Non, je n’ai pas l’intention de voter pour Eva Joly lors de la prochaine élection présidentielle. Mais, alors qu’elle a elle a exprimé une opinion respectable sur la suppression du défilé militaire du 14 juillet, elle a subi de tous côtés moult attaques qui prouvent une chose: tout le monde a oublié, même notre Premier ministre, que les «valeurs françaises» sont au nombre de trois: liberté, égalité, fraternité.
Liberté d’être, par exemple, pour ou contre le défilé du 14 juillet, et de le faire savoir.
Egalité entre, par exemple, ceux qui sont nés français et ceux qui le sont devenus.
Fraternité, entre, par exemple, tous les Français, au moins.
Les tirs croisés contre Eva Joly, avec parfois les armes de la plus vile bassesse, prouvent que les «valeurs françaises», fondatrices de notre république sont bel et bien désormais passées à la trappe et que l’on préfère revenir à des valeurs sûres: l’éloge du travail (pour ceux qui en ont), de la famille (même recomposée, puisque commercialement, ça paye...), et de la patrie! Maréchal, nous y voilà!
En tout cas, maintenant, ça y est, c’est fait: la Droite française a complètement zappé son héritage gaulliste. Ceux qui s’en réclament peuvent, s’ils savent encore lire, utilement se référer aux livre «Les chênes qu’on abat» d’André Malraux (1971), dans lequel Charles de Gaulle, militaire jusqu'au bout des ongles, dit sa préférence, en matière de chanson française, pour Georges Brassens, l’anarchiste chantant: «le jour du 14 juillet, je reste dans mon lit douillet. La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas. Je ne fais pourtant de tort à personne, en n’écoutant pas le clairon qui sonne...»
La proposition d’Eva Joly aura eu plusieurs mérites: elle prouve, si certains en doutaient encore, que dorénavant, il n’y a plus, entre la droite et l’extrême-droite, que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. C’est en tout cas ce qui ressort des réactions concordantes de la Marine et des ténors de la majorité présidentielle...
Il y a même un gonzier de l’ump, je ne dis pas son nom par pure compassion, qui a évoqué «l’anti-France» (!!!). Oui, vous avez bien lu: l’anti-France! Comme dans la BD de Gotlib de ma jeunesse, «Super-Dupont», un adorable et dérisoire superman à la française, portant béret, baguette et collants plus moulants du tout, en lutte perpétuelle, grâce à ses super-pouvoirs et ses super-armes (camemberts, kils de rouge, etc.) contre ses ennemis sournois et masqués de l’anti-France!
On a entendu pire. Evoquer la suppression du défilé militaire «alors que des soldats français sont morts en Afghanistan», quels scandale! Pourriez-vous me dire quel rapport il y a entre la fête nationale en France et le tragique mauvais choix de nos gouvernants d’envoyer de jeunes soldats faire une guerre qui n’est non seulement pas la nôtre, mais dont nous savons en plus qu’elle ne peut pas être gagnée?
La Gauche, dans cette affaire, s’est bien entendu, distinguée par la diversité de ses réactions, entre soutien courageux à Eva Joly, soutien en demi-teinte, et conformisme.
«Très mauvaise idée», a déclaré l’ancienne candidate socialiste à l’élection présidentielle. Déjà, en 2007, son idée d’un drapeau français dans chaque famille m’avait dissuadé de lui accorder ma voix. Alors, le défilé, je me doutais bien qu’elle ne voudrait pas le supprimer. mais au moins n’est-elle pas tombée dans l’insulte. Même Mélenchon veut conserver le défilé! La Gauche française est quand même majoritairement pour la parade militaire. Et pourtant...
Et pourtant, que pensent les Françaises et les Français en se réveillant le 14 juillet au petit matin, à se souhaiter «une bonne fête nationale, hein? Et surtout la santé!». Non. Ils pensent, comme Brassens, que «chouette, on peut rester au pieu, on peut faire la grasse matinée». Ou, alors, s’ils ont accepté de «travailler plus pour gagner plus» que, «merde, il faut quand même aller bosser». Voilà, la Gauche française devrait être moins timorée dans ce domaine, elle y gagnerait (des voix).
Quelle polémique! Paraphrasons Boris Vian: «on n’est plus la pour voir le défilé, on est là pour se faire engueuler!» C’est la crise (simple rappel), et l’argent se fait rare. En 2010, l’apéro géant de l’Elysée avait été supprimé pour des raisons d’économies. Soit. Mais le défilé militaire sur les Champs-Elysées, ça coûte quatre à cinq fois plus cher que l’ancien pince-fesses présidentiel!
Un jour, un historien-comptable nous chiffrera, peut-être en milliards d’euros, les économies réalisées ça et là par la suppression pure et simple d’un tas de manifestations populaires à travers la France pour de basses raisons budgétaires. Mais, jamais ô grand jamais, la France n’a renoncé à son défilé militaire, maintenant contre vents et marées cette tradition populaire qu’elle partage avec quelques autres joyeuses démocraties comme la Chine et la Corée du Nord...
D’accord avec Eva Joly sur la suppression du défilé militaire, je ne suis pas d’accord, mais alors pas du tout, avec elle sur l’organisation d’un «défilé citoyen». D’avance, je le prédis, et j’alerte mes concitoyennes et concitoyens: un défilé citoyen sera, par essence, CHIANT! Excusez-moi le terme, je n’en ai pas d’autre. Et je l’écris en majuscules pour bien signifier le degré, la forte teneur en chianterie (attention, néologisme!) d’un tel «défilé citoyen».
Resté grand enfant jusqu’au fond de mon âme, ce que j’aime surtout, lors des fêtes du 14 juillet, c’est les feux d’artifice, et puis les bals, aussi. Ca, il faut le garder. Le peuple français célèbre sa révolution par la fête! Et vive la France!