« Il faut mettre fin à l’impunité »
Interview du Général Emmanuel Ngouélondélé-Mongo
Dans l’interview exclusive qu’il nous a accordée à quelques mois de la tenue des élections législatives, le général Emmanuel Ngouélondélé-Mongo, président du Parti pour l’alternance démocratique, livre ses opinions sur plusieurs questions d’actualité, notamment son engagement politique, la gouvernance publique, le drame 4 mars, la présidentielle française, etc.
S’il considère qu’il ne faut pas se bercer d’illusions dans la redistribution des cartes à la tête de l’Etat français, son appréciation du fonctionnement des institutions nationales oscille entre critiques sans concession et une série de propositions.
L’ancien chef des services spéciaux se défend de nourrir quelques regrets ou frustrations personnels après, indique-t-il, « une carrière bien accomplie au service du Congo ».
A la tête du Parti pour l’alternance démocratique depuis quatre ans, Emmanuel Ngouélondélé-Mongo avait d’abord été, avec Raymond Damase Ngolo, général à la retraire des forces armées congolaises comme lui, l’un des fondateurs du Rassemblement pour la démocratie et la république, puis du Cercle républicain pour le nouvel ordre national. S’il n’a pu gagner les élections législatives dans la première circonscription de Gamboma où il fut candidat en 2002, il ne reste pas moins impliqué dans la vie politique nationale, se distinguant notamment par une critique sans concession de l’action publique.
Il revient à la charge dans l’interview exclusive qu’il a accordée aux Dépêches de Brazzaville et dans laquelle il parle des législatives à venir, du drame du 4 mars à Mpila, de la vie de son parti, de la présidentielle française ainsi que de la marche des institutions nationales.
Les Dépêches de Brazzaville : Engagé en politique depuis quelques années, vous êtes avant tout un officier général et ancien cher des services de renseignements du Congo. Quel regard portez-vous, aujourd’hui, sur le fonctionnement général de l’Etat et du gouvernement congolais ?
Emmanuel Ngouélondélé-Mongo : Il sied de rappeler qu’après la rupture, en 1991, avec 27 ans de parti unique et la restauration du pluralisme ainsi que de la démocratie dans notre pays, la Conférence nationale souveraine (CNS) avait balisé le chemin qui aurait pu nous amener à la réhabilitation des valeurs cardinales d’un Etat de droit, fondé sur l’équilibre des institutions, l’impartialité de l’administration publique, de la justice, le développement économique et le progrès socioculturel de toutes les filles et tous les fils du Congo. Malheureusement, nous avons tourné le dos à toutes ces recommandations de la CNS. Par les pratiques antisociales des dirigeants à tous les niveaux, l’Etat est aujourd’hui perçu par l’écrasante majorité de notre peuple comme un outil d’enrichissement personnel, de promotion sans mérite et surtout de tracasserie, de spoliation, d’injustice généralisée et de non protection pour les faibles. Ceux qui entourent le président au niveau des institutions de l’Etat n’osent pas, pour des intérêts matériels, dire des vérités sur ce qui se passe réellement dans le pays et sur ce que vit le peuple. Ils se contentent de profiter des faveurs institutionnelles qui leur sont faites avec la garantie qu’ils ne seront pas jugés aux résultats. Ils préfèrent encenser le président de la République en public et le vilipender en privé, chacun dans son petit milieu avec ses proches. Certains membres du gouvernement, assurés de l’impunité totale et surtout de l’inamovibilité à leurs postes au sommet de l’Etat, affichent avec arrogance et sans crainte de l’opinion, des comportements sociaux et un train de vie à la limite de l’insolence. Les forces armées congolaises se distinguent aujourd’hui par une indiscipline incroyable que j’ai tant de fois dénoncée et dont les conséquences n’ont pas tardé à se faire ressentir avec la catastrophe de Mpila, le 4 mars 2012.
LDB : Quelles sont, d’après vous, des solutions appropriées pour remettre en ordre les dysfonctionnements que vous décrivez ?
E.N-M. : La réhabilitation de l’autorité de l’Etat est la condition sine quo non du salut public, aujourd’hui. Quand il y a impunité, quand la justice n’est pas garantie à tous, quand la corruption gagne tous les réseaux publics et privés, il n’y a plus de possibilité pour garantir l’intérêt général et aucun programme ne peut mis en place, qu’il soit national ou initié par des organisations internationales. La première des solutions est donc le rétablissement de l’ordre. Et l’ordre passe par la sanction (la récompense de ceux qui ont mérité et la punition de ceux qui ont démérité). Il faut mettre fin à l’impunité de manière décisive et sans complaisance. Cela ne consiste pas à enlever un cadre d’un poste pour le renommer à un autre, comme s’il n’y avait plus d’autres Congolais capables d’apporter un sang nouveau dans la gestion de notre pays.
Le Congo, dans notre sous-région d’Afrique centrale, avait la réputation d’être une réserve de cadres compétents. Pendant des décennies, nos élites nationales ont été formées dans de meilleures écoles à l’étranger. Comment donc comprendre cette médiocrité qui a envahi nos services publics ? Quels sont les critères qui président au choix des cadres et à l’exercice des fonctions qui leur sont confiées ? D’ailleurs, certains Congolais ne cachent plus leur nostalgie pour la période coloniale en matière de gestion de la chose publique. Si le président estime qu’il ne peut plus trouver parmi les Congolais des cadres capables de bien faire, alors qu’il fasse venir des cadres étrangers, pourvue qu’ils soient intègres, compétents et surtout munis d’une forte expérience dans la gestion des affaires publiques. Les présidents Houphouët et Bongo y avaient souvent recours.
LDB : S’il vous était donné de parler de ces questions au président de la République, Denis Sassou N’Guesso, que lui diriez-vous ?
E.N-M : Je lui dirais que notre pays n’arrive pas à s’en sortir à cause de l’hypocrisie et de la mesquinerie qui minent les cadres autour de lui. Les ministres, les députés, les sénateurs, les directeurs généraux, etc., ne disent pas la vérité au président alors qu’en privé dans leurs familles, autour de leurs proches et à l’étranger où ils vont en séjour, ils sont bavards sur le fait que le pays ne va pas bien. Ces cadres qui sont devenus de simples courtisans en vue de la conservation de leurs postes ne peuvent plus être efficaces dans la gestion du service. Pour sortir le pays de cette impasse, le président de la République devrait éviter de s’enfermer dans sa famille politique et aller à l’écoute de tous les Congolais, de tous les vrais sages de toutes nos régions et surtout entendre les opposants et la société civile dont les points de vue sont souvent méprisés.
LDB : Vos détracteurs vous reprochent d’être trop critique à l’égard des institutions en place. Ils estiment que vous exprimez en tout quelques regrets personnels, peut-être même, une sorte de frustration. Que leur répondez-vous ?
E.N-M : Vous l’avez dit au début, j’ai été chez des services spéciaux de ce pays pendant douze ans et je suis général à la retraite. S’il y a quelqu’un qui n’a ni regret personnel ni frustration, c’est bien moi parce que j’ai derrière moi une carrière bien accomplie au service de mon pays. Comment donc après un tel parcours rester indifférent au déclin de notre pays ? Voilà la raison réelle de mon engagement politique, soit-il tardif. Si je n’ai pas à me plaindre sur le plan individuel, ce ne serait pas la même chose pour ce qui concerne le pays. Par rapport au pays, je dirais plutôt que oui, je suis préoccupé de laisser aux générations futures un Congo sans perspective aucune.
LDB : Un mot pour le drame du 4 mars…
E.N-M : Jusqu’au moment où je vous parle, les causes de ce drame ne sont pas encore élucidées. Une enquête est en cours dont les résultats sont attendus par le peuple. Cette fois-ci, le peuple n’acceptera pas que cette affaire passe sous silence. En tout état de cause, ce qui s’est passé à Mpila est la conséquence de plusieurs facteurs qui tirent leurs sources dans le dysfonctionnement de nos forces armées. Le président de la République a annoncé que depuis deux ans, la décision de la délocalisation des camps de Mpila avait été prise, le financement et le site trouvés, l’entreprise choisie. Alors pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? Face à un drame aussi cruel, il faut bien que les responsabilités collectives et individuelles soient établies et sanctionnées sans complaisance. Cette catastrophe du 4 mars 2012 a aussi révélé la triste réalité sur nos hôpitaux et nos services de secours civils et militaires. Plus aucun exercice de simulation sur les catastrophes n’existe dans notre armée. Il n’y avait pratiquement pas d’ambulances et de civières pour transporter les blessés… Les hôpitaux et la morgue ont été très vite dépassés.
LDB : Et sur la présidentielle française ?
E.N-M : Pour ce qui nous concerne, nous Africains, il ne faut pas se faire d’illusions car les élections françaises n’ont jamais occasionné des bouleversements majeurs dans les relations entre la France et l’Afrique. J’aurais souhaité que l’Afrique ait plus de place dans le débat de l’élection présidentielle française. Il nous revient de savoir nous faire respecter, quel que soit le président élu.
LDB : A Brazzaville, comme à l’extérieur du pays, on écoute de moins en moins parler de votre formation politique, le parti pour l’alternance démocratique (PAD). Qu’en est-il ?
E.N-M : Avant de répondre à votre question, j’aimerais rappeler à l’attention de vos lecteurs et de vous-même que la création de notre parti, le PAD, en mars 2008, a obéi à un souci majeur, celui de créer dans notre pays une formation politique nationale, en rupture avec une pratique antidémocratique des partis fondés sur un socle tribal, ethnique ou même familial pour certains. Dès son origine, le PAD est un parti dont les membres fondateurs sont venus d’horizons politiques et ethniques divers, animés d’une seule volonté, celle de se fondre dans une formation politique conduite par une direction unique.
Le PAD est donc né de la fusion de plusieurs partis et association politiques dont les responsables avaient transcendé leurs origines partisanes et ethniques afin d’unir leur combat pour l’alternance démocratique dans notre pays. Je suis donc fier d’avoir été élu par notre congrès constitutif, président d’un parti politique représentatif de toutes les composantes ethniques de notre élite nationale.
Après la campagne d’implantation de notre parti dans les départements en 2008, le PAD a mené ses activités dans le double objectif de former politiquement les militants et de renforcer le Front des partis de l’opposition en vue de créer un rapport de force en faveur de l’alternance démocratique dans notre pays. Si notre voix ne se fait pas entendre, c’est parce que la liberté d’expression n’est pas garantie par les médias d’Etat qui fonctionnent encore comme des outils de propagande du pouvoir. Les cadres de notre parti interviennent souvent dans la presse écrite mais combien de Congolais lisent des journaux ? La télévision et la radio sont les meilleurs vecteurs des idées politiques, malheureusement, les journalistes audiovisuels, quand ils ne sont pas soumis au pouvoir, sont plutôt motivés par l’argent que par le débat politique. Il faut donc payer cher un droit de passage sur un plateau de télévision ou de radio.
LDB : Seriez-vous en course pour les législatives à Gamboma ou soutiendrez-vous un autre candidat ? Quelle est votre opinion sur les querelles qu’entretiennent les cadres politiques de Gamboma entre eux ?
E.N-M : Comme tout parti qui se respecte, le PAD a une stratégie électorale bien ficelée. Il déploiera ses candidats au moment venu dans des circonscriptions qui auront été ciblées à cet effet par la commission d’investiture qui sera même mise en place. Ce ne sera pas moi Ngouélondélé de me prononcer seul sur celui qui représentera notre parti aux législatives à Gamboma même si j’en suis notable. Je m’alignerai sur la décision de notre parti. Je ne comprends pas ce que vous entendez par « les querelles des cadres politiques de Gamboma ». Tout suffrage ne se partage pas comme un gâteau, il se dispute, se conquiert. Faut-il appeler « querelles », le fait de s’apprêter à se disputer démocratiquement le même suffrage ? A mon avis, toute contradiction ou divergence entre des individualités ou partis différents postulant pour la candidature aux mêmes sièges de député n’est pas forcément une querelle de personnes. La compétition politique entre les cadres est une règle pour tous nos départements et districts. Gamboma n’est pas une exception.
LDB : Pour conclure…
E.N-M : A deux mois des élections législatives, il me paraît regrettable que l’esprit et les acquis du dialogue d’Ewo ne soient pas consolidés comme si on donnait tort à ceux de l’opposition qui y ont été. Je crois que le ministère de l’Intérieur a tout intérêt à garder le cap en évitant d’en saper les principes. L’Opposition, quant à elle, doit saisir cette opportunité pour établir une stratégie commune qui constituera un soubassement pour l’élection de 2016. Le peuple congolais a besoin d’ordre, de justice et de travail. Tout cela ne peut être possible qu’au bout de l’alternance démocratique dont notre parti s’est fait l’objectif.
Propos recueillis par Jean-Paul Pigasse et Gankama N’Siah
(Extrait de Les Dépêches de Brazzaville, n° 1487 – Mardi 8 mai 2012)