Les nuls, c'est vous, c'est moi, c'est nous. Et tous, nous subissons la crise économique. Notre avantage, c'est que nous savons que nous sommes nuls en la matière. Alors que sur les plateaux de télévision défilent des cohortes d'experts économiques, toujours très sûrs d'eux-mêmes, qui vous disent grosso-modo la même chose: alléger les charges des entreprises, alléger les impôts, alléger les budgets des Etats, alléger les salaires, et j'en passe... Le tout sur un ton finalement assez péremptoire auquel vous êtes priés d'avoir le bon goût de vous habituer.
Leur problème c'est qu'ils pratiquent l'économie comme une religion, armés de superstitions, genre «quand le bâtiment va, tout va», de commandements illusoires, du style «le client est roi» (vous pouvez faire une pause pour vous esclaffer...), et de dogmes spartiates sur la «nécessaire rigueur», imposés par... le marché, sorte de dieu qui prétend désormais, au-delà d'une économie capricieuse que lui-même ne parvient décidément pas à maîtriser, transcender toute vie sociale, politique, et culturelle chez nous, pauvres (enfin, pas tous) humains.
Le marché, c'est quoi? C'est un truc mondial, un «machin» aurait dit De Gaulle, où ceux qui ont beaucoup d'argent passent leur temps à le placer pour en récolter encore plus à la faveur de taux d'intérêts, généralement à court terme, intéressants. En dehors du fait d'être de grands possédants, ces gens sont des femmes et des hommes comme vous et moi. Sauf que, plus ils possèdent, plus ils ont peur. Donc la rigueur, ça sert surtout à ne pas faire peur à ceux qui possèdent, sinon, ils iront posséder ailleurs et vendront à l'encan nos entreprises, nos usines, condamnant des millions de travailleurs au chômage. Enfin, c'est ce qu'ils disent...
Bon, il y a des exceptions. Je citerai par exemple feu Marcel Dassault (Mirage, Jours de France, etc.), qui, lors des nationalisations de la Gauche en 1981, avait donné 26% des actions de son entreprise à l'Etat. Il ne s'était pas réfugié à l'étranger.
Mais, généralement, le vulgum pecus des nantis n'a pas cette force de caractère. La logique dominante est beaucoup plus terre-à-terre. Par exemple, tel propriétaire de plusieurs logements décidera, en gestionnaire prudent, de ne pas louer d'appartement à un locataire septuagénaire, parce qu'après 70 ans, l'expulsion est quasiment impossible. Pourtant, cette vielle dame aurait payé son loyer rubis sur l'ongle, elle a d'ailleurs l'argent pour ça. Ou cette jeune femme seule avec enfant (non expulsable elle aussi), qui a pourtant un boulot stable et bien payé. Mais se dit le propriétaire: «on ne sait jamais ce qui peut arriver»...
Eh bien, la crise économique, c'est ça à l'échelle des entreprises menacées de fermeture. Telle fabrique française marche plutôt bien, son carnet de commande est plein, et ses actionnaires touchent des dividendes conséquents, disons, par exemple, 5% l'an. Oui, mais certains actionnaires trouvent que ce n'est pas assez, ils préféreraient 5,5%. Certes, un demi-point de plus, sur des millions d'euros, ce n'est pas rien. Alors, ils vendent, en urgence. Et, véritables moutons de Panurge, les autres «investisseurs» suivent, soit en vendant leurs actions dans la même entreprise, soit leurs avoirs dans des entreprises du même secteur, au motif que «on ne sait jamais ce qui peut arriver».
C'est encore la même chose à l'échelle de la planète. Plus d'argent en Grèce??!! Vous voulez rire? Bien sûr qu'il y a encore de l'argent en Grèce, même si ce n'est pas dans les caisses de l'Etat. Du coup, «on ne sait jamais ce qui peut arriver», estiment les agences de notation et autres officines spéculatives. Surtout, pas de risque! Sauf pour les Chinois qui, eux, savent et peuvent prendre des risques et couvrir une partie de la dette grecque. Alors, on peut pleurer sur le fait que les Chinois soient désormais les patrons, mais, d'un certain point de vue, ils le méritent bien, non?
La différence entre les actionnaires, ou les investisseurs, et les experts ou prétendus tels, c'est que les premiers disent «on ne sait jamais ce qui peut arriver». Tandis que les second, eux, ils savent. Ils savent tout. Tout le temps. Et ils ne s'appliquent généralement pas à eux-mêmes la rigueur qu'ils conseillent aux Etats ou aux entreprises d'appliquer, qui à leurs citoyens, qui à leurs salariés.
Beaucoup de ces experts sévissent dans nos médias depuis des décennies. Certains, même depuis avant la chute du Mur de Berlin, qu'ils n'avaient d'ailleurs pas prévue... Je me rappelle d'un expert des années 90, alors que l'idée d'une réunification de l'Allemagne commençait à s'imposer, qui affirmait, s'appuyant sur des études d'autres experts, qu'étant donné que la RDA était «la 17e puissance économique mondiale (sic!)», classement dont la RFA occupait alors la 3e place, la patrie de Goethe allait devenir «un colosse économique».
Alors, certes, l'Allemagne se porte pas mal, aujourd'hui, question économie, mais ce n'est pas vraiment à cause de la réunification: en fait, la 17e puissance économique mondiale n'était pas une puissance du tout, son économie était dévastée et son industrie était arriérée, à l'exception des optiques à Iéna et des produits dopants pour sportifs...
Donc, si l'Allemagne ne se porte pas si mal, notre expert économique ne va pas mal lui aussi -merci- et sévit toujours malgré ce plantage magistral: pas de licenciement pour lui, pas de rigueur, il fait toujours autorité...
Pareil pour les révolutions arabes. Y-a-t-il eu un expert économique pour les prévoir? La vidéo de DSK, alors encore patron du FMI (et, à ce titre expert de chez expert, non?), allant féliciter Ben Ali et sa clique en Tunisie, pour leurs bons résultats économique, tourne encore en boucle sur internet. Allez-y voir... Et si DSK a quitté le FMI, ce n'est pas pour ça.
La science économique est donc une science très inexacte, autant dire, pas du tout au point, et donc d'un intérêt très relatif.
Et surtout, remettons donc les experts à leur place, c'est-à-dire au coin avec le bonnet d'âne, car, en fait, les nuls, c'est pas nous, c'est eux.