Les musulmans demandent justice et protection
Ce que j’avance ici se base sur les paroles de très nombreux musulmans français et belges, rencontrés, de 2006 à 2020, dans le cadre de mes différents travaux de recherche, et notamment à l’occasion de l’écriture de ma thèse : « Du Sudalisme ou de quoi se nourrit le racisme. Ethnographie d’une alphabétisation ambiguë et d’un inquiétant clivage ».
Il serait bon que le gouvernement français prenne conscience du fait – ou cesse de faire comme s’il n’était pas conscient du fait - que les musulmans de France, comme le reste de l’immense majorité des citoyens, sont susceptibles d’être victimes des attentats terroristes. A ce titre, ils attendent que le gouvernement et l’Etat les protègent des attentats et de ceux qui les commettent. Quels qu’ils soient, peu pratiquants, pratiquants, piétistes, très pratiquants, orthodoxes, les musulmans de France, comme le reste de la population, attendent de l’Etat qu’il travaille de manière censée et appropriée au démantèlement des réseaux fomentant les actuels attentats.
Or, ce n’est pas en amalgamant Islam, musulmans pratiquants et islamisme (et, par ailleurs, wahhabo-salafistes et frères musulmans), que l’Etat protègera les citoyens. Ce n’est pas en décrétant la dissolution d’une association humanitaire, quand bien même son acteur principal serait un musulman orthodoxe (il ne s’en est jamais caché), que l’Etat protègera ses citoyens, quelle que soit leur confession, croyance ou idéologie.
Rechercher une ou des personnes voulant commettre des attentats ne se fait pas au fil d’annonces spectaculaires et de discours public jetant la suspicion sinon sur l’ensemble des citoyens de confession musulmane, du moins sur ceux identifiés comme pratiquants. Rechercher des terroristes voulant commettre un attentat relève de la microchirurgie et se fait en silence, discrètement et sans effet d’annonce. Les services secrets et assimilés le savent mieux que quiconque.
Donner des « coups de pieds dans la fourmilière », pour reprendre une expression en vogue, ne fait que jeter la suspicion sur l’ensemble des musulmans pratiquants, attiser les clivages et les tensions, et, mieux encore, participe sans doute à mettre les terroristes sur leur garde. Bref, cela est, d’une part, inefficace et profondément injuste, et, d’autre part, dangereux. Cela conduit à la surexposition de l’ensemble des citoyens et plus spécifiquement de ceux musulmans, sujets à une triple menace : celle des attentats, celle de la violence d’état, ou de la violence civile[1] (fait de citoyens racistes et motivés par l’actuel discours étatique), comme l’a si brillamment rappelé Yasser Laouti du « Collectif Justice et Libertés Pour Tous » en 2015[2].
Les caricatures, frappant des référents auxquels est attaché une part de la population française déjà soumise à des discriminations raciales, sociales et religieuses multiples, et la publicité que l’Etat français semble vouloir donner à ces caricatures, n’attisent en rien le désir de violence chez les musulmans. Cela les blesse tout simplement, fabrique de la désunion et nous rend donc tous encore plus vulnérables et exposés au danger.
Dans le contexte glauque et sidérant actuel, nombreux se posent la question : les derniers attentats à l’arme blanche, si particulièrement et spectaculairement volontairement atroces, sont-ils le fait d’un réseau objectif bien qu’informel de psychopathes ne s’étant pas concertés entre eux, ou d’un réseau plus formel et d’un projet concerté ? La capacité de répondre à cette question appartient aux services secrets et certainement pas aux discours lourds d’amalgames et vides de toutes données rigoureuses du président français et de ses seconds.
Jérémie Piolat, le blog de jeremiepiolat, Intimités Politiques
Jérémie Piolat est anthropologue, docteur en Sciences Politiques et Sociales, et membre du LAAP (Laboratoire d’Anthropologie Prospective), institut IACCHOS, UCLouvain. Il est également l’auteur du livre « Portrait du colonialiste » (La Découverte / Les empêcheurs de penser en rond). De 2008 à 2019, il a également fait éditer plusieurs recueils de textes écrits par des migrant.e.s.
[1] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/12/actes-antisemites-et-islamophobes-un-decompte-hasardeux_5422565_4355770.html
https://www.islamophobie.net/wp-content/uploads/2019/03/Rapport-CCIF-2019.pdf