Voilà, comme dirait Martine Aubry. Un quinquennat s’achève, le deuxième du genre. Pour la troisième fois, donc, les Français vont élire, en juin, leurs députés dans la foulée de l’élection de leur président, en avril ou en mai. J’écris bien en avril ou en mai, car l’électorat hexagonal garde toujours un chien de sa chienne aux commentateurs les plus sûrs d’eux-mêmes et, qui sait, nous réserve peut-être, suprême facétie, une élection présidentielle à un seul tour. Je n’y crois pas vraiment, mais je respecte avant tout ce droit fondamental des électeurs à faire en sorte que tout ne soit pas écrit d’avance.
Ce que je constate, en revanche, c’est que nos commentateurs patentés n’évoquent qu’à demi-mots, voire pas du tout, les élections législatives qui suivront l’élection d’une nouvelle présidente, d’un nouveau président ou la ré-élection de l’actuel tenant du titre (je vous le dis, rien n’est écrit).
Ils ont tort, car à la fin de ce deuxième quinquennat, les Françaises et les Français ont certainement et finalement compris que les deux scrutins étaient intimement liés. Alors il éliront quelqu’un à la magistrature suprême. J’entends par avance les commentaires de nos experts patentés dès la levée de l’inconnue élyséenne: «Il faut donner une majorité au président pour qu’il ait les moyens de gouverner», argument qui, au fond, ne veut absolument rien dire (nous le verrons plus loin), ou encore: «le quinquennat a été instauré pour éviter une nouvelle cohabitation», ce qui reste à prouver.
Je vous prédis ces deux arguments-là car je suis certain qu’ils sont déjà fourbis dans l’ombre par les communicants de tout poil d’un camp et de l’autre. Ils feraient mieux de se replonger dans les manuels de droit constitutionnel.
Donner au président des moyens de gouverner? Pourquoi le président gouvernerait-il? La Constitution du 26 octobre 1958 instaure un bicéphalisme à la tête de l’Etat : le Président «assure par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat» (article 5) tandis que le gouvernement, et notamment le Premier Ministre, «détermine et conduit la politique de la Nation» (Article 20).Autrement dit, «le président préside, et le gouvernement gouverne», ou encore «chacun son métier, et les vaches seront bien gardées». Bon, me direz-vous, mais depuis 5 ans, nous avons un président qui gouverne. C’est vrai. Toutefois, je vous laisse juge du résultat tant sur le plan politique qu’économique, ainsi que sur le plan de la santé démocratique du pays.
Eviter la cohabitation? C’était l’argument inventé pour justifier le raccourcissement de 7 à 5 ans du mandat présidentiel. Dans les faits, ça n’empêchera rien du tout.
Mais d’autres arguments vous seront alors servis: «rappelez-vous, la cohabitation, c’était le blocage perpétuel, cette dyarchie à la tête de l’Etat, dans les sommets internationaux, ça faisait désordre», etc. Je ne suis pas certain que la non-cohabitation ait évité tous les blocages depuis 2002, ni que l’actuel président de la République n’ait jamais, rien qu' à lui seul, donné l’image d’une certaine confusion en représentant la France à l’étranger.
Il se trouve que, depuis un quart de siècle, la France a déjà connu trois périodes de cohabitation : 1986-1988, Mitterrand-Chirac, 1993-1995, Mitterrand-Balladur, 1997-2002 Chirac-Jospin. Elle n’en n’a pas forcément gardé que de mauvais souvenirs, n’en déplaise à certains. D’ailleurs, les faveurs apparentes de l’opinion, selon les sondages, pour un gouvernement d’union tendent à le prouver.
Cette année, la France pourra, grâce à l’élection présidentielle, et c’est cela qui est nouveau, dire la forme qu’elle souhaitera donner à cette union nationale. Sauf à vouloir reconduire le sortant et lui donner la même majorité, histoire que rien ne change, elle pourra choisir la cohabitation dure, avec la réélection du sortant (à moins qu’une candidate encore plus à droite que lui...), suivie de l’élection d’une Assemblée nationale de gauche. Ce scénario, pas invraisemblable, constituerait une configuration déjà connue. Elle pourrait aussi installer le candidat socialiste à l’Elysée et le flanquer d’une majorité de droite. Moins probable, ce scénario a déjà lui aussi été utilisé et n’en serait pas moins dur.
La France pourrait aussi faire le choix d’une «cohabitation harmonieuse» en élisant pour président un homme «à la forte équation personnelle», mais sans un grand parti derrière lui. En effet, la victoire d’un tel candidat en avril ou en mai serait vraisemblablement suivi, aux élections législatives de juin, de l'arrivée au Palais-Bourbon de quelques députés de son parti, mais pas de quoi faire une majorité à eux seuls. Donc cohabitation. Avec la gauche, avec la droite, ou plus vraisemblablement des deux, les amateurs de maroquins ne manquant ni dans un camp, ni dans l’autre, et les futurs ralliés auront beau jeu d’argumenter leur choix par... la volonté du peuple souverain! Certes, objecteront certains, mais ce candidat-là, non seulement "n'a pas de troupes, mais il n'a pas de programme". Et alors, s'il est président, ce n'est pas lui qui gouvernera (voir plus haut).
Cohabitation, donc, mais cohabitation douce, au moins le temps que le pays commence à sortir de la crise et retrouve ses repères. Mais, je vous le re-dis : rien n’est écrit.