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La nature des manifestations qui émaillent les revendications sur la vie chère et l'attitude des divers mouvements de contestation m'ont poussé à relire Frantz Fanon, et je voudrais ce matin partager avec vous cette réflexion, qui relativise certaines de mes positions sur l'utilité des manifestations actuelles (île morte, revendications salariales, baisse des prix, alignement des prix sur les prix pratiqués en France) pour la lutte contre le colonialisme.
Frantz Fanon, dans son œuvre majeure Les Damnés de la Terre, analyse la colonisation comme un processus qui ne se limite pas à l'occupation physique des territoires. Pour Fanon, « le colon n’est pas content d’occuper physiquement le territoire où il maintient son pouvoir exclusif. Il souhaite transformer le visage du pays occupé. Il veut transformer le sous-sol, les rivières, le désert, abolir les coutumes des autochtones, effacer les traces du passé. » Cette domination ne vise pas seulement à exploiter les richesses du pays, mais à transformer profondément la société, à marquer de manière durable l'esprit des colonisés. La colonisation est donc une entreprise de contrôle total, s'étendant à la fois sur le territoire et sur la conscience des peuples.
Face à cette oppression globale, les mouvements de libération nationale réunissent des personnes aux parcours et aux motivations diverses. Fanon souligne que, parmi ceux qui rejoignent ces luttes, tous ne le font pas par une adhésion à une idéologie anticolonialiste clairement définie. Beaucoup de ces combattants sont d’abord motivés par leur révolte contre les injustices et les humiliations quotidiennes qu’ils ont subies. Il écrit ainsi : « Pour ceux qui rejoignent le combat national, la motivation initiale n’est pas toujours une claire conscience politique. Ce qui les pousse, c’est d’abord la révolte contre l’humiliation quotidienne. Certains en viennent à la lutte après une expropriation, une vexation de trop, une agression de la police. C’est ainsi que la lutte contre la colonisation recrute ses troupes et ses militants, avec la souffrance et l’humiliation comme premiers mobilisateurs. » Ce sont ces expériences d’oppression et de souffrance qui les poussent à rejoindre les rangs de la lutte pour l’indépendance, renforçant ainsi le mouvement.
Fanon montre ainsi que la lutte anticoloniale puise sa force dans la diversité des motivations de ceux qui la mènent. L’idéologie et la conscience politique coexistent avec la révolte née des expériences directes de la violence coloniale, rendant le mouvement de libération plus large et plus puissant. À la lumière des contestations actuelles, cette analyse résonne particulièrement et offre des clés pour comprendre la diversité des motivations et des engagements qui nourrissent les luttes contemporaines.
En relisant Frantz Fanon à la lumière des mouvements de contestation actuels en Martinique, il apparaît que la lutte contre le colonialisme ne se résume pas à une simple revendication politique ou économique. Elle s’enracine dans une volonté de résistance face à une oppression quotidienne, que ce soit celle du système colonial ou celle des injustices sociales actuelles. Fanon nous rappelle que la diversité des motivations et des acteurs peut rendre une lutte plus complexe, mais aussi plus riche et plus forte. Ainsi, comprendre ces dynamiques permet de mieux appréhender la portée et les limites des mobilisations contemporaines. En revisitant ces concepts, nous sommes invités à réfléchir sur la manière dont les luttes actuelles peuvent, à leur tour, contribuer à un projet de société plus juste et émancipé.
09/10/2024
Jeff Lafontaine