nous vient la compréhension d'une situation ? Comment la transformer ?
Il n'y a sûrement pas une voie unique et l'introspection n'y conduit pas toujours. Il me vient à ce moment quelques souvenirs très anciens, qui pourraient y avoir contribué.
J'ouvrais la porte d'une salle de cours où je devais effectuer mes premiers Travaux Dirigés, devant une vingtaine étudiants de la fac, à peine plus jeunes que moi. Ils étaient déjà là, à discuter entre eux par petits groupes. Un peu intimidé et très emprunté dans cette situation nouvelle pour moi, je me rapproche d'un des groupes et m'ose à lancer quelque chose du type :
- "bonjour … je vous propose qu'on commence à travailler".
Je croise alors quelques paires d'yeux, surpris … le gars qui était en train de parler à ses potes se retourne à peine et il lance :
- "Qu'est-ce qu'il veut ce con ? "...
Cette fois-ci, la vingtaine de paires d'yeux me fixent, un peu narquois... Ces regards me parlent, me disent qu'il est en train de se passer quelque chose, que quelque chose va s'instituer dans cet instant, dans cette situation, qui sera déterminant pour la suite...
Je me hasarde :
- "ce con, c'est ton prof de physique ... "
- "excusez-moi monsieur "
- "non non, pas la peine de t'excuser, et pas nécessaire non plus de me traiter de con... mais au passage tu peux continuer à me tutoyer ! "
Rassuré par les rires succédant à l'interrogation, je me demande par quel hasard on a parfois la bonne réaction, adéquate à la situation que l'on souhaite instaurer …
Rassuré mais pas de trop quand même et visiblement mal à l'aise. Je poursuis en suggérant un tour de table pour que chacun-e se présente à tour de rôle.
A mon tour, je me présente et j'explique que c'est la première fois que je fais des cours. Que je ne suis pas sûr de toujours savoir répondre correctement à leurs questions … mais que je m'engage à reprendre les explications la fois suivante quand ça sera nécessaire.
La suite de l'année se passa étonnamment bien.
Quelques années plus tard, je discutais avec le directeur de mon labo de recherche, un homme charmant au demeurant, qui me disait : "quand je fais un cours, j'ai besoin de me sentir sur un piédestal".
Je me dis alors que mes étudiants m'avaient appris une chose qu'il ne comprendrait peut-être jamais !!!
Ensuite, après un printemps assez chaud, le contexte avait changé...
Ce dont il était question n'était plus la gestion d'une "classe" mais d'un dispositif global, institué, avec des règles de transmission et de comportement qui étaient largement remises en cause. On faisait de la politique. Par bonheur, on avait réussi à constituer une équipe pluridisciplinaire d'enseignants militants, des copains et copines remarquables décidé-e-s à "ébranler" ce système. On avait constitué un Comité d'Action et une section d'enseignement dite "expérimentale", avec des étudiants volontaires pour s'engager dans cette voie... Contexte favorable donc à la remise en cause de l'idéologie dominante.
On faisait travailler les étudiant-e-s par groupes de 8 (regroupé-e-s un peu comme les militants lors des conventions citoyennes...) et les enseignant-e-s circulaient entre les groupes pour superviser l'activité, poser des questions, répondre aux questions...
Une collègue un jour est questionnée par un étudiant, qui écoute sa réponse … puis attend qu'elle se soit éloignée pour poser la même question à un autre enseignant ... qu'il ne savait pas être le mari de cette enseignante.
Situation intéressante s'il en est ... qui mit en scène différentes façon d'être assujettis à un imaginaire social. Le patriarcat, comme système, qui n'instaure pas forcément sa domination par une contrainte forte (enfin pas toujours et pas que...) de sorte que l'étudiant ne voit "aucun mal" ni "aucune anomalie" dans sa démarche.
Le tableau : l'étudiant-ballot, la collègue qui vit la situation comme une vexation, une agression presque, le mari qui reproduit malgré lui le schéma patriarcal « à sa façon » en intervenant en tant que défenseur de son épouse...
Et dans tout ça, il reste le rôle du "rieur", qui demande à l'étudiant : "quand la boulangère te tend une baguette, tu lui demandes d'appeler le boulanger pour savoir si c'est bien du pain au levain... ou tu la crois sur parole ? ".
C'est ainsi que nous sommes assujettis, de différentes façons, à un imaginaire institué dans la société. C'est une leçon ... Un travail est nécessaire pour gagner en autonomie, pour réaliser des choix personnels et de société qui ne seront jamais que des moments de liberté gagnés sur nos contraintes et nos contradictions.
Instaurer un autre imaginaire c'est transformer la société dans un processus de libération collective. Ce n'est pas encore gagné !.
Donc un mouvement de libération par l'action. Nous nous constituons citoyens dans l'action, c'est la fonction d'une assemblée constituante : sans l'action, nous ne sommes rien.
Mais pour que l'action se réalise en tant que processus de libération, encore faut-il qu'elle prenne du sens dans un processus conscientisé, réfléchi.
Toute action n'y conduit pas nécessairement, car le propre de l'imaginaire est de recouvrir le réel, en développant des idéologies parfois meurtrières et jamais anodines. Et l'imaginaire social recouvre la société dans son ensemble, malgré soi, et dès le plus jeune âge...
J'ai souvenir d'avoir laissé ma moto stationnée dans un quartier, une moto genre trial.
Au moment de la reprendre, je vois une bande de petits jeunes rassemblés autour. L'un d'eux m'interpelle: "allez, monsieur, tu démarres sur la roue arrière ? "
Des jeunes de 10 ou 12 ans donc, qui avaient parfaitement intégré la représentation phallique de la moto qui se cabre !!! Il n'y avait pas eu besoin qu'on leur explique.
Voilà donc quelques réflexions posées en vrac, qui illustrent l'institution imaginaire et la difficulté d'être.
Nous ne nous réduisons pas à des êtres de pure rationalité et pourtant une forme de connaissance rationnelle s'impose si nous souhaitons nous libérer.
Sans l'action nous ne sommes rien, sans une attitude réflexive et sans la possibilité d'un questionnement collectif et critique sur nos actions, nous sommes moins que rien.
Qu'est-ce donc alors un groupe politique sinon un groupe qui doit tendre (au moins tendre) à développer ces attitudes réflexives et de partage, pour trouver ensemble des solutions englobantes, faisant sens dans la société ?
Ce qui, de mon point de vue, impose des contraintes fortes quant à la structuration de notre mouvement et de notre pensée collective. Une pensée qui doit affronter la complexité, ne pas chercher à la dissoudre dans des simplifications abusives … ou dans une volonté d’avoir le dernier mot, d’avoir "finalement" raison, même quand on est "le vieux chef" (expression amicale sous ma plume), ou le plus jeune ou le plus éloquent … Mais partager toujours le désir de comprendre, d’argumenter, de convaincre, de reconnaître une place à chacune et chacun…
Au delà de ces généralités et de l'état d'esprit qu'a cherché à décrire ce papier, la structure doit avoir pour rôle de permettre les échanges dans tous les sens. De permettre des prises de décisions préparées par des réflexions, pouvant aboutir à des votes...
Sans organisation adéquate, un noyau de décisionnels pourra toujours donner l'illusion d'écouter la parole des militants.
Mais ça ne restera qu'une éphémère illusion.
Se rappeler encore la leçon de Condorcet :
La démocratie sans l'éducation populaire conduit à la dictature des imbéciles !
Je conclurai povisoirement par ces deux interviews de RAQUEL et d'ALEXIS qui donnent à réfléchir... en remerciant toutes celles et tous ceux qui oeuvrent pour le bien commun ! A ce stade, note HENDRIK, la mue n'est pas encore aboutie... "Je ne connais rien d’autre en politique que la discussion pour dépasser les moments de tension. Il faut fabriquer du commun. Il ne sert à rien d’avoir des phrases définitives à ce stade" ajoute ALEXIS .