Des diamantaires qui, à en croire le parquet d'Anvers, venu témoigner la semaine dernière devant la Commission, sont les vrais responsables de la modification de la loi de transaction pénale.
Intense lobbying des diamantaires d'Anvers
« Parquet aux ordres, taillé au diamant », « Transaction : texte tracé au diamant », « La loi transaction pénale écrite dès 2009 »... Ce jeudi 16 mars, au lendemain de l'audition par la Commission « Kazakhgate » du parquet d'Anvers, les titres de presse n’ont jamais été aussi tranchants, catégoriques. Et pour cause : les propos tenus la veille par le procureur général d'Anvers, Yves Liegeois, et l'avocate générale de la Cour d'Appel d'Anvers, Hildegarde Penne, ne laissent planer aucun doute.
Pour le quotidien Le Soir, ces auditions permettent d'affirmer que « le projet de loi sur l’élargissement de la transaction pénale n’a pas été créé en 2010-2011 pour répondre aux souhaits d’un « trio kazakh » qui aurait souhaité éviter une condamnation. Ce bout de texte existait depuis le 23 juin 2009 et résulte d’un intense lobby déployé dès 2007 par le milieu diamantaire anversois dans la foulée de saisies judiciaires que les diamantaires jugeaient « excessives ». »
Si Le Soir ne s'encombre pas de conditionnel, c'est que ces informations ne proviennent pas de n'importe qui. Hildegarde Penne, en tant que conseillère du cabinet du ministre de la Justice de l'époque, Jo Vandeurzen, a directement participé au toilettage du texte, une fois ce dernier rédigé par le parquet. Pourquoi ? Pour s'en faire une petite idée, il faut faire un bond de presque 10 ans en arrière.
Nous sommes en 2008 quand éclate le scandale des diamantaires d'Anvers, l'un des plus grands scandales fiscaux qu'ait jamais connu la Belgique. S'il convient de ne pas laisser une telle faute impunie, le contrecoup d'une décision de justice trop sévère pourrait s'avérer désastreux pour le tissu économique local. Les diamantaires agitent le spectre d'une délocalisation massive, parlent de 34 000 emplois menacés. Un chiffre sans doute exagéré, qui traduit tout de même l'importance du secteur dans l'économie belge. Une réforme du processus de saisie des biens de sociétés est envisagée, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne plait pas à tout le monde : y voyant une menace pour l'indépendance des juges d'instruction, les magistrats sont vent debout contre cette proposition de modification.
Acculé, « pieds et poings liés » de son propre aveu, le ministre de la Justice Jo Vandeurzen abandonne ce projet et renvoie au parquet d'Anvers le soin d' « entamer une concertation locale ». Sous-entendu, de trouver une solution légale pour sortir de l'impasse, quitte à l'inventer. En quoi un parquet est-il légitime pour « négocier un projet de loi avec, au mieux un secteur économique, au pire une catégorie de délinquants », s'interroge Le Soir ? Bonne question. Toujours est-il que c'est bien le parquet d'Anvers qui soumet aux diamantaires et à Jo Vandeurzen l'idée d'une extension de la loi de transaction pénale aux crimes correctionnalisables, et que cette idée recueille le suffrage de tout le monde.
La Commission « Kazakhgate » doit-elle être rebaptisée ?
Si depuis son ouverture fin janvier, la Commission d'enquête était peu prodigue en révélations fracassantes, elle a enfin produit un spectacle à la hauteur des attentes. Après une exploration en profondeur des conditions d'obtention de la nationalité belge par Patokh Chodiev, ses associés et ses proches, ayant accouché d'une souris, tous les éléments récoltés démontrant que ces naturalisations ont été accordées selon un processus normal (pour ne pas dire banal), la Commission se devait de justifier son existence en « produisant » quelque chose. Ayant, semble-t-il, renoncé à ce que ces scoops concernent le « trio kazakh », un nom sulfureux pour trois hommes d'affaires comme les autres, la Commission s'est donc tournée vers les diamantaires d'Anvers. A raison, à en juger par l'avalanche d'aveux déclenchée.
Reste que si la Commission d'enquête dite « Kazakhgate » a sorti de sa torpeur le public belge, médias compris, se montrant d'une utilité dont tous les observateurs commençaient à douter, elle semble ne jamais avoir aussi mal porté son nom. Et le « trio kazakh » continue de se demander ce qu'il vient faire dans cette histoire...