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Billet de blog 23 mars 2017

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Commission « Kazakhgate », le signe d’une démocratie malade ?

En Belgique, la création de la Commission d'enquête parlementaire "Kazakhgate" pose deux questions. Pourquoi s'acharner à poursuivre des hommes, Patokh Chodiev et ses associés, manifestement innocents (rien n'a pu être ajouté au dossier à charge, un mois et demi après l'ouverture de la Commission) ? Quand les parlementaires s'improvisent juges, la séparation des pouvoirs est-elle respectée ?

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Tout ça pour ça ? Plus de quarante jours après le début de ses travaux, la Commission d'enquête parlementaire sur le « Kazakhgate » n'aura jamais si mal porté son nom. Cherchant, officiellement, à éclaircir les affaires reprochées au « trio kazakh », la montagne parlementaire n'a, pour l'heure, accouché que d'une souris... diamantaire. Le spectacle offert est affligeant : il montre comment un homme innocent, Patokh Chodiev, citoyen belge depuis plus de 20 ans, peut se voir publiquement trainé dans la boue, avec la bénédiction du gouvernement. Surtout, un mois et demi après le début de l’enquête parlementaire, de nombreuses voix se font entendre pour dénoncer la confusion entre les pouvoirs législatif et judiciaire belges. 

Incapables de recueillir le moindre témoignage à charge contre Patokh Chodiev et ses associés, les élus belges ont, sur le fil du rasoir et au terme de leurs investigations portant sur les conditions d'acquisition de la nationalité belge par l'homme d'affaires kazakh, finalement réussi à contenter la curiosité des journalistes et de l'opinion publique. Enfin, de nouvelles révélations impliquant le trio kazakh ? Nullement. Les seuls éléments tangibles portés à la connaissance de nos « enquêteurs parlementaires » concernent l'affaire des diamantaires d'Anvers.

Les diamantaires d'Anvers ? Une sombre et gigantesque histoire de fraude fiscale, remontant à 2008. A en croire les différents témoins appelés à la barre, c'est le syndicat des diamantaires anversois qui est à l'origine de l’extension de la loi de transaction pénale, rédigée dès 2009, soit bien avant un quelconque « Kazakhgate », et votée en 2011. 

Les témoignages du procureur et de l'avocate générale de la Cour d'Appel d'Anvers, Yves Liégeois et Hildegarde Penne, sont catégoriques. C'est bien l'intense lobbying des diamantaires auprès du parquet anversois, entamé dès 2007, qui a conduit ce dernier à leur proposer une solution négociée à l'amiable, la désormais fameuse loi de transaction pénale étendue aux crimes correctionnalisables. Et en rien le trio kazakh. Des conclusions – les seules, au demeurant, auxquelles la Commission d'enquête sera parvenue – qui jettent le doute, pour ne pas dire le trouble, sur le rôle joué par le parquet d'Anvers. Car est-ce bien le sien que de s’immiscer à ce point dans le processus de rédaction de la loi ? En creux, ces révélations interrogent donc sur la bien curieuse conception du principe de séparation des pouvoirs en Belgique. 

Parquet, Parlement : la séparation des pouvoirs vole en éclats

Incroyable mais vrai. C'est donc bien au parquet d'Anvers qu'est revenue la responsabilité de négocier le projet d'extension de loi avec les diamantaires de la même ville. Ces derniers s'offusquant de saisines judiciaires jugées « excessives », ils se mettent donc autour de la table avec le procureur afin de dégager la voie vers un compromis négocié de gré à gré. Une violation flagrante de la séparation des pouvoirs, l'initiative législative étant, en toutes démocraties, du seul ressort du Parlement.

La presse d'outre-Quiévrain ne s'y est pas trompée, elle dont les journalistes ont titré, au lendemain des auditions du procureur et de l'avocate générale de la Cour d'Appel anversois : « Transaction : texte tracé au diamant », « Parquet aux ordres, taillé au diamant », « La loi de transaction pénale écrite dès 2009 »... Le quotidien Le Soir s'interroge ouvertement sur la légitimité du parquet à « négocier un projet de loi avec, au mieux un secteur économique, au pire une catégorie de délinquants ». Une confusion des pouvoirs qui ne s'est pas arrêtée, hélas, au parquet. Dans un renvoi d'ascenseur aussi remarquable que ravageur, les parlementaires belges se sont auto-dotés du pouvoir de juger. Le monde à l'envers, en quelque sorte : le parquet rédige des lois et les parlementaires rendent la justice.

Mais les parlementaires n'ont pas à s'ériger au rang de juges. C'est l'avis, du moins, du juge d'instruction Michel Claise, grand spécialiste belge de la lutte contre la criminalité financière. Au cours d'un entretien accordé au Soir, celui-ci n'a eu pas de mots assez durs contre les élus outrepassant leur fonction. « Ce que je regrette, confie-t-il, ce sont les Commissions parlementaires à caractère juridictionnel, comme pour le Kazakhgate ». Et Michel Claise d'enfoncer le clou en convoquant l'histoire : « Au XVIIe siècle, il y avait le gouvernement des juges ; aujourd'hui, il y a les juges du gouvernement », assène celui qui est le mieux placé pour parler de ces questions. « Ce n'est pas le rôle des parlementaires. Ils ne prennent pas les précautions qu'un magistrat professionnel prendrait ». 

« Les parlementaires n'ont pas à s'ériger en juges, c'est aussi simple que cela » 

Déplorant un cas de figure spécifique à la Belgique, le juge Claise estime aussi que « le conflit d'intérêts qui concerne les parlementaires est patent. (…) Les parlementaires n'ont pas à s'ériger en juges, c'est aussi simple que cela ». Si le magistrat ne remet pas en cause le bien-fondé de certaines commissions d'enquête portant sur des sujets autrement plus graves que l'acquisition de la nationalité belge par Patokh Chodiev – les attentats terroristes survenus à Bruxelles l'année dernière, la grande fraude fiscale –, il met en garde contre les effets contreproductifs d'autres commissions, « dont les conséquences pourront à un certain moment se retourner par rapport au but visé, c'est-à-dire qu'une décision du pouvoir judiciaire soit sereinement rendue ». « Au final, il y a à boire et à manger dans ces commissions », conclut Michel Claise, en prenant l'exemple du « tout autre système » en vigueur en France. 

Officiellement rangé des affaires publiques, l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, n'a eu de cesse, du moins jusqu'à son élimination des primaires organisées par son camp, de s'immiscer dans le débat français. Comme à l'occasion des attentats perpétrés à Paris en novembre 2015. « Nous avons besoin de tirer les enseignements de ce qui s'est produit, avait déclaré le « parrain » de la droite française au lendemain des attaques. Il faudra sans doute passer par la création d'une commission d'enquête parlementaire ». 

La proposition a fait un flop. Comme le rappelle le site Internet du Sénat français, s'il est un principe fondamental présidant à la création d'une commission d'enquête, c'est celui du respect de l'indépendance judiciaire. La séparation des pouvoirs à la française interdit donc aux parlementaires d'enquêter sur des faits « ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Une sagesse dont les parlementaires belges ne semblent pas s'être inspirés.

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