Monsieur l'ex-président de la République, je vous ai écouté mercredi soir. N'ayant pas voté pour vous la dernière fois, ni celle d'avant d'ailleurs, je m'étais d'abord dit que je n'en avais rien à cirer et que réglerai ma télévision sur un autre canal... Mais bon, c'était l'heure des infos, et devant l'indigence du JT d'une certaine chaîne publique, je me suis quand même replié sur la une, M. Gilles Bouleau faisant, à tout prendre, mieux son travail. Enfin, je trouve.
Je l'ai apprécié, mercredi, d'ailleurs, ce M. Bouleau, qui s'efforçait de rester journaliste face à vous et votre aplomb. A côté de lui, ce pauvre M. Jean-Pierre Elkabach semblait, tant par la déférence de ses questions que par son obséquiosité, errer dans une époque qui n'est plus la sienne...
Revenons à vous, Monsieur l'ex. Et à votre aplomb. Drapé dans votre costume de victime, vous avez notamment protesté contre une « image » qui serait donnée de vous « pas conforme à la vérité », puis vous avez juré vos grand dieux aux Français que vous n'avez « jamais trahi leur confiance ». Droit dans les yeux (du journaliste, hein, pas de la caméra). Eh bien, vous avez la mémoire courte : en février 2008, vous avez fait ratifier le traité de Lisbonne, qui reprenait dans un autre ordre, les points du traité constitutionnel rejeté par 54,68% des Français, en 2005. Je n'invente rien, c'est un autre ex, M. Valéry Giscard d'Estaing, du même camp que vous, qui l'a dit : « Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d'amendements aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1992). (...) La conclusion vient d'elle-même à l'esprit. Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l'ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l'on cherche ».
Continuez donc à proclamer que jamais vous n'avez trahi la confiance des Français. Ils ont plus de jugeotte que vous ne le pensez. D'autant que sur ce point, ils sentent bien qu'il y a peut-être un lien avec nos difficultés d'aujourd'hui.
Quant à l'image de vous qui ne serait « pas conforme à la vérité », parlons-en. Pour beaucoup d'entre nous, vous resterez – de manière indélébile – l'homme du « Fouquet's », du pognon ostentatoire et du bling-bling. Une image encore accentuée par le « Casse-toi pauv' con ! » adressé le 23 février 2008 au Salon de l'Agriculture à l'un de vos employeurs – un électeur français – qui avait refusé de vous serrer la main. Pas vraiment conforme « aux principes républicains et à l'état de droit », en tout cas. Et je ne parle pas ici de vos digressions sur l'enseignement de la littérature française (Ah ! « La Princesse de Clèves »...) et de vos rapports avec la culture en général. Je ne parle pas non plus des autres dossiers vous concernant (à tort ou à raison, j'en conviens - Moi aussi, je respecte la présomption d'innocence) entre les mains des juges.
« Je ne demande aucun privilège », dites vous aujourd'hui. Pas mal de Français en doutent. J'en entends même certains qui rient (jaune).
Alors, vous pouvez pointer votre successeur, M. François Hollande. Ne vous en déplaise, il fait à peine mieux (ou moins bien) que vous. Pieds et poings liés, du moins le croit-il, en grande partie par le traité évoqué plus haut, et dont vous portez, vous, la responsabilité aux yeux des Français, il pratique avec ardeur et enthousiasme, au nom d'un parti qui n'a plus de socaliste que le nom, une politique de droite. Et, comme vous en d'autres temps, il agite ou fait agiter en cas de besoin, un coup l'insécurité, un coup la Marine... Et ça tient lieu de débat politique.
Seule Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, a su se montrer à la hauteur de sa tâche et réformer tant que faire se peut la justice dans notre pays. C'est peut-être pour ça que les juges – syndiqués ou non – sont plus libres aujourd'hui. C'est sans doute pour cela que vous la détestez.
D'ailleurs, j'ai également relevé, à la fin de l'entretien, une phrase pour le moins curieuse, à propos de votre éventuel retour en politique : « vis-à-vis de son pays, on a des devoirs, on n'a pas de droits ». Comment ça, pas de droits ? Serait-ce un lapsus révélateur ? Comme vous y allez ! Bien sur qu'on a des droits, et c'est bien pour ça qu'on a des devoirs. Ca va ensemble. Si vous n'avez pas compris ça, c'est grave.
Décidément, vous ne pouvez pas revenir aux affaires, vous avez fait trop d'erreurs. Et même bien avant que d'être président. Regardez en Irak aujourd'hui les conséquences ultimes d'une intervention militaire anglo-américaine que vous aviez soutenue... Regardez l'image (pas la vôtre, celle de la France) d'un pays qui portait bien haut son indépendance et qui est retourné la queue basse dans le giron du commandement intégré de l'OTAN. En échange de quoi ? De clopinettes. Pourtant, avant, les Américains nous aimaient bien comme nous étions, râleurs, frondeurs, etc, appelez-ça comme vous voudrez, mais tellement français. Et pas mal d'autres nous aimaient bien aussi. Maintenant nous ne sommes plus qu'un petit bout d'un improbale occident.
Etes-vous certain que les Obama, Poutine, Merkel et autres Cameron vous aient un jour vraiment pris au sérieux ?
Regardez votre dernier fait d'armes, la Libye, et ses conséquences au Mali pour celui qui vous a succédé. Réécoutez votre discours de Grenoble et écoutez aujourd'hui les propos que certains osent tenir qui sont aux antipodes de la fraternité gravée sur les frontons de nos mairies.
Je pense aujourd'hui aux chômeurs, plus nombreux aujourd'hui qu'à votre départ, mais dont les cohortes débordaient déjà largement l'acceptable, aux retraités dont le pouvoir d'achat baisse, au jeunes français qui partent chercher fortune ailleurs, parce qu'ici... Je pense à ces pans entiers de l'industrie française qui partent chaque jour en lambeaux. Non, vous ne pouvez plus être porteur d'espoir.
De grâce, Monsieur l'ex, restez-le.