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Billet de blog 18 octobre 2014

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des pulsions . . à la raison

Non Philippe (Corcuff), ce n'est pas du "nationalisme" étriqué donc "imprudent". Nous sommes contraints "nécessairement" par une réalité anthropologique et politique irréductible, celle de donner un périmètre d'effectuation à ceux qui, rassemblés, feront "corps" pour faire l'expérience de leur souveraineté, l'affirmer et l'agir.

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Illustration 1
© jef safi

des affects . . aux concepts  photo (cc) jef safi / flickr 

Titres alternatifs : des affects . . aux concepts ; de l'imprudence . . à l'impudence ; du réticulaire . . au pyramidal ; . . etc. 

Extraits du fil des commentaires de l'article de Philippe Corcuff :  "Zemmour and co : les néo-cons' français et la tyrannie du "politiquement incorrect"



[...] Jef Safi :

. . Je viens de découvrir l'existence de la conférence-débat Friot/Lordon par le post de Jacques Deparis (encore merci à lui). On n'y apprend peu de choses nouvelles des thèses des deux intervenants, mais on y entend (en fin de séance, vers 1:10:00 et +) Frédéric Lordon expliquer en quoi, de son point de vue, la "nation" est un moyen et non une fin

. . Frédéric Lordon n'est pas un apôtre de ce recroquevillement réactionnaire, tu le penses, tu l'as déjà dit et répété, c'est un acteur qui observe qu'il est "nécessairement" contraint par une réalité anthropologique et politique irréductible, celle de donner un périmètre d'effectuation à ceux qui, rassemblés, veulent faire l'expérience de leur souveraineté pour l'affirmer et l'agir. Que ça en fasse un "facilitateur imprudent" de la réaction nationaliste est de ce point de vue un procès d'intention illégitime, abusif et même calomnieux. Ce n'est pas une "imprudence" parce que ce n'est pas un choix, c'est une contrainte.

. . Ce n'est pas non plus de la lordonolâtrie que de dire que c'est une question qu'il te pose :

. . Tu te sentiras égratigné, voire plus, par sa qualification de l'internationalisme comme n'étant pas un concept apte à créer des formes politiques positives possibles : mais c'est la même question.  Ne faut-il pas nécessairement un périmètre "défini" d'effectuation à ceux qui, rassemblés, veulent faire l'expérience de leur souveraineté ? Et comment ce périmètre pourrait-il ne pas être "identifiable et identifié" par ce qui rassemble "déjà" cette communauté d'acteurs, un périmètre "déjà là"  ? 

Christian Delarue :

Et qui fait cette "expérience de souveraineté" ? L'oligarchie ? Le peuple-classe ? Par les élections ? Avec ou sans grève de masse ?

Jef Safi :

. . Qui ? . . mais "TOUS CEUX qui, rassemblés, veulent faire l'expérience de leur souveraineté, de leur puissance d'agir ensemble . .", et qui, ce faisant, font "classe" en puissance, puis de facto en acte, un certain temps, avec succès ou échecs suivant que cette puissance dépasse ou non les  puissances qui les combattent, suivant que leurs choix stratégiques et tactiques se révèlent productifs ou contre-productifs, etc., etc., . . Problématique toujours conflictuelle nécessairement, dont la multiplicité des causes la surpasse toujours, et dont les conséquences sont toujours incertaines.

Éthique III, Proposition VI 
Toute chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être.

Éthique III, Proposition VII 
L’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose.

Ethique IV, la servitude humaine - des forces des affects
Il n’y a pas de chose singulière, dans la nature des choses, qu’il n’y en ait une autre plus puissante et plus forte. Etant donnée une chose quelconque, il peut toujours y en avoir une autre plus puissante, par qui la première peut être détruite.


 Jean-Claude Charrié :

Il faut toujours revenir au contexte, au contexte politique, et en contexte, à "l'éthique de responsabilité".
Ne pas perdre de vue l'épuisement de la nation, spécifiquement française, colbertiste, jacobine et bonapartiste, comme forme démocratique, à travers l'épuisement institutionnel de la Vème république.
Ne pas négliger simultanément l'aspiration très diffuse à un ressourcement démocratique dans la proximité.  
Il faut aussi, sauf à tomber dans l'irréalisme et le développement d'un discours anachronique et finalement irrecevable, ne pas faire l'impasse sur le double réel planétaire, de la "crise écologique" et de "l'intégration-révolution" culturelle numérique. 
Bref, il faut tenir un discours de vérité. Et s'il n'y a bien évidemment pas à faire de procès d'intention à Lordon, il y a à instruire une critique de son discours... qui est peut-être dominé par un sentiment d'urgence, bien compréhensible et probablement assez partagé, mais par trop égocentré.
Il y a à faire preuve d'imagination et d'audace, peut-être de créativité...   

Jef Safi :

. . Oui, tout-à-fait J.C. ! Ce qui nous amène au coeur de la problématique : qu'est-ce que la créativité quand on observe et admet que la liberté au sens du libre-arbitre cartésien est un fantasme ? Que devient alors effectivement l'éthique de responsabilité ? . . ArghH !

. . Un jour peut-être, notre Sainte Trinité "Liberté, Egalité, Fraternité" fleurira enfin sur Gaïa en "Créativité, Equité, Solidarité" ! . . mais où diable sont les bourgeons ?


Philippe Corcuff :

Quand "la gauche critique" (?) s'enferre dans des raisonnements conservateurs

Il est intéressant de noter dans le brouillage actuel des repères comment des raisonnements conservateurs pénètrent la gauche jusqu'à ses secteurs les plus "critiques" :

 1) Il est d'abord important de relever que pour défendre "la nation" comme meilleur cadre de l'exercice de la souveraineté populaire aujourd'hui, un tenant de "la gauche critique" pouvait enprunter à Margaret Thatcher un argument de type "TINA", où ce qui n'est constitué comme comme "contrainte" (comme "la contrainte du marché") est là pour justifier une seule voie possible. L'aveuglement idéologique peut ainsi opérer de profondes distorsions logiques au raisonnement. L'important n'est point alors la question de la vérité (non pas La Vérité en un sens absolu, mais les vérités partielles, provisoires et controversables que nous pouvons produire), mais l'affirmation d'une croyance. Mais cette croyance a quand même besoin rhétoriquement de se présenter comme vérité et necessité.

 2) Si la nation peut être la solution principale actuelle, c'est que l'on aurait besoin d'un "ancrage déjà là". Mais l'espace national n'a pas toujours existé. En France il s'est construit progressivement à travers la centralisation monarchique, puis la Révolution française et le rouleau-compresseur napoléonien notamment, contre les espaces locaux existants. Mais pareillement la République avant d'être constituée dans des bagarres n'existait pas. On a là un deuxième argument conservateur : ce qui peut exister n'est que ce qui existe déjà!

 3) On peut envisager différents "ancrages" plus ou moins emboîtés, tant pour la mobilisation politique que pour la souveraineté populaire : le quartier, la commune, la nation, l'Europe le monde...Pourquoi en choisir un seul principal? Ce conservatisme a besoin de l'Un (La Solution Unique plutôt qu'une boîte à outils plus diversifiée) et se nourrit du nostalgisme du "c'était mieux avant" (le retour à la forme antérieurement dominante, l'Eat-nation). Par exemple, le fédéralisme libertaire va dans le sens de la coordination d'ancrages pluriels.


Jef Safi :

. . Merci Philippe d'avoir répondu attentivement.

3) J'adhère au concept "d'ancrage pluriel", mais à deux conditions :

- La première est de préférer la coopération à la coordination que tu évoques. La "coordination" ne peut pas être, dans un premier temps, ni nécessaire ni suffisante. Elle suppose un coordinateur d'une structure impérative verticale, là ou la coopération ne suppose qu'une structure réticulaire horizontale. Je t'entends déjà, et tu as raison, ni l'une ni l'autre de ces structures ne peut établir à elle seule une puissance d'agir émancipatrice. La réalité anthropologique montre qu'il faut à tout rassemblement puissant un agencement dialectique des deux, disons pyramidale, plus ou moins guidé, plus ou moins autogéré, etc., au cas par cas.

Mais le plus important n'est pas là, il est qu'il y a une relation d'ordre ontogénique irréductible entre les deux : le réticulaire précède le pyramidal, comme l'existence précède l'essence dirait l'autre. C'est ce qui rassemble qui crée en premier lieu les conditions d'une coopération. Les empathies, les complicités, les entraides, les solidarités, etc., sont mues par des passions et des pulsions avant d'être guidées par des raisons directrices (voire coercitives). La raison ne suffit pas, c'est là souvent que les rationalismes s'éblouissent eux-mêmes, et donc s'aveuglent, en ignorant la puissance des passions, ou en prétendant les sublimer.

C'est ce qui rassemble les passions qui crée en premier lieu les conditions d'une coopération. Et quand ce sont des passions tristes, l'exclusion, l'abandon, le mépris, le sentiment de déclassement, la paranoïa, les phobies, etc., ce sont ces passions qui rassemblent autour des néo-cons (il faut lire attentivement le dernier livre de Florence Aubenas), et non pas leur stratégies politiques fussent-elles nationalistes, conspirationnistes, révisionnistes, etc.

Ce sont toutes ces passions que refoulent ou feignent d'ignorer les "raisons bourgeoises" qu'elles soient néolibérales ou sociales-libérales. Ce sont avant tout ces passions tristes et non pas les idéologies fascisantes qui rassemblent le peuple marginalisé qui devient "passionnément réactionnaire" et qui se laisse alors guidé par le premier coordinateur néo-con qui sait "confisquer" ses passions pour les détourner.

Est-ce grotesque, ou seulement trop postmoderne ?

du mouvement des affects . . - photo (cc) jef safi / flickr 

- La seconde c'est qu'un "ancrage pluriel" n'a d'espoir de constituer une puissance d'agir que si chaque ancrage élémentaire qui le compose est doté, à sa mesure, d'une consistance propre. On peut promettre que les attributs du tout dépasseront les attributs de ses parties, c'est manifeste en physique, en chimie, et même encore en biologie, mais en matière socio-anthropologique les parties doivent disposer d'une consistance minimale pour que le tout puisse . . consister dans ses attributs propres émergents.

De ce point de vue, le fédéralisme libertaire ne nie donc pas la nécessité d'ancrages (d'agencements d'affects partagés, concepts compris), d'ancrages pluriels certes, mais assez solides c'est-à-dire "à la fois" fédérés et fédérateurs, identifiés et identificateurs, rassemblés et rassembleurs, etc.

Les petits ancrages, la bande, le quartier, l'usine, etc., prouvent souvent qu'ils sont "manifestement" consistants, mais de puissances "limitées". Les plus grands ancrages promettent de soutenir des puissances d'agir plus conséquentes, mais à condition qu'ils sachent faire consistance et persister dans leur être. De ce point de vue, la nation n'est pas convoquée pour rien. Non seulement elle est déjà là, mais elle est à la fois consistante et puissante. La nation est plus "puissante par sa taille" que les régions, que les corporations. La nation est plus "consistante par sa cohérence" qu'une fédération continentale ou internationale (l'Europe par ex est encore si incohérente).

Posons que la nation n'est pas "le seul ancrage possible", mais elle demeure une arme si puissante et si consistante à la fois que c'est criminel que de la négliger, ou pire de l'abandonner aux adversaires. Alors ne l'appelons pas contrainte, soit, puisque le mot plaît trop à miss TINA, disons . . exigence ? . . impératif ? . . devoir ? . . éthique de responsabilité ? . .

Est-ce grotesque, ou seulement trop spinozien ?

2) Oui c'est vrai, la nation n'a pas toujours existé. La nôtre est "encore là", mais peut-être plus pour très longtemps. Menacée par la puissance normalisatrice de la mondialisation à coups de Taftas et autres addictions néolibérales uniformisatrices. Menacée tout autant par diverses puissances mortifères qui la rongent de l'intérieure : les égoismes, les sectarismes, les phobies homo, islamo, xéno, etc. En somme les ancrages singuliers clos sur un universel restreint qui rejetent les ancrages pluriels ouverts aux "diversels" étendus.

Mais la question demeure : La "nation-déjà-là" est-elle candidate ou non aux ancrages pluriels aptes à créer des conditions consistantes et puissantes d'émancipation du plus grand nombre ?

Le politiquement correct est-il de nier que la nation est un ancrage consistant au prétexte qu'elle ne passe pas le crible des impératifs catégoriques de l'internationale conscientisée qu'on attendra toujours ?

Le politiquement correct est-il de nier que la nation est un ancrage puissant au prétexte que d'odieux adversaires s'en seraient déjà emparé par le biais de pulsions perverses ?

C'est ce que répètent les "imprudents" (aussi "imPUdents" soient-ils) : pourquoi abandonner aux affreux la république qui nous appartient et dont nous voulons de surcroît reprendre la Constitution pour reconstruire une démocratie à notre convenance ? En quoi cette question stratégique est-elle nostalgique, conservatrice et/ou réactionnaire ?

Il faut te lire et te relire dans "Nos Prétendues « Démocraties » En Questions (Libertaires)" sur www.grand-angle-libertaire.net
L'analyse est consistante en effet ! Que de sillons encore à creuser ! Mais quel magnifique projet fédérateur ! Quel puissant ancrage rassembleur !

Alors qui contamine qui ? Ne serait-ce pas in fine ceux qui nous désarment de notre nation et de facto de notre république pour l'abandonner aux néo-cons ? Les imprudents vont-ils encore croire longtemps que non ?

Est-ce grotesque, ou seulement . . "imprudent" ?

1)  Oui en effet, toute vérité est partielle, provisoire, etc., etc. Ce n'est pas du relativisme peccable, mais de l'anthropologie, de la neurobiologie bien comprise. Dans nos systèmes cognitifs nous ne pouvons former que des croyances, des croyances nécessairement tissées de passions joyeuses et/ou tristes autant que de pulsions propices et/ou néfastes, en un mot tissées d'affects, simplement parce que c'est de là, et seulement de là, que les croyances émergent et parmi elles in fine les connaissances, les concepts.

Il n'y a pas d'esprit sans corps, pas de raison sans chair et sans passion, toute "raison désincarnée" n'est que stérile vanité rationaliste, un "iste" de plus enfermé dans son petit bocal lumineux et chaud, et tout ébloui des reflets de lui-même.

Tout l'art "d'échanger pour changer", de se civiliser, c'est en effet de savoir faire un pas de coté dans l'obscurité (ce qui n'est pas de l'obscurantISME), sortir des bocaux et débattre des croyances collectives (trans-individuées) qui émergent alors de ce magma cognitif chaotique et passionné, et de les amener au statut de vérités (avec un petit "v"), c'est-à-dire seulement de croyances plus vrai-semblables, plus raison-nables, parce que partagées.

"Être" n'est pas être une chose mais c'est être des étants coprésents. Et la relation n'est rien d'autre que ce qu'on appelle le sens. ( Jean-Luc Nancy - L'idée du communisme / Badiou, Zizek, Negri, Rancière, etc. )

"Echanger pour changer", c'est ce que nous faisons n'est-ce pas ? Est-ce grotesque, ou seulement . . rhétorique ?

Encore Merci. A bientôt Philippe !

escape oneself from the bottle photo (cc) jef safi / flickr 

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