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Billet de blog 28 février 2015

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L'indestructible sourire de l'Ange...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'Ange au sourire est une statue que tout un chacun peut voir au portail nord de la cathédrale de Reims. Sculptée entre 1236 et 1245, elle a été victime de la bêtise humaine, bêtise qui sévissait alors sous le nom de « Première guerre mondiale » : le 19 septembre 1914, après un bombardement, l’échafaudage situé sur le portail nord s’enflamme. Une poutre de l’échafaudage en feu s’effondre et décapite l’ange. Sa tête tombe sur le sol quatre mètres plus bas et se brise en une vingtaine de morceaux, soigneusement ramassés et mis en sécurité dans les caves de l'archevêché. L'architecte Max de Sainsaulieu les découvre le 30 novembre 1915.

Je passe ici sur la propagande française qui utilisera ce symbole du génie français et du patrimoine détruit par l'armée allemande...

Non, ce qui m'intéresse aujourd'hui, alors que Daech s'acharne à détruire les trésors du musée de Mossoul (Irak), c'est de nommer les barbares qui font ça pour ce qu'ils sont : de parfaits crétins, imbéciles, incultes et ignorants. Au moins l'armée allemande n'avait-elle pas visé exprès le visage de l'ange...

En effet, j'en reviens à ce dernier et à son sourire : après la guerre 14-18, un moulage de la tête de l'ange est réalisé (il est conservé au musée des monuments français à Paris) et la figure souriante reconstituée. L'ange retrouve toute sa tête le 13 février 1926, et sa place d'origine sur la cathédrale de Reims.

Les as du marteau-piqueur de Daech savent-ils au moins qu'un jour, il y a presque 100 ans, quelques humains ont su ressusciter une statue ? Savent-ils que depuis 100 ans, la technologie a fait quelques bonds, pour le pire, certes, mais parfois pour le meilleur, dont, pour citer un exemple récent, les imprimantes 3D ? Savent-ils qu'il y aura toujours une trace des chefs d'oeuvres qu'ils ont cru détruire et que ceux-là peuvent être si nécessaire, reconstitués ?

Alors, pourrions nous dire, ce n'est pas si grave ? Si c'est grave. La mise à mort d'une œuvre d'art l'est toujours. Pour l'ensemble de l'humanité, d'abord, mais aussi pour chacun de ces pilonneurs zélés prétendument musulmans personnellement. Chacun des objets détruits a Mossoul a laissé suffisamment de traces (copies, moulages, photos, dessins, vidéos) à même de les faire ressurgir à l'identique du néant et de l'oubli dans lequel nos barbares incultes et ignorants ont cru les précipiter.

Et ces très regrettées œuvres, témoins de notre passé commun à tous les humains, poursuivront leur chemin, en tant que fidèles copies, tout au long de l'histoire à venir. Et l'imbécilité monumentale des crétins de Daech y sera à jamais associée, « pour les siècles des siècles »... comme on dit chez certains croyants.

Résolument agnostique, je sais que les autodafés pratiqués dans l'Allemagne nazie en 1933 en ont dit davantage sur le piètre niveau du quotient intellectuel des SS qu'ils n'ont détruit le contenu des livres brulés en place publique : les ouvrages les plus courants existaient déjà ailleurs ! Et le contenu des plus rares avait déjà été exploré par des – vrais – humains appelés chercheurs. Il s'agissait alors pour les nazis de lutter « contre l'esprit non-allemand » et de vouer aux flammes les écrits d'auteurs allemands ou non, tels André Gide, Ernest Hemingway, Ilya Ehrenbourg, Stefan Zweig...

Aucun de ces auteurs n'est aujourd'hui oublié, plus de 80 ans après. L'identité des allumeurs fous de ces buchers de bouquins est par contre complètement passée à la trappe. A jamais. Ne reste vivace que le souvenir de leur insigne connerie. Demandez donc aujourd'hui à celles et ceux qui ont été les filles et les fils de ces incendiaires zélés comment ils ont dû supporter, des décennies durant, cette lourde hérédité... Justiciers autoproclamés de Daech, il faudra bien un jour que vous vous expliquiez sur tout ça avec vos propres enfants, et de leur dire – si vous en avez le courage et les moyens intellectuels – pourquoi vous avez choisi de devenir l'ennemi de toute l'humanité.

L'humanité ? Le regretté Pierre Desproges lui a dispensé un jour un conseil qui s'applique parfaitement à vous, si sérieux et si appliqués dans vos œuvres mortifères : « Voici quelques critères de base per­mettant à coup sûr de reconnaître l'ennemi. L'ennemi est bête : il croit que c'est nous, l'ennemi, alors que c'est lui ! J'en ris encore ! »

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