« DEVOIR DE MEMOIRE »
par Jean-Claude Mayima-Mbemba
Chers compatriotes et amis,La semaine prochaine, le 8 février 2012, l’homme qui a ensanglanté tout le Congo-Brazzaville va être reçu par le président de la République Française, M. Nicolas Sarkozy, en marge d’une rencontre organisée par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui se tient à Bordeaux.Ceci étant, c’est certainement l’occasion de devoir rappeler au Président de la République Française les crimes commis par cet homme dans son pays, même si la France n’est pas étrangère à cette tragédie, même si l’intéressé est susceptible de rétorquer qu’il n’était pas au pouvoir au moment des faits. Cependant, l’action criminelle de ses prédécesseurs au Congo-Brazzaville n’est pas différente de celle que la France a menée récemment en République de Côte d’Ivoire.A cet effet, il convient de rappeler à la mémoire collective française et congolaise le livre de notre compatriote Calixte BANIAFOUNA qui retrace la tragédie, le calvaire et l’enfer vécus par les populations du sud Congo en général et du Pool en particulier et dont vous trouverez les références en dernière page de ce document.
La Nation a besoin de savoir, de connaître la vérité
Depuis le retour lugubre et macabre de M. Sassou Nguesso au pouvoir, en 1997, nous n’avons jamais cessé, au nom du Peuple congolais, de rappeler à tous ceux et celles qui ont déjà trahi ou à celles et ceux qui, demain, trahiront à leur tour la Mémoire Collective Nationale au nom de leurs « intérêts » égoïstes et particuliers, ce qui doit être fait avant tout autre initiative, si salvatrice soit-elle dans l'intérêt de notre pays.
Des accords divers de paix et/ou de cessation des hostilités, à maintes reprises, ont été signés ici ou là. Il se trouve, aux très grands et profonds regrets du peuple Congolais au nom duquel on les a signés, que ceux-ci n'ont jamais été respectés, appliqués, encore moins suivis d'effet.
Ce qui revient à dire que nous pouvons encore signer, aujourd'hui ou demain, d'autres accords de paix et/ou de gouvernement que ceux-ci, comme d'habitude, ne verront jamais le moindre début d'application. Nous sommes en face d'une certaine race d'individus qui est hors du commun.
Ce n'est pas parce qu'on aura paraphé quelques papiers pour divertir l'opinion internationale que tout ira pour le mieux au Congo.
Ce n'est pas parce qu'on aura pris des lois d'amnistie qui, elles-mêmes sont sélectives, que la paix sera revenue dans le pays.
Après la guerre conventionnelle, l'autre guerre est-elle finie pour autant ? Les armes de la faim, de la soif, de la privation de soins médicaux, de privation de la culture et du savoir, sont-elles remisées, enterrées, ont-elles cessées ? Y a-t-on mis fin ?
Nous sommes en 2012. Quinze (15) ans après la réinstallation au bout d’un canon de M. Sassou Nguesso à la tête de notre pays par la France, combien d'enfants suivent un cursus scolaire normal dans les régions sinistrées du Congo ? C'est donc que la guerre continue toujours, sous une autre forme. Celle-là, la communauté internationale ne la voit pas. Elle est incolore et inodore. Les ONG ont beau rédiger leurs rapports en direction de toutes les institutions internationales, on ne verra personne lever son petit doigt, parce que chaque jour qui se lève apporte d'autres priorités. Avant-hier, c'était le Rwanda. Hier, c'était le Kosovo, le Timor Oriental, la Côte d’Ivoire, etc. Aujourd'hui, c'est le Soudan, le Darfour, etc. Et demain ?
Les armes à feu se sont tues au Congo. Le pays n'est donc plus prioritaire. Encore faut-il prouver, démontrer qu'il a jamais été prioritaire. Le droit de véto de quelque pays européen a tout fait pour que le Congo ne devienne jamais une priorité. Au nom du black out colonial.
Le pays regorge de charniers et de fosses communes non identifiés, non répertoriés. Les familles qui ont perdu qui un ou des parents, qui un frère ou une sœur, un cousin, une nièce ou un neveu et autres membres de famille, ont-elles été recensées en vue d'une indemnisation, si modeste soit-elle ? Les sinistrés (survivants) qui ont eu des biens meubles et immeubles détruits ou pillés et qui ont tout perdu (maisons, élevages, commerces, etc.), ont-ils été recensés et indemnisés ?[1]
Autant de contentieux qui annulent et rendent caducs tous accords de paix, de gouvernement, de réconciliation nationale ou de quelle que nature que ce soit.
Or, en imposant à tout un peuple sa propre volonté, peut-être aussi dictée par des motivations très particulières, celles et ceux qui auront agi dans ce sens n'auront fait que conférer la sacralité de l'impunité.
Les problèmes de la culpabilité ou de l’innocence de l’individu, de la justice rendue à l’accusé et à la victime, est la seule chose qui compte. Tant que la justice ne sera pas passée et le Droit dit, alors rien n'aura été fait pour calmer les esprits.
Nous sommes donc invités à ne pas faire l’impasse sur les victimes et les réparations qui leur sont dues. Les victimes sont souvent l’honneur de la Société. On ne peut donc rendre hommage aux Résistants sans condamner les collaborateurs, c’est-à-dire les bourreaux et les commanditaires.
L’oubli alimente le ressentiment. C’est le contraire du pardon qui ne va pas sans l’aveu, avait déclaré le Cardinal Decourtray à propos de l'affaire Touvier, en France, en avril 1992.
La réparation, morale et matérielle, due aux victimes, réparation dont le possible repentir du coupable ne saurait dispenser, n’a pas eu lieu. C’est un peu comme si les victimes étaient une seconde fois niées dans leurs droits au respect et à la dignité, ou plus simplement encore à la vie.
Nous sommes entrés dans l’Histoire, celle qu’on a l’obligation d’écrire et que l’on doit tout d’abord à ceux qui en furent les acteurs. Car la Nation a besoin de connaître la vérité, sa propre Histoire. Dans le cas où l’impunité survient en hâte, et permet d’esquiver ce travail nécessaire, des pages entières du passé sont arrachées et l’identité est affectée[2].
En France, parce que le procès du régime de Vichy n’a pas vraiment eu lieu et que l’on a voulu oublier trop vite cette sombre période, sous prétexte de la réconciliation nationale, la justice a été promue comptable de l’Histoire et l’on a assisté à une dangereuse confusion entre la droite et la mémoire.
« (...) L’amnistie est un rendez-vous manqué de la mémoire nationale » (Henri Rousso, à propos des lois d’amnistie de 1951 en France).
Certes, il faut pardonner. Mais le pardon met à nu l’existence de la souffrance, de l’injustice. Il suppose une relation restaurée, transformée, entre victime et coupable, c’est pourquoi on peut dire que seule la victime est en droit, en position de pardonner.
Le pardon n’excuse rien, il libère la victime de l’obsession, de son tourment et du ressentiment, tandis que le coupable est appelé à se transformer après s’être repenti (s’il en est capable). C’est donc l’offensé qui prononce le pardon.
A ce propos, le Professeur René Rémond écrit d’ailleurs avec justesse :
- « Il n’y a de pardon authentique que dispensé par qui a été offensé ou maltraité et en réponse à un aveu sincère, accompagné d’un vrai repentir (...), sinon c’est confondre miséricorde divine avec le pardon d’homme à homme ».
Tout homme a droit à l’erreur et s’il agit avec intime conviction, sincère, cette attitude diminue sa culpabilité.
Erreur de jugement ou culpabilité de comportement ? Seule la Justice peut répondre, et il est inadmissible de s’y soustraire. Certains actes sont prescrits par le droit et la morale : ainsi la torture et les exécutions sommaires, la discrimination raciale, ethnique, clanique, les prises d’otages, les arrestations arbitraires et les emprisonnements sans jugements. Ce sont là des interdits.
Or, opter pour la sacralisation de l’impunité des tortionnaires, n’est-ce pas banaliser la torture ? En revanche, établir les faits et les responsabilités en toute vérité et justice consiste à semer les graines d’une éducation aux Droits de l’homme qui s’appuie sur la responsabilité individuelle et collective. Cette dernière n’innocentant pas la première.
Une fausse paix qui laisse couver sous la cendre les restes encore vifs d’une idéologie perverse est plus dangereuse que l’affrontement et la contradiction[3].
Ce message s’adresse à celles et ceux de l’intérieur comme de l’extérieur du Congo qui, mus par la cupidité séculaire qui les caractérise depuis la nuit des temps, s’arrogent le droit de tout s’approprier.
N’OUBLIONS JAMAIS QUE LES CRIMES DE SANG, LES CRIMES CONTRE L’HUMANITE, LES GENOCIDES, LES ASSASSINATS POLITIQUES SONT IMPRESCRIPTIBLES.
« DEVOIR DE MEMOIRE
CONGO-BRAZZAVILLE
(15 octobre 1997 – 31 décembre 1999)
Congo Démocratie
Volume 4 »
L’Harmattan, Paris, 2001
Quatrième de la couverture :
En deux ans (15 octobre 1997 – 31 décembre 1999), l’arrêt sur image permet de lire quelques chiffres suivants connus des organismes des droits de l’homme :- Nombre d’agresseurs angolais au Congo-Brazzaville : 3 500- Personnes tuées dans les régions sud du pays : 50 000- Personnes en danger de mort dans le Pool : 100 000- Personnes déplacées du Sud de Brazzaville : 250 000- Personnes réfugiées en RDC : 300 000- Personnes déplacées à l’intérieur à l’intérieur du pays : 810 000Au moment où ce bilan qui accompagne le retour au pouvoir des militaires suscite de nombreux débats, mêlant classe politique congolaise, classe politique française, société pétrolière Total/Fina/Elf, armées et mercenaires étrangers, explorer le « Devoir de mémoire » devient une nécessité.Rapport de pouvoir, intérêts économiques, manipulation des hommes politiques et des populations, personne ne sort grandi de cette histoire, y compris l’ONU. Car le destin du Congo-Brazzaville se joue actuellement sur l’incompréhension de vision entre l’ONU et la classe politique française, entre la classe politique française et la classe politique congolaise, entre la classe politique congolaise et le peuple congolais.Incompréhension due à une logique stupide : on condamne pour assassinat celui qui tue une personne au moment où l’on porte en héros celui qui fait massacrer des milliers ; on condamne, en lieu et place du criminel, pour offense ou diffamation, celui qui dénonce le crime ; on diabolise celui qui dit la vérité pour faire appliquer la loi du plus riche et du plus fort.Par le canal de témoignages des victimes sur le terrain, des acteurs de la Résistance, de la FIDH, de Amnesty International, du CICR, du HCR, des MSF, des associations, de la FPF et des individualités, l’auteur expose les faits aujourd’hui, pour que demain, ils ne demeurent impunis.Calixte BANIAFOUNA est auteur de plusieurs ouvrages d’analyse politique et économique sur le Congo-Brazzaville et l’Afrique. On peut donc citer, entre autres :
- Congo Démocratie
Paris, Editions L’Harmattan
- Quelle Afrique dans la mondialisation économique, 1996
- Congo Démocratie
- Vers une éradication du terrorisme universelle ?, 2002
[1] Souvenons-nous qu’à la fin officielle de la guerre en octobre 1997, Sassou Nguesso avait ordonné à ses Cobras (milice privée) : « Je vous laisse carte blanche pendant cinq jours. Puisque je n’ai rien à vous donner, vous faites ce que vous voulez… ». Ce qui fut fait. Tous les quartiers sud de Brazzaville et toutes les régions Sud du pays, particulièrement celle du Pool, furent pillés, vandalisés, saccagés.
[2] Jean-Claude Mayima-Mbemba, Assassinats.politiques au Congo-Brazzaville. Rapport de la commission ad hoc « Assassinats » de la Conbférence Nationale Souveraine (25 février – 10 juin 1991), Tome I, ICES, Corbeil-Essonnes, 2004.
[3] Jean-Claude Mayima-Mbemba, op. cit.