Et si nos dirigeants étaient tentés de sortir de la crise... par la guerre? Comme après la grande dépression de 1929. Ben oui, quoi, une bonne guerre. La solution aurait des avantages multiples : éclaircir durablement les rangs des millions de chômeurs en Europe, re-donner un petit coup de remontant à nos industries lourdes et relancer l’économie, remettre au pas une population un peu trop encline à l’indignation, voire à la révolte en prenant pour modèle le printemps arabe, et désigner un ennemi, le musulman, forcément fondamentaliste et terroriste, parce que, comme ça, les choses seront plus simples, non?
Il y a ces temps-ci de quoi penser que c’est le cas: d’abord cet embargo sur l’Iran, décidé par l’UE, emmenée par l’ineffable José Manuel Barroso avec le soutien du président français. Tous deux, on s’en souvient, étaient partisans déclarés de l’invasion de l’Irak, malgré les avertissements de la France et de l’Allemagne, et malgré l’absence avérée de toute arme de destruction massive au pays de Saddam Hussein. Bushistes ils étaient, bushistes ils sont restés, entrevoyant l’avenir dans un improbable «choc des civilisations», encore plus improbable depuis les révolutions arabes.
Du coup, on dirait qu’ils essaient de le provoquer ce «choc», puisque, décidément, il met du temps à venir.
Pourtant, il n’y a pas de quoi. L’Iran prépare la bombe atomique, et alors? Est-ce donc la première fois qu’une dictature aurait la maîtrise du feu nucléaire? Quelques grandes démocraties comme la République populaire de Chine, la Fédération de Russie ou la République islamique du Pakistan sont là pour nous dire le contraire... Franchement, même Jacques Chirac, quelques semaines avant la fin de son mandat, avait parlé d’or sur ce sujet dans un entretien au Nouvel Obs: «si l’Iran possédait une bombe nucléaire et si elle était lancée, elle serait immédiatement détruite avant de quitter le ciel iranien. Il y aurait inévitablement des mesures de rétorsion et de coercition. C’est tout le système de la dissuasion nucléaire». C’est toujours vrai.
Mais voilà, il faut un ennemi. Pourtant, l’Iran, ce n’est pas que les mollahs. C’est un peuple, aussi, et qui se révolte, au prix de la vie de nombreuses femmes et de nombreux hommes. Mais c’est plus commode de ne pas les voir, de ne pas les entendre. Et comme pour rendre ce faux ennemi plus terrible encore, la France a décidé de lui en adjoindre un autre, la Turquie.
La relation Iran-Turquie est multi-séculaire, faite de rivalité (ce sont deux puissances régionales), de complicité (ce sont les seules puissances non-arabes du Moyen-Orient, avec Israël) et de respect (entre anciens empires, quand même...). La Turquie entretient d’ailleurs, tout en maintenant ses relations avec Téhéran, avec l'Etat hébreu des relations plus étroites que n’importe quel pays arabe, et ces relations persistent même si l'abordage, en 2010, d'un navire turc pour Gaza par l'armée israélienne a provoqué une certaine tension.
Avec la Turquie, nos dirigeants ont tout faux. La toute nouvelle loi française sur le génocide arménien ne sert rigoureusement à rien, mais elle permet, en France, au PS et à l’UMP, de tenter de se concilier les faveurs supposées de la communauté arménienne du pays, objectif minable au regard du risque de transformer la Turquie en ennemi.
C’est bête : s’il y avait un pays par lequel on pouvait tenter de négocier avec l’Iran, c’était bien la Turquie. C’est plus que dommage et ce n’est pas la faute à pas de chance, c’est la faute de nos dirigeants. Exclusivement.
En outre, Ankara et Téhéran sont en grave désaccord sur la Syrie, mais on préfère les pousser dans les bras l’un de l’autre, alors qu’il s’agit d’une démocratie (certes musclée, mais quand même) et d’une dictature. Nous assistons, impuissants, en direct, à la création «ex-nihilo» d’un ennemi!
Et pourtant, l’Europe avait une autre carte à jouer avec la Turquie, dont l’adhésion à l’UE aurait peut-être changé le cours des choses. Un pays aussi important démographiquement que l’Allemagne, avec un taux de croissance à faire pleurer de jalousie un dirigeant chinois, avec une capacité à produire ce que l’UE ne produit plus (des écrans, par exemple), et un dynamisme économique global, s’est toutefois vu claquer la porte de l’Europe, notamment par la France. L’UE vivrait-elle la crise actuelle autrement si la Turquie en avait été membre? On peut, on doit se poser la question. Et si possible changer de cap avant qu’il ne soit trop tard.
Car, désormais, que va faire la Turquie? Elle va tenter des représailles économiques contre la France, mais surtout, elle pourrait être tentée de se souvenir de son passé, et notamment du fait qu’il y a moins d’un siècle, elle était une puissance mondiale. LesTurcs sont aujourd’hui quelque 80 millions, mais il reste un ensemble turcophone assez vaste, qui s’étend sur un arc de 10.000 km entre la Macédoine, le Caucase et la Chine, soit encore quelque 70 millions de turcophones vers lesquels Ankara pourrait bien un jour se tourner.
Nous ne remercierons jamais assez notre président sortant, son ami Barroso et quelques autres dirigeants occidentaux pour leur compétence et leur prévoyance...