jeremy dudouet

Abonné·e de Mediapart

19 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 mars 2017

jeremy dudouet

Abonné·e de Mediapart

Naturalisation de Patokh Chodiev : l’aide à double tranchant de Serge Kubla

Ancien bourgmestre de Waterloo, Serge Kubla sera entendue par la Commission d’enquête parlementaire ce mercredi 8 mars. Les médias belges se sont largement fait le relais du soutien qu'a reçu Patokh Chodiev de la part de cet élu, au motif que les deux hommes étaient voisins. Mais c'est oublier un peu vite que ce type d'appui est monnaie courante en matière de naturalisation.

jeremy dudouet

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une pratique répandue qui n'est pourtant pas synonyme de succès, loin de là. Au-delà de cet aspect, ce sont bien les ennuis judiciaires rencontrés par Serge Kubla qui ont jeté le discrédit sur une démarche qui, pour Patokh Chodiev, ne relevait que d'une formalité de voisin à voisin.

Obtenir un soutien politique, une pratique courante en matière de naturalisation

Nom, prénom, adresse et qualité ou profession ; « par la présente, je soussigné... » ; « tiens vivement à attester que... » ; « j'ai aidé M. ou Mme... » ; « sa première demande ayant été refusée... » ; « M. ou Mme est digne de confiance... » : ce modèle de lettre témoignant de la bonne moralité d'un étranger est disponible sur le site du quotidien français Le Monde. Autrement dit, tout un chacun, qu'il soit voisin, membre d'une association, élu ou simple citoyen concerné par la vie de la Cité, est à même d'adresser aux autorités compétentes un tel témoignage de bonne moralité en faveur d'un étranger.

La procédure est classique, ancrée dans les mœurs. Afin d'appuyer la candidature d'un étranger, en situation régulière ou non, à l'asile ou à la naturalisation, l'appui de citoyens compte dans la balance. A fortiori quand il s'agit d'un document écrit et signé, dans des dossiers qui manquent parfois de matière, comme c'est souvent le cas dans les affaires de réfugiés demandant le droit d'asile.

Nombre de candidats à la naturalisation tentent également d'étoffer leur dossier et d'augmenter leurs chances en faisant appel à des personnalités locales ou bénéficiant de mandats électifs. Ici encore, rien de plus normal. Le poids d'un témoignage de bonne moralité émanant d'une figure politique locale ou nationale est tout sauf négligeable, quand le futur d'un homme, d'une femme ou d'un foyer sur un territoire donné est en jeu. Un poids non négligeable, donc, mais parfois aussi non déterminant.

La lettre de recommandation, bien vue mais pas décisive

Il arrive souvent que l'appui d'un élu ne suffise pas à lui seul à faire pencher la balance du côté du solliciteur. Ou, autre cas de figure, que cette aide ne constitue en quelque sorte, que la « cerise sur le gâteau » d'un dossier déjà solidement bâti – ce qui semble avoir été le cas du dossier de naturalisation de Patokh Chodiev.

D'après le quotidien belge Le Soir« lorsque Serge Kubla écrit à Claude Eerdekens (alors président de la Commission des naturalisations de la Chambre) le 16 mai 1997, tous les feux sont au vert pour Chodiev : il a eu l'aval du SPF Justice, de la Sûreté (les services de renseignement belges), de l'Office des étrangers, de la police de Waterloo et du Parquet, donc aussi du service des naturalisations ». La lettre de soutien de Serge Kubla à son voisin n'était donc rien de plus qu'un geste d'amitié et d'estime réciproques, un geste qui, en tout état de cause, n'était pas de nature à influencer la décision finale dans un sens ou un autre. Et Le Soir d'en conclure que « son dossier de naturalisation était excellent, et il n'avait sans doute pas besoin de l'aide de son voisin Kubla ».

Le sort réservé à l'un des acolytes de Patokh Chodiev au sein du « trio kazakh » démontre, enfin, que le plus fort des soutiens politiques ne suffit jamais, à lui seul, à donner une issue positive à une demande de naturalisation. Alijan Ibragimov, qui avait également déposé un dossier en vue d'être naturalisé par la Belgique, disposait dans sa manche de non pas un, mais deux soutiens de poids afin d'appuyer sa candidature. Soutenu par les députés Philippe Rozenberg et Didier Reynders, Alijan Ibragimov ne s'en est pas moins heurté à un mur. Sa demande a été refusée en 1998 et il n'a pu jouir des mêmes droits que Patokh Chodiev qu'en 2005, année durant laquelle il a finalement obtenu la nationalité belge. En d'autres termes, si disposer de l'appui d'un élu compte, cela ne suffit jamais.

Serge Kubla, une aide à double tranchant

Dans sa bonne foi, Patokh Chodiev a peut-être été victime d'une certaine naïveté quant au choix de son témoin de bonne moralité. Si Serge Kubla n'est, pour Chodiev, rien de plus qu'un sympathique voisin prêt à lui rendre service, l'ex-bourgmestre de Waterloo se serait illustré, depuis, par sa participation à de douteuses affaires.

En février 2015, Serge Kubla est en effet inculpé pour corruption. La justice lui reproche des faits s'étant produits dans le cadre de ses activités pour le solde du groupe Industriel Duferco, qui officie à l'époque en République Démocratique du Congo (RDC). Dans cette affaire, Serge Kubla aurait endossé le rôle d'intermédiaire, faisant transiter une partie des fonds utilisés par Duferco afin de corrompre des membres de l'administration publique congolaise. L'entreprise est suspectée d'avoir « favorisé l'évolution d'investissements importants dans le secteur du jeu et des loteries ». Des suspicions qui contraindront le bourgmestre de Waterloo à démissionner de ses fonctions électives.

Reconverti dans les affaires, l'ancien député, ministre et bourgmestre n’a pour le moment pas été condamné, et bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Il n’empêche, les doutes de la justice ont suffi à entacher sa réputation. Une réputation qui rejaillit sur ses proches, sur ses collaborateurs et jusque sur ses voisins, même si ces derniers l’ont connu des années avant les faits qui lui sont reprochés – faits qui, rappelons-le, ne sont à ce jour pas avérés. Autrement dit, la réputation de Patokh Chodiev souffre aujourd’hui des ennuis judiciaires rencontrés par son ancien voisin, qui lui a rendu un service des années avant d’être inculpé pour des faits pour lesquels la justice ne l’a pour l’instant pas condamné. Une somme de raccourcis qui, si elle était appliquée à tout le monde, suffirait à nous rendre tous coupables.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet