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Billet de blog 16 décembre 2013

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Congo-Brazzaville : La guerre-coup d'Etat de 1997 ou le retour de Sassou

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout commence au cours d'un mois de mai 1997. Je parle de la calamité nationale. Des citoyens congolais sont assassinés à Owando pour une affaire de tipoye. Nous sommes le 9 mai 1997. Le Mbochi Sassou souhaite être transporté sur un tipoye par les Kouyou d'Owando. Mais le Mbochi Sassou sait que les Kouyou ne s'y plieront pas. Un scénario bien monté pour la suite des événements. Le prétexte pour...

L'on sait que dans les traditions ethno-tribales ancestrales Kouyou-Mbochi de nos compatriotes de la région de la Cuvette, cette exigence est considérée et regardée, aux yeux des Kouyou, comme un acte de soumission, de dénigrement et d'abaissement. Ce qui équivaut à un acte d'allégeance envers les Mbochi.

Devant le refus des Kouyou de se soumettre à cette humiliation, car pour eux c'en était une, un membre du convoi qui accompagne Sassou dans cette localité d'Owando ouvre le feu, tuant près de dix personnes. D'autres sources donnent le chiffre de douze tués.

Quelques jours plus tard, ne supportant pas l'affront qui leur est fait, la vindicte Mbochi contre les Kouyou suit son cours. Cette fois ça se passe à Oyo. D'autres Congolais, d'origine Kouyou, y sont assassinés, en guise de leçon. Est-ce une façon comme une autre de leur faire comprendre qu'un Kouyou n'est pas l’égal d’un Mbochi ? Qu'ils n'ont donc que le devoir d'obéissance et de soumission envers les Mbochi ?

Toujours au cours de ce mois de mai, en ma qualité de Représentant de l'Alliance URD-PCT et Apparentés (devenue entre temps URD-FDU) auprès de l’Union Européenne, au fait de ce qui se tramait, j'ai interpellé par courrier postal, courant mai 1997, M. Dominique de Villepin, alors Secrétaire général de l'Élysée. Ma lettre attend toujours une réponse. On peut donc y voir l'arrogance et le mépris. Mais sans doute vient-elle à pied. Il y a cinq cents kilomètres entre Paris et Strasbourg, la même distance entre Brazzaville et Pointe-Noire, une distance où, en France, les trains ne mettent plus que 2 h 20 minutes au lieu de quatre auparavant, et où là-bas, au Congo-Brazzaville, il faut une semaine pour la même distance, parfois plus, pour arriver à destination, dans l'un ou l'autre sens.

Bref, dans ma lettre de ce mois de mai 1997 à M. De Villepin, alors Secrétaire général de l'Élysée, j’écrivais : « (…) Telle que la situation se présente au Congo-Brazzaville, demain nous risquerons de ramasser des morts à la pelle... » (Fin de citation).

Hélas, je ne m'étais pas trompé. La suite est plus horrible et atroce qu'on ne pouvait l'imaginer. Pour preuve, l'existence de nombreux charniers et autres fosses communes non encore identifiés ni répertoriés, mais tenus secrets jusqu'à ce jour. Le peuple congolais et les familles des victimes ainsi suppliciées ont-ils le droit de savoir, connaître la vérité ? L’impunité doit-elle prendre le pas sur la transparence, le Droit, la justice ?

Un mort est inoffensif. Quand ou combien de temps faut-il encore attendre pour donner à ces malheureux compatriotes, victimes de la haine et de l'intolérance ethno-tribales, une sépulture digne de foi ? Les us et coutumes traditionnelles ancestrales commandent-elles l'humiliation du vivant jusque dans sa mort par assassinat ? La quête de la paix et de la réconciliation nationale doit-elle passer par ces ignominies-là ? Cette quête exige-t-elle l'impunité, l'oubli de tous ces crimes et l'effacement de ces charniers qui, pourtant, existent bel et bien ? Sans doute devons-nous attendre le feu vert de Paris, notre distributeur de pouvoir en Afrique, puisque toute accession au sommet de nos États découle de lui !

Préliminaires et signes avant-coureurs

Avant que la guerre commencée à Owando entre frères ethno-tribaux n'éclate au grand jour et ne se transporte à Brazzaville, à un moment où personne ne s'en doutait le moins du monde, le Bulletin Nord-Sud Exports, dans un article paru dans sa livraison de mai 1996, révélait que les Etats-Unis et la France auraient demandé aux deux protagonistes (Sassou et Lissouba) de limiter la guerre qu'ils devaient se livrer plus tard à la seule ville de Brazzaville et pas jusqu'à Pointe-Noire. Et pour cause !

Piège et prétexte pour déclencher la guerre

Au Congo-Kinshasa (RDC ex-Zaïre), la situation politique est très instable. L'Occident (États-Unis, Belgique, France), soucieux de la sécurité de ses ressortissants, dépêche en République du Congo-Brazzaville, des contingents armés dans le but de les exfiltrer, officiellement pour les évacuer, selon le terme consacré.

Aujourd'hui, du moins en Afrique, tout le monde sait ce que renferment exactement ces expressions. Prétexte ou pas pour justifier la suite, le non-dit ? Certainement, car jamais personne, sauf les commanditaires et leurs complices, ne le saura.

Advienne que pourra ! Le 5 juin 1997, les hostilités sont déclenchées. Mais, quelques jours avant l'attaque programmée, les contingents armés occidentaux, américains et belges, concertés ou pas, plient bagages, se retirent de Brazzaville. Ne reste que le contingent militaire français.

Ce jour-là, le 5 juin 1997, fort de son droit d'incarner, d'exercer et de faire respecter l'autorité de l'Etat, le gouvernement Lissouba, selon la version officielle, décide d'appréhender et mettre aux arrêts les auteurs des tueries d'Owando et Oyo. Les assassins présumés sont dans la résidence de Mpila de l'ex-président Sassou Nguesso.

Côté Sassou, on objecte : « Ce n'est pas pour arrêter quelqu'un qu'on m'a réveillé à 4 heures du matin. Les opérations de police obéissent à des règles précises qui n'ont pas été appliquées ici. Et qui a dit qu'Aboya et Engobo étaient chez moi ? Ils m'ont agressé et j'ai décidé de me défendre »[1].

Lissouba et son gouvernement savaient-ils qu'ils fonçaient, tête baissée, dans un piège tendu et mûri de longue date ? J'en doute fort, puisque certaines révélations venues plus tard, nous ont apporté la confirmation de nos doutes. Par exemple, M. Jean-François Probst qui, longtemps très proche de Jacques Foccart et de Jacques Chirac, à travers « Chirac, mon ami de trente ans »[2], nous éclaire sur ce qui s'était passé réellement et sur ce qui se tramait, pour leur plus grand malheur, sur le dos des Congolais, et sur la tragédie que devait connaître le pays. A ce sujet, il écrit :

(…) Jacques Foccart n'allait pas voir Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo, Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade. C'était eux qui venaient rue de Prony.

(…) A cette époque, Jacques Foccart m'avait confié pour mission de m'occuper de Denis Sassou Nguesso, le président du Congo-Brazzaville. « Est-ce que vous connaissez Sassou ? » m'avait-il demandé. J'avais connu le dictateur-président[3], alors marxiste-léniniste « pur » et dur, en 1982. Je lui avais rendu visite avec Jérôme Monod, à propos de la gestion des eaux de Brazzaville. Nous avions été reçus par un homme en costume gris, austère. J'avais pris connaissance de son dossier au Quai d'Orsay…

(…) Après une première « révolte des jeunes gens », Sassou et ses amis avaient amené au pouvoir un premier président marxiste orthodoxe, Marien Ngouabi. Et un an plus tard, ils l'avaient éliminé. Selon le dossier du Quai, Sassou avait été l'exécutant[4]. (…) Pendant toutes ces années, Denis Sassou Nguesso avait soutenu Chirac… A la suite de sa défaite à l'élection présidentielle de 1992, il était devenu un Africain en exil.

« Est-ce que vous lui donneriez un coup demain ? » m'a demandé Foccart. J'ai donc aidé l'ancien président à partir de la fin 1995 jusqu'à son retour au pouvoir en 1997.

(…) Il (Sassou) n'était pas interdit de séjour là-bas, mais ayant tenu le Congo d'une main de fer, il ne supportait guère l'idée de revenir dans un pays « démocratique »… Et puis, il avait pris des goûts de luxe, ce qui l'avait fait évoluer idéologiquement.

(…) En sous-main, Jacques Foccart ne lui avait pas retiré sa confiance. Au contraire. J'ai donc préparé son retour médiatique, en janvier 1997…

(…) Les élections ont donné l'occasion du coup d'Etat. L'histoire officielle dit que le président Lissouba a engagé un char contre la villa de Sassou, en réalité il s'agissait d'une provocation montée de toutes pièces par la milice Cobra. Sassou était de l'autre côté du fleuve Congo, avec des jumelles. Le président Lissouba (…) et sa directrice de cabinet, Claudine Munari, n'ont pas compris ce qui était en train de leur arriver et ils ont été renversés. En juillet 1997, la guerre a commencé. Les combats ont duré tout l'été. J'ai aidé le clan Sassou à revenir là-bas. Et je lui ai trouvé des armes au mois d'août 1997, après le décès de Jacques Foccart, à la demande de Pierre Oba, le ministre de l'Intérieur… Il fallait trouver de l'artillerie. Je n'ai jamais été marchand de canons, mais j'ai aiguillé Oba vers un spécialiste à Monaco. Et le président angolais José Eduardo Dos Santos a aidé Sassou à donner le dernier coup de reins…[5].

C'est un aveu, une signature. Incontestables. Mais les dénégations ne manquent pas malgré ces aveux, comme le refus de la repentance, par exemple.

Bref, pendant ce temps, que fait l'armée française restée à Brazzaville après le départ des contingents américain et belge ?[6]

Après l'évacuation des ressortissants occidentaux et autres étrangers de Kinshasa et de Brazzaville (version officielle), le contingent français se retire, laissant derrière lui un pays à feu et à sang, et abandonnant un peuple à son sort, à l’agonie, à la folie meurtrière d'un homme que la France, commanditaire des massacres humains qui s'ensuivirent, ne connaissait que trop bien[7]. Mais en prenant tout de même le soin de lui laisser son armement, toute sa logistique.

Au regard de ce qui précède, le reste, par exemple la situation en RDCongo-Kinshasa et l'évacuation des occidentaux provenant de Kinshasa, n'était donc qu'un prétexte, puisque la France n'a pas pris en charge les évacués de Brazzaville à partir de Kinshasa. Ceux qui suivent ce développement comprennent bien les enjeux commandés par la cupidité, l'avidité et la concussion au détriment et au grand mépris des vies humaines ainsi sacrifiées. Seulement voilà ! Bien que connaissant son homme lige quant à sa propension à la violence et aux crimes, Paris (la France) connaissait-elle les intentions profondes et les non-dits de l'homme qu'elle remettait au pouvoir au Congo-Brazzaville ? Nous pouvons répondre par l’affirmative, puisque dans ses mémoires posthumes publiés par Jeune Afrique (B.B.Y.), Foccart aurait confié à ses scribes « héritiers » que Sassou Nguesso était un homme dangereux et très rancunier, et qu'il doutait de ses capacité et volonté de rassemblement et de restauration de la paix et de la démocratie dans son pays.

Pour preuve, la demande de Sassou Nguesso adressée à Elf pour assassiner des opposants trop remuants et gênants[8].

Ceci confirme ce qu'avait déjà exprimé sur son lit d'hôpital à Paris, feu président Jacques Opangault, qui avait dit : « Tant que le petit au signe du diable sur le front sera toujours là, le Congo ne connaîtra jamais de paix, encore moins de réconciliation nationale »[9].

Jean-Claude Mayima-Mbemba

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N.B. :Si le président Lissouba n’a rien vu venir du complot qui se tramait contre lui et son régime, il est fort à parier que sa Directrice de Cabinet, Mme Munari, et son ministre de l’Intérieur, M. Martin Mberi, savaient ce qui se préparait et qui devait advenir. A bien y regarder, ils étaient les yeux et les oreilles de M. Sassou au sein du régime Lissouba. Si non, comment expliquer que M. Sassou les ait repris et nommés ministres dans ses gouvernements ? A chacun des Congolais d’y réfléchir.


[1] Jean-Pierre Makouta-Mboukou, La destruction de Brazzaville ou la démocratie guillotinée, L’Harmattan, Paris, 1999.

[2] Jean-François Probst, Chirac, mon ami de trente ans, Denoël, Paris, 2007, pp. 151-159.

[3] Au lieu de dictateur-président, M. Jean-François Probst aurait été mieux inspiré d’écrire : « Gouverneur Général Dictateur-Président » du Territoire Français du Moyen-Congo dit République du Congo.

[4]Pour plus de précisions sur l’assassinat du président Marien Ngouabi, Cf. Jean-Claude Mayima-Mbemba, Assassinats politiques au Congo-Brazzaville. Rapport de la Commission ad’hoc « Assassinats » de la Conférence Nationale Souveraine (25 février – 10 juin 1991). Tome 1, ICES, Corbeil-Essonnes, 2004

[5] Jean-François Probst, op. cit.

[6] Jean-Pierre Makouta-Mboukou et Jean-Claude Mayima-Mbemba, Les derniers massacres du Congo-Brazzaville, L’Harmattan, Paris, 1999.

[7] Cf. : Extrait du discours de Jacques Chirac à Luanda, le 30 juin 1998. Voir Chapitre XI ci-devant.

[8] François-Xavier Verschave, L’envers de la dette. Criminalité politique et économique au Congo-Brazzaville et en Angola, Agone, Marseille, 2001, p. 31.

[9] Propos tenu par le président Jacques Opangault sur son lit d’hôpital à Paris.

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