«A quoi sert une chanson si elle est désarmée? me disaient des Chiliens bras ouverts, poings serrés», a joliment écrit un jour Etienne Roda Gil pour Julien Clerc. La chanson s’appelait «Utile». Le mot revient en force, accolé à un autre mot «vote» dans le vocabulaire politique hexagonal, comme à chaque fois que s’annonce une élection présidentielle.
C’est là faute au scrutin à deux tours, nous dit-on. Certes, mais c’est surtout la faute aux prudences excessives de beaucoup d’entre nous (c’est la crise...), à la peur d’assumer son choix...
Au nom du «réalisme», de doctes spécialistes anticipent le premier tour et vous disent que, finalement, le choix au deuxième tour sera entre le sortant et le candidat socialiste, bombardement de sondages à l’appui, réalisés pour la plupart à la va-vite, auprès d’»échantillons représentatifs» de quelque mille personnes, pas beaucoup plus. Les abstentionnistes, généralement nombreux, n’y apparaissent jamais. Normal : ça rendrait moins représentatif l’échantillon. En outre, des «correctifs» sont appliqués à tel ou tel candidat, en fonction de critères relevant de secrets savamment gardés, un peu comme ceux des chamans et autres sorciers qui prétendaient prédire l’avenir en scrutant, c’est un exemple, de la poudre de corne de zébu mélangée à la bave d’un crapaud de passage....
Pourtant, en France, nous sommes, si j’ai bonne mémoire, au pays de la raison, non? Le vote pour la candidate ou le candidat qui a sa préférence, dès le premier tour, voilà le vrai «vote utile». Pourquoi? Parce qu’il donne à tous une idée vraie de l’opinion du peuple. Nul doute que si chacun prenait la résolution de voter pour celle ou celui qu’il estime être le meilleur dès le premier tour, voilà qui donnerait une autre allure aux sondages qui, depuis des mois vous serinent qu’au second tour, de toutes façons, ce sera l’Innommé (je ne veux plus écrire son nom, c’est un voeu), contre Hollande.
Je vous prie de m’excuser, mais je ne trouve pas ce choix très, euh, sexy... Je fais partie des hésitants, et c’est mon droit le plus strict. J’ai déjà écrit mon souhait d’un deuxième tour Bayrou-Mélenchon. Je m’y tiens toujours, et je crois qu’une vraie victoire, une victoire «utile» du peuple français devrait ressembler à quelque chose comme ça, au soir du 22 avril.
Evidemment, énoncer cela m’attire des commentaires du style «vous soutenez subtilement François Bayrou» ou «vous voulez voter communiste mais vous n’osez pas le dire», selon ceux qui m’interpellent sont d’un bord ou de l’autre.
Pourtant, et même si aucun de ces deux candidats ne peut ou ne veut le reconnaître, moi je les trouve bien plus proches l’un de l’autre dans le sens où chacun apporte une réponse originale pour restaurer la République dans notre pays, condition indispensable à mes yeux pour sortir de cette crise-là... et pour faire face aux crises suivantes qui ne manqueront pas de survenir. C’est ça, le problème avec les crises, c’est qu’elles ne font rien qu’à survenir...
Les institutions sont grippées. Le sortant et son rival ne proposent que du replâtrage. Mélenchon propose l’élection d’une assemblée constituante, Bayrou un referendum sur la moralisation de la vie politique. Deux manières de renverser la table, deux manières de faire quelque chose non seulement d’ «utile», mais d’indispensable.
Je suis vraiment impressionné par le chemin parcouru par François Bayrou pour s’extraire de la droite classique, et par la pertinence des critiques adressées au sortant et à sa méthode de gouvernement. Je suis vraiment impressionné par le travail accompli par Jean-Luc Mélenchon qui sait parler au peuple, non seulement des salaires, des conditions de travail, des méfaits du capitalisme, mais aussi de la redéfinition nécessaire des relations de la France avec l’Europe (dont nous serons le pays le plus peuplé dans une quinzaine d’années) et singulièrement l’Allemagne, avec l’Amérique (sortir du commandement intégré de l’OTAN), avec le Maghreb (nos voisins), avec les pays émergents...
Alors, j’en connais qui seront énervés par le fait que je ne dise pas quel sera mon choix final. Ma réponse est : je verrai bien, en fonction des résultats au soir du 22 avril. Mais avouez que le deuxième tour que j’appelle de mes voeux est plus intéressant, plus motivant que celui que l’on nous annonce comme inéluctable, non? C’est en ce sens que voter pour sa préférence dès le premier tour est «utile».