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Billet de blog 16 janvier 2025

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Il n’y a pas de « système GBH » : il y a un système colonial

Ce que l’on nous présente aujourd’hui comme une prise de conscience sur la vie chère et les inégalités n’est qu’un simulacre. Il ne s’agit pas d’une volonté de justice, mais d’une mise en scène savamment orchestrée pour préserver les fondements du système colonial.

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Illustration 1

Depuis quelques semaines, la presse française s’empare du sujet de la vie chère en Martinique et semble vouloir en faire un problème exclusivement imputable à la caste béké. Ce traitement médiatique, en apparence critique et dénonciateur, désigne cette minorité comme unique responsable de la situation économique et sociale du pays. Un lynchage qui pourrait séduire, tant il est vrai que cette caste a longtemps été le symbole visible de l’exploitation et de l’accaparement des richesses.

Mais c’est un leurre.

Cette stratégie vise, en réalité, à exonérer l’État français de sa responsabilité première dans l’accélération du processus de colonisation et de domination de la Martinique. Ce que ces journalistes oublient de dire – ou préfèrent taire – c’est que la caste béké n’est qu’un instrument, un rouage essentiel du système colonial. Ses privilèges ne sont ni fortuits ni accidentels : ils sont voulus, encouragés et protégés par tous les gouvernements français successifs, quelle que soit leur couleur politique.

Pendant que l’on nous abreuve de discours sur les marges abusives, les profits exorbitants, le monopole de la distribution, la réduction de la TVA, la suppression de l’octroi de mer ou encore un prétendu « changement de modèle économique », l’État colonial continue d’organiser la dépendance structurelle de notre économie. Les solutions proposées restent enfermées dans le cadre colonial de la République française, où toutes les règles du jeu sont faussées dès le départ. :

  • Les régulations du marché sont pensées pour favoriser les grands groupes importateurs et distributeurs, non pour encourager la production locale.
  • Les dispositifs fiscaux (comme la défiscalisation) profitent aux investisseurs français, laissant les entrepreneurs martiniquais en difficulté d’accès au crédit et à l’innovation.
  • La structuration du commerce est verrouillée par des lois qui empêchent une prise d'initiative économique réelle et maintiennent la dépendance vis-à-vis de la France.
  • La structuration de l'administration publique est conçue pour gérer le système.
  • La corruption politico-administrative reste impunie car il s'agit des relais locaux du système.

 L’arrogance atteint des sommets lorsque certains osent parler de « continuité territoriale », effaçant d’un trait d’encre les distances océaniques et les réalités historiques, culturelles, géographiques pour nous faire croire que notre pays serait une extension naturelle de la France.

Mais alors, posons à nouveau les vraies questions, celles qui sont demeurées sans réponses à ce jour :

  • Qui a imposé une dette à Haïti pour la punir de s’être libérée du joug de l’esclavage ?
  • Qui a protégé les assassins d’André Aliker, dont le crime demeure impuni ?
  • Qui a fait exploser des bombes atomiques sur l’atoll de Mururoa, exposant des peuples entiers aux radiations ?
  • Qui traîne encore les pieds aujourd’hui pour indemniser les victimes du chlordécone, alors que 90 % des Martiniquais sont contaminés ?
  • Qui a couvert les assassinats de décembre 1959, lorsque la jeunesse martiniquaise fut massacrée pour avoir osé réclamer justice ?
  • Qui a fait taire Gérard Nouvet, Imamy et Marie-Louise, des figures engagées pour la dignité et la liberté de leur peuple ?
  • Qui a réprimé violemment les soignants, contraints d’accepter une injection sous la menace des coups ?
  • Qui a conclu à un non-lieu pour l’un des plus grands scandales écologiques et sanitaires de l’histoire de la Martinique ?

Et la liste pourrait s’étendre encore et encore…On nous intime d’oublier, d’effacer ces réalités comme s’il s’agissait d’un passé révolu. Oublier que nous étions destinés à servir puis à périr. Oublier que nous n’avions aucune place dans le concert des nations. Oublier que notre terre est gorgée du sang de nos ancêtres, que chaque pas que nous faisons est un écho de leur lutte.

Mais ce que l’on nous présente aujourd’hui comme une prise de conscience sur la vie chère et les inégalités n’est qu’un simulacre. Il ne s’agit pas d’une volonté de justice, mais d’une mise en scène savamment orchestrée pour préserver les fondements du système colonial. Ces manipulations ne sont pas nouvelles : elles font écho à des expériences déjà vécues par le peuple martiniquais, où des mouvements légitimes de contestation ont été détournés ou récupérés pour mieux neutraliser les aspirations profondes à un véritable changement. L’exemple du mouvement social de 2009 en Martinique en est une illustration frappante : une mobilisation massive contre la vie chère et les monopoles économiques qui, malgré son ampleur et son impact initial, a vu ses revendications édulcorées et absorbées par les logiques institutionnelles, sans remettre en cause les véritables fondements du système colonial.

L'impunité d'un système colonial bien rodé

Car soyons clairs : ce système ne se remet jamais en question. Les preuves en sont nombreuses et documentées, notamment à travers les différents rapports parlementaires sur le chlordécone, qui ont identifié l’État français comme principal responsable de cette catastrophe sanitaire et écologique. Pourtant, ces enquêtes successives, y compris les rapports antérieurs au rapport Hajjar, n’ont jamais abouti à des mesures concrètes pour réparer cette injustice, confirmant ainsi la logique d’impunité et de continuité du système colonial.

Il n’hésite pas à sacrifier ses propres serviteurs lorsqu’ils deviennent des obstacles à sa perpétuation. Le principal concerné le sait. Il sait que le pouvoir colonial est capable d’éliminer un pion pour en placer un autre, sans que la structure de domination ne soit altérée. Les élites ne sont pas intouchables, mais leur chute – lorsqu’elle survient – sert avant tout à détourner l’attention des véritables enjeux et des véritables responsables. Les individus ne sont que des pièces interchangeables dans une machine bien huilée. La disparition d’un acteur économique ou politique ne signifie pas la fin du système colonial, mais seulement un réajustement stratégique destiné à prolonger son emprise.

Pour en sortir : construire un projet martiniquais libéré du cadre colonial en misant sur l'éducation et la conscientisation

L'éducation et la conscientisation sont les éléments prioritaires pour amorcer un véritable changement. Il est essentiel de réhausser l'estime de soi des Martiniquais afin de briser les chaînes mentales imposées par des siècles de domination. La préservation de notre environnement naturel, culturel et linguistique est tout aussi fondamentale pour reconstruire une Martinique autonome et fière de ses racines.

Il faut amorcer une véritable révolution culturelle, éducative et économique en :

  • Réaffirmant notre identité : réhabiliter nos langues, notre histoire et nos références culturelles comme socle de notre développement.
  • Renforçant l’éducation politique et économique : donner aux Martiniquais les outils pour comprendre et transformer leur environnement.
  • Favorisant l'autonomie productive : relancer l’agriculture, l’industrie locale et encourager les circuits courts.

Restons vigilants et lucides.

Ne soyons pas dupes. L’histoire nous enseigne que ce n’est pas en changeant les hommes qu’on abat un système, mais en le renversant. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer, mais d’agir collectivement pour bâtir une société affranchie de cette emprise coloniale.

Jeff Lafontaine

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