Bon citoyen, j’ai invité tous les candidats à l’élection présidentielle à venir dîner un soir à la maison. Pas tous ensemble, hein? Parce que j’ai horreur des soirées mondaines, d’abord, et parce que je voulais savoir un peu tout ce que chacun d’entre eux avait dans le ventre, enfin, dans la tête, avant de me décider à voter.
Aucun n’a répondu, mais plusieurs se sont manifestés, parfois en catimini, parfois en grande pompe, chacun selon son genre, quoi... D’autres, absents de cette liste, n’ont pas répondu du tout ou ne se sont pas manifestés.
Je sais par exemple (par ma voisine) que la candidate du FN a fait le chemin jusqu’à chez moi, dans l’espoir de décrocher ma voix (parce que là, elle est un peu surgonflée par les sondages, mais à la finale, elle sait bien qu’elle n’en fera pas autant que ce qu’on dit...). Donc, disais-je, la fifille à son papa s’est pointée à proximité de mon domicile, mais apercevant un joli gri-gri que m’avait offert un ami africain pour décorer ma porte d’entrée, elle a fait illico demi-tour. Et c’est tant mieux, de toutes façons je n’aurai pas ouvert.
Et puis un jour, Christine Boutin a sonné, croyant que j’étais un élu à même de lui donner ma signature! «Madame, lui ai-je dit, j’ai un grand respect pour vous, eu égard au remarquable travail que vous avez fourni en son temps sur l’état calamiteux des prisons françaises. Mais en dehors de cela, je suis en désaccord avec vous à peu près sur tout. Accepterez-vous néanmoins un café?» «Non! J’ai pas le temps, je dois chercher des signatures, des vraies...».
Deux heures après se pointe Dominique de Villepin: «Merci de m’accorder votre signature, mon bon Monsieur!» s’exclame-t-il avant de me donner l’accolade, «la France vous le rendra...» «De quoi parlez-vous, Monsieur le Premier ministre (j’ai le sens des usages, quand même)», lui rétorquai-je. «Ah bon, vous n’êtes pas maire. Pourtant Christine Boutin m’avait dit que... Ah la vache! Elle m’a encore eu!». Le candidat s’en retourne, furibard. Et la crinière au vent, néanmoins.
Le lendemain, à 06H00 (heure légale selon la police), ça drelin-dreline à ma sonnette. Qui aperçois-je à travers le judas? Notre riant ministre de l’Intérieur! En personne. Et accompagné de 129 CRS, tous plus joyeux les uns que les autres. «C’est à quel sujet?», lui demandais-je ingénument en me demandant in petto si je suis bien Français, si j’ai bien mes papiers sur moi, si je connais bien par coeur le téléphone de mon avocat (je peux t’appeler, Pascal, hein?), si je n’ai pas oublié d’enfiler un peignoir (je dors à poil exclusivement) et en me disant que, quand même , il aurait pu prévenir: j’avais prévu de me faire une grasse matinée... «Je viens perquisitionner chez vous avant la visite du président de la République», me déclare-t-il à tout trac. Servez chaud! Mais je ne suis pas homme à me laisser impressionner: «Je n’ai invité QUE les candidats déclarés», expliquai-je au sinistre ministre. «Ben oui, mais on sait bien qu’il va se présenter...», insiste-t-il. «Ah bon? Mais vous savez, je suis journaliste, alors pour moi, c’est un scoop», lui dis-je. «Laissez tomber, tranche-t-il brutalement. Tant pis pour vous, le président ne viendra pas chez vous». Ouf! Pensai-je très fort dans ma ford intérieure. C’est vrai, quoi! Moi qui suis un être épris de cohérence, j’aurai trouvé insupportable de faire entrer... un sortant! Surtout chez moi. En plus celui-là, déjà qu’à la télé il est pas rigolo, même quand il passe sur 9 chaînes à la fois, alors, en vrai...
Le soir, autre coup de fil: «Coucou! C’est François Bayrou! Ca tient toujours votre invitation?» . «Bien sûr, pour vous, pas de souci», lui réponds-je. «Je ne suis pas certain du tout de voter pour vous, mais au moins je vous respecte, ce qui est déjà beaucoup...». «D’accord, me dit-il, mais si vous voulez bien, je viendrai après le premier tour, et j’amènerai le champagne pour me donner du courage avant le deuxième tour!». Optimiste, le mec, non?
J’étais décidé, pour Eva Joly, à mettre les petits plats dans les grands, juste pour lui dire le respect profond qu’elle m’inspire et combien je me suis senti en accord avec elle, depuis quelques mois, sur des sujets comme la corruption, ou la nécessaire suppression du défilé du 14-juillet, entre autres. Malheureusement, je ne pourrai pas voter pour elle tant je ne crois pas à l’avenir de l’écologie politique. Espérant sa visite, j’avais mis de côté, pour l’apéro, un Condrieu de derrière les fagots, et puis je mitonnais depuis la veille un boeuf bourguignon que j’aurais accompagné d’un Aloxe-Corton 2009. Et puis un plateau de fromages, je vous dis pas... Un de ses conseillers m’a demandé si tout ça était bio. «Euh, je ne sais pas...» ai-je répondu. «Bon. On vous rappelle...». Depuis j’attends.
En fait, le coup de fil suivant, c’était un conseiller de François Hollande, qui voulait connaître le menu. «C’est encore chaud, lui dis-je. Et même si vous ne venez que demain, c’est pas grave, c’est encore meilleur réchauffé...». «Pas question! Vous rigolez ou quoi? Ca fait des mois qu’il s’est mis au régime. C’est mauvais pour son image», explique le conseiller. «Ben, lui réponds-je, il n’a qu’à venir tout seul, avec son épouse. Ca restera entre nous...», plaidai-je. En vain. «Non, il ne vient qu’accompagné du service image du PS. Et puis d’abord, chez vous, y’a pas la place...» Tant pis pour Hollande.
Et Jean-Luc Mélenchon, alors. Pour lui, comme pour Bayrou, j’avais dépoussiéré les bouquins de ma bibliothèque, parce que je sais que ça l’aurait intéressé. En plus, je crois bien que mon Condrieu et mon Aloxe-Corton ont du faire sonner le portable de ses papilles (je suis sûr que c’est un bon vivant). Mais il m’a téléphoné: «C’est bien encore un truc de journaliste pour essayer de m’embobiner!, me souffla-t-il dans les bronches, ce qui, au téléphone, représente un exploit. Franchement, j’ai p’têt’ mieux à faire que d’aller me goberger chez vous, puisque la cuisine, paraît-il, y est bonne, avant les élections, non? Faut quand même que je devienne président de la République, hein? C’est pas rien... Mais bon, après le 6 mai, je ne dis pas non.» Sympa. Enfin, je trouve. Quoi que, s’il est élu, est-ce qu’il viendra? Franchement, je me le demande....