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Billet de blog 19 novembre 2014

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700 millions de francophones en 2050 : comment l’OIF se projette dans l’avenir ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 5 novembre dernier, à quelques jours du sommet de Dakar – les 29 et 30 novembre prochains – l’Organisation internationale de la Francophonie a présenté son rapport La langue française dans le monde 2014, paru aux éditions Nathan. Avec 125 millions d’apprenants du et en français et 274 millions de Francophones à travers le monde en 2014, le français est selon l’OIF la 2e langue apprise comme langue étrangère après l’anglais, la 3e langue des affaires dans le monde et la 4e langue d’Internet. Des chiffres qui augurent un rayonnement futur important pour la Francophonie (700 millions de Francophones sont attendus en 2050), mais qui attisent également la curiosité, voire l’agressivité.

« Le nombre de ‘francophones’ aurait augmenté de 7 % en quatre ans, ce qui en ferait 13 millions de plus depuis le rapport précédent (…) les auteurs de cette formule s’abstiennent soigneusement de dire ce qu’est un francophone et donc d’en définir les compétences linguistiques réelles et vérifiables ». Sur son blog Mediapart, Robert Chaudenson, illustre linguiste français spécialiste des créoles, fait partie de cette tranche dubitative. Et si son agressivité à peine masquée ne sert à aucun moment son propos, parfois difficile à percevoir, la question de la méthodologie de l’Observatoire de la langue française de l’OIF apparaît cependant comme tout à fait légitime. À partir de quel niveau de langue l’Observatoire considère-t-il que l’on est francophone ? Comment réussir à coucher en statistiques des réalités aussi difficilement mesurables et par quels indicateurs ?

N’est pas francophone qui veut

Malheureusement pour Robert Chaudenson, il n’est en fait pas si difficile que cela de trouver des éléments précis sur les démarches suivies par l’OIF pour réaliser leur rapport sur la Francophonie dans le monde. La section « méthodologie » de l’étude répond d’ores et déjà à la plupart des questions posées.

Les 274 millions de francophones sont ainsi divisés en trois parties bien distinctes : les habitants des territoires où le français est la langue maternelle (environ 78 millions) et les personnes de plus de 10 ans scolarisées au moins en partie en langue française pendant au moins 5 ans dans un pays où le français est la principale langue d’enseignement (environ 135 millions). Ces deux groupes sont le cœur de la francophonie constitué de tous ceux qui utilisent chaque jour la langue française. Ils sont de plus en plus nombreux et désormais majoritaires à près de 55 % en Afrique. À ceux-là s’ajoute l’ensemble des personnes qui déclarent pouvoir soutenir une conversation grâce à un enseignement reçu en français langue étrangère (environ 61 millions).

Cependant, si la définition de ce qui fait d’une personne un Francophone est assez claire, la recension de ces trois typologies de francophones n’en reste pas moins un travail herculéen pour lequel la multiplication des sources est primordiale et malheureusement difficile. L’OIF tente d’éviter de devoir se fier aux dires des acteurs du terrain ou des autorités officielles, dont l’objectivité reste la plupart du temps à prouver. Cela implique de devoir faire des choix. Ainsi, quand il n’est pas possible de se reposer sur une source actuelle et fiable comme un recensement national, une enquête nationale ou un sondage, plusieurs outils sont encore à la disposition de l’Organisation.

Des sources plus fiables que d’autres

Il est possible de « se projeter dans le temps grâce à une connaissance acquise d’une évolution mesurable du nombre de francophones entre deux dates », précise l’OIF dans sa méthodologie. En d’autres termes, il arrive à l’Organisation de devoir réaliser une projection linéaire des rythmes de diminution ou de progression habituelle de la population francophone. Une technique qui nécessite cependant de bonnes connaissances du paysage linguistique des pays sans lesquelles le chiffre établi est forcément biaisé. Il peut également arriver de devoir appliquer le dernier taux de francophones connus dans un pays à sa population actuelle et une nouvelle fois, si la technique n’est pas à 100 % fiable, elle n’est utilisée qu’en dernier recours et reflète une réalité aisément vérifiable.

En ce qui concerne les sources reflétant la spécificité des situations de francophonie, l’OIF déclare utiliser une méthode d’estimation indirecte qui « consiste à déterminer la proportion de personnes alphabétisées en français selon le nombre d’années d’études par groupes d’âges ». Ces calculs permettent l’établissement d’une proportion de francophones avec fiabilité certes, mais ils comportent quelques zones d’ombre à éclaircir. Le fait qu’ils ne tiennent pas compte de l’évolution de la structure de la population – et surtout de son rajeunissement – et qu’ils excluent les enfants de moins de 10 ans et ceux qui ne sont jamais allés à l’école induit une sous-estimation du nombre de Francophones dans des pays comme le Cameroun et la Côte d’Ivoire par exemple. L’inverse de la prétendue mise en valeur des données afin de « satisfaire totalement les désirs et même les fantasmes de leur bailleur de fonds » avancée par Robert Chaudenson, qui, s’il considère la Francophonie comme estropiée, devrait peut-être se poser des questions sur sa propre objectivité.

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