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Billet de blog 10 septembre 2025

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Le blocage, toujours nouveau, toujours imprévisible

Ce ne sont pas « encore des grèves », « encore des manifestations », ce n’est pas la répétition d’un « pas content, pas content ». Le 10 septembre est bien plutôt une étape dans le passage inventif de la manifestation à l’occupation, de la concentration du peuple en marche à la dissémination des lieux de blocage, d’installation et de réflexion politique.

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Il y a deux types de répétition. Ou celle-ci n’est que le retour incessant à l’identique, érodant le sens jusqu’à ce qu’il n’en reste rien ; ou elle est de l’ordre d’une reprise créatrice, d’une relance réinventant à chaque fois ce qu’elle tente ou ce qu’elle affirme, donnant naissance à de nouvelles formes qui n’étaient pas prévisibles.

La « politique » de notre ex-gouvernement et les discours de notre ex-Premier ministre sont du premier type (qu’il soit donc clair que ce paragraphe n’apprendra rien à personne) : ils ressassent des diagnostics (la dette de la France augmente en raison des dépenses publiques, les Français ne travaillent pas assez, etc.) et des solutions (économiser, travailler plus, etc.) qui s’invalident mutuellement puisque l’application pendant des décennies de ces « solutions » n’ont rien changé aux diagnostics. La répétition s’avère ici aveugle à son propre passé, à la spécificité du présent, et ce qui est le pire, face à l’avenir : ne puisant rien dans ce qui se modifie et s’invente au cœur de la société, cette « politique » s’en tient au préjugé que tout est comme elle, c’est-à-dire que rien ne s’invente, que rien ne fait sens ; elle devient un programme sans projet, sans proposition, n’évoquant que les « sacrifices » que des populations entières devraient encore et toujours faire – pour quoi ? Pour rien : ces sacrifices sont voués à la répétition, à l’absence d’avenir et de sens, au vide – celui que la dette « quantifie » d’une manière que l’on sait arbitraire. Le travail, la production, la consommation, sont alors autant de « valeurs » tout aussi quantifiables, monnayables ; elles sont censées combler la dette ; elles ne le font jamais, et ne parviennent qu’à donner un rythme quotidien au retour à l’identique du même sacrifice au nom de la non-valeur ou du non-sens. Ainsi les préceptes non-modifiables du néolibéralisme ne survivent-ils que sous la forme du nihilisme, quitte à s’aveugler également sur leurs propres déviations autodestructrices, que réunit le trumpisme : l’autoritarisme, l’acceptation sans mesure des inégalités sociales, le nationalisme protectionniste, la propagande.

L’autre répétition est celle de la résistance à cette politique nihiliste. A la différence de ce qu’elle refuse, elle est justement, à chaque fois différente. Évidemment, tant que l’on reste voué à la production, qui sacrifie a priori toute nouveauté, on sacrifie aussi allègrement la résistance à la répétition : « encore une grève » ! « Encore une manifestation ! » Ou selon la pauvre ironie de Bayrou, citant une formule du film "Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre", qui, évidemment, se répète : « pas content, pas content ! ».  Et pourtant, à chaque fois, c’est autre chose. Ce n’est pas seulement que les grèves ne se déroulent jamais exactement de la même manière, de même que les manifestations, ou bien que se modifie la relation entre grèves et manifestations. Mais c’est bien qu’à partir d’elles et au-delà d’elles des formes d’action émergent en permanence.

Pour que l’on puisse parler de reprise et de relance, il faut bien sûr dégager un fil directeur, ou plutôt une basse continue, qui rende possible les variations. Cette continuité, nous la voyons dans la mise en jeu d’une même possibilité : celle de faire obstacle à la fausse progression de la production qui nous ressert toujours les mêmes produits et nous impose le même emploi du temps, aux injonctions vides et répétitives à « l’efficacité » et à « l’innovation », d’une manière directe, concrète, réelle, c’est-à-dire sous la forme d’un arrêt manifesté comme tel. Qu’y a-t-il là de nouveau ? Répondons : encore rien, puisque nous parlons justement de continuité ; mais déjà quelque chose, puisque les formes d’arrêts sont de plus en plus manifestes. Cette continuité implique alors le glissement progressif du mouvement concentré des manifestations urbaines vers la dissémination des lieux d’occupation ; c’est donc une dynamique paradoxale, qui invente de nouvelles formes de résistances statiques, à partir desquelles le mouvement peut être concrètement relancé. C’est ainsi que se relancent la grève, et au-delà d’elle, le « blocage », indissociable de ce qu’il nous faut nommer une installation : car c’est bien à partir de celle-ci que la politique redevient possible.

Donc ce qui change le moins, ce sont, paradoxalement, les « manifestations » : celles-ci ont pu répondre pour un temps (à vrai dire indéterminé : on pourrait dire deux siècles) à l’exigence de ne pas seulement faire grève, dans la mesure où la grève, en tant que telle, n’était pas assez « manifeste ». Elles n’y répondent plus vraiment : ces marches qui vont, un jour donné, d’un point à un autre, puis se dissolvent, se répètent sans rien obtenir ; la résistance à la réforme des retraites a trop épousé cette forme, tranquillement circonscrite par le pouvoir exécutif dans le champ de la « liberté d’expression », tandis que se poursuivait d’une manière inexorable le « processus démocratique » menant du projet de loi à sa promulgation.

En revanche, la grève se transforme. Elle le fait parce que sous sa forme classique, celle du simple arrêt de travail, elle a été sciemment réduite à presque rien par les législations néolibérales : la multiplication des emplois précaires, y compris sous la forme de l’auto-entreprenariat, le bas niveau des salaires, font que la mobilisation des grévistes devient difficile ; dans ce contexte les entreprises comme l’État ont les moyens de supporter sans réel danger économique des prolongations de la grève que ne peuvent endurer celles et ceux qui la font, ni celles et ceux qui la subissent réellement. Les seules grèves encore efficaces ne concernent alors que des secteurs dont le ralentissement ou l’arrêt a des répercussions immédiates sur l’ensemble de la production nationale et de la société : celles qui concernent les raffineries, les centrales, les moyens de transport. Dans les autres domaines, la grève n’a plus de sens que si elle a pour horizon de devenir générale, de tout arrêter.

Et c’est pourquoi la grève a changé sa relation au blocage. Celui-ci a toujours été offert aux grévistes une capacité de renforcement et de défense de leur action : en bloquant l’accès ou le fonctionnement d’une unité de production, ils pouvaient éviter leur remplacement par des intérimaires recrutés en urgence par les entreprises. Mais dans la mesure où la plupart des grèves sectorielles ont peu d’impact, la possibilité s’est ouverte que les grévistes, avec d’autres (chômeurs, étudiants, retraités, etc.) bloquent des unités de production plus stratégiques que les leurs, ou par l’occupation, ou en en interdisant l’accès. Il est également possible de bloquer des chantiers en les occupant, voire en s’installant dans les zones concernées, et c’est ainsi que sont nées les « zones à défendre ». Il s’est avéré dans la même logique que le blocage des voies de circulation était un moyen d’action incontournable : non seulement parce que le transport (plus précisément le transport rapide) est devenu névralgique pour l’économie de nos sociétés, mais aussi parce que l’arrêter en certains lieux est la manière la plus immédiate, la plus franche de manifester son existence, laquelle, où qu’elle soit, fait obstacle, et le fait alors d’autant plus que c'est sur une voie qui ne tolère aucun obstacle. Cela a été très net dans le cas des mouvements d’agriculteurs, et encore plus en novembre 2024 : s’ils n’ont pas immédiatement la puissance d’action des cheminots, le simple fait de disposer de machines lourdes que l’on peut arrêter sur une autoroute plutôt que dans un hangar leur donnent une puissance moins légale, mais quasi-équivalente. De même, l’installation sur les places publiques, qui sont aussi des carrefours que les acteurs peuvent bloquer à tout moment (la menace sur la circulation comptant ici autant ou plus que sa mise en exécution) s’est avérée bien plus efficace que les manifestations, qui certes occupent un boulevard, mais qui en avançant dégagent autant de voies de circulation qu’elles en coupent. L’occupation des ronds-points par les Gilets jaunes répond également à cette logique. Et si l’occupation des rues ou des routes donnent des indications sur la composante plutôt urbaine ou plutôt urbaine du mouvement, il va aussi de soi que les routes, de même que les sites ruraux de l’industrie agro-alimentaires, peuvent être occupées par des acteurs en partie urbains, tout comme les rues de toutes les villes sont accessibles à des acteurs plutôt ruraux.

Il ne s’agit pas ici de tout confondre, mais bien au contraire de tout distinguer. Les « Printemps arabes », mouvements populaires dressés en 2010-11 contre des régimes autoritaires, dictatoriaux, corrompus, incapables de juguler le chômage et l’inflation et d’offrir un quelconque espoir aux jeunes, avaient déjà privilégié, des les sit in d’Alger d’août 2010 aux rassemblements sur la place Tahir au Caire, l’occupation statique des espaces publics. L’efficacité de ce mode d’action dans un contexte répressif avait frappé les esprits y compris en Occident : il fut ainsi repris dès 2011 par les « Indignés » espagnols puis européens, ainsi que par le mouvement Occupy Wall Street ; mais cette fois-ci la cible était la dictature des marchés, indissociables d’une démocratie représentative qui avait sauvé les banques avec l’argent public en 2008, tout en s’avérant trois ans après toujours incapable de proposer à ses citoyens autre chose qu’une succession de sacrifices. En 2013 le « Printemps turc » relançait ces revendications sur la place Taksim, dans un contexte impliquant également un autre enjeu celui de la défense de la laïcité. En 2016, le mouvement français « Nuit debout » essaimait sur les places publiques françaises, joignant au refus des inégalités sociales une volonté de réformer les institutions, de faire émerger de l’intelligence collective une nouvelle constitution. A la fin de 2018, le mouvement des « Gilets jaunes » faisait plutôt ressortir les contraintes subies par une classe moyenne fragilisée, qui ne pouvait boucler ses fins de mois, et n’en avait pas moins un projet politique, celui d’une démocratie à la fois plus participative et plus directe. Le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre 2025 est la relance de toutes ses actions antérieures, mais diffèrent encore d’elles : sa première référence est au confinement qui a marqué un long moment de pause contrainte, avant que l’idée de rester chez soi, qui pousse jusqu’à la non-manifestation, jusqu’au silence également, la manifestation de la résistance, sorte de ce paradoxe en se laissant déborder par d’autres modes d’action, allant des grèves et de la traditionnelle « manifestation »  à l’installation sur les ronds-points, aux blocages des sites stratégiques et des voies de communication. C’est alors précisément par la relance disséminée de ces manières de résister que le 10 septembre se caractérise : bloquer « tout » veut donc dire inventer une version entièrement dispersée, y compris dans l’espace, de cette « totalité » qu’est la société.    

Ces différences de tonalité sont dues à des changements de contexte impliquant que ce sont pas les mêmes acteurs qui se présentent et qu’ils ne le font pas de la même manière. Les jeunes résistant aux dictatures de certains pays arabes n’ont pas la même vie que la jeunesse plutôt favorisée composant les « Indignés » des places espagnoles, américaines ou françaises, les Gilets jaunes représentaient mieux tous les âges et s’estimaient plutôt faussement favorisés, c’est-à-dire oubliés, tandis qu’ils ne constituent plus qu’un quart des acteurs dans la préparation du 10 septembre sur internet, majoritairement soutenus par une jeunesse plus clairement politisée, bien plus positionnée à gauche de l’échiquier politique, mais aussi bien plus ancrée dans les villes moyennes que l’étaient les manifestants du « mouvement des places ». 

Il en découle des nuances importantes dans les modes d’action : tenir tête à une police ouvertement répressive, savoir se disperser pour éviter une confrontation trop dangereuse et savoir revenir sur des places évacuées violemment, n’est pas la même chose que se réclamer d’un droit d’aller et de venir et d’un droit d’expression inscrits dans la loi démocratique pour désamorcer, par l’occupation constante des places ou des ronds-points, une force policière tenue (relativement certes, mais réellement) au respect de cette loi et à l’interdiction de la violence disproportionnée.  Semer une quasi-panique dans les quartiers chics de l’Ouest parisien comme l’ont fait les Gilets jaunes n’est pas la même chose que d’investir l’Est de la capitale, lieu traditionnel des manifestations, mais autrement que par les manifestations traditionnelles, ce qu’ont fait les participants à Nuit debout. L’originalité du 10 septembre se trouve alors dans la diversité des stratégies, mais aussi dans leur localisation qui est aussi une dispersion, chaque région décidant de ses modes d’action en puisant dans le répertoire des manifestations antérieures – une organisation locale qui rappelle plutôt celle promue par les Soulèvements de la Terre.

Que peut-on objecter à cela ? Que le « 10 septembre » est rendu inutile par la chute du gouvernement Bayrou ; mais c’est ignorer que tous ces mouvements partent du principe (largement confirmé par l’expérience) qu’un changement dans l’exécutif ne change rien à une politique cadrée par des institutions qui en sont historiquement réduites à organiser leur propre soumission aux impératifs anti-sociaux du néolibéralisme. Ou l’on objecte qu’en bloquant le pays, on ne fait qu’accentuer les problèmes économiques dont il souffre, si bien que les acteurs d’un tel mouvement se nuisent à eux-mêmes ; mais (même quand il émane d’un mouvement qui se réclame de la gauche et même du mouvement des places, à savoir « Place publique »), cet argument est celui que l’on utilise de la manière la plus traditionnelle et la plus répétitive contre la grève ; et la réponse peut être puisée sans difficulté dans la culture de la gauche : toute grève nuit certes à l’entreprise et donc à ceux qu’elle emploie, mais outre la pression positive qu’elle peut exercer sur elle, elle vaut vraiment en tant qu’elle se situe dans l’horizon d’une grève générale, visant justement à tout bloquer pour entraîner des changements importants ou radicaux au niveau national, voire international. On peut également objecter que bloquer est le contraire d’avancer : le Président Hollande ironisait déjà ainsi sur les jeunes de Nuit debout. Mais c’est faire semblant de ne pas voir que « progrès » et « mobilité » sont les versions temporelles et spatiales de la pire des immobilités, celle d’une répétition qui n’innove ou n’invente plus rien, contre laquelle on lutte justement en s’arrêtant vraiment ; c’est ne pas voir, que l’on fasse semblant ou non, que la création, l’invention, qu’elles soient individuelles ou collectives, exigent une forme de station, d’installation en un lieu, d’où émergent des idées. On prouve le mouvement en marchant, on prouve que l’on pense, que l’on débat, que l’on réfléchit, en s’arrêtant. On peut objecter enfin que ces idées sont indéterminées, utopiques, qu’elles ne font pas une politique. Mais c’est justement parce quand une « politique » est soumise à des critères économiques abstraits, certes déterminés, mais détachés de toute réalité sociale et de tout avenir,  qu’elle laisse dans l’indétermination totale toute orientation vraiment politique. Il revient alors à une intelligence collective et non gouvernementale de chercher cette orientation, de frayer un chemin à travers ce qui n’a pas encore de repères ou de critères, de se situer au niveau de ce qui fait sens – un sens divers, disséminé, qui reste encore entièrement à déterminer, mais dont il est sûr qu’il n’est pas de l’ordre de la simple survie, et donc pas non plus de l’exclusion des autres au nom de sa propre survie.

Le sens est de l’ordre de l’expression collective autant que de l’action, ou exige que l’expression soit sa principale action : c’est pourquoi il se déploie d’une manière bien plus complète dans des paroles fondées dans cette non-action (aux antipodes de toute passivité) qu’est le fait de se tenir quelque part, de ne plus bouger (« on ne bougera pas » était l’un des slogans des Gilets jaunes), de s’installer dans des lieux que l’on politise par le simple fait de les tenir ; c’est pourquoi également de tels modes d’action s’actualisent déjà dans une virtualité qui est celle des mots prononcés et échangés, et qui est aussi la virtualité des réseaux sur Internet. Tous les mouvements que nous avons cité ont scandé le rythme de l’utilisation politique d’Internet dans les contextes de résistance, les paroles circulant alors sur ces réseaux parcourant tout le champ allant des idées les plus vastes sur l’avenir de la démocratie aux informations les plus concrètes concernant la prévision et le déroulement des grèves ou des occupations, sur les mouvements de la police. La spécificité du « 10 septembre » est alors que ce mouvement a anticipé de loin sa propre mise en œuvre, qu’il s’est annoncé et développé virtuellement bien avant le « jour j » ; on peut trouver cela étrange et risqué. Mais qu’attendre des citoyens sinon qu’ils s’expriment, et cela non dans le vide, mais dans la prévision d’une action collective ? Le 10 septembre a donc tout simplement commencé bien avant son arrivée. Et ce n’est pas pour autant que l’on sait comment il va se dérouler : l’étoffe de l’attente fait bien au contraire ressortir la dimension d’imprévisibilité de ce qui aura effectivement lieu – le 10 septembre et au-delà.

Certes, un double danger guette la résistance. Le premier est le désabusement : les mouvements précédents entendaient changer le monde, ou du moins modifier un fonctionnement gouvernemental, mais a posteriori ils semblent avoir expérimenté le même échec face au rouleau compresseur des institutions centralisées et des processus économiques mondialisés. Le second risque est que des corps constitués (syndicats ou partis) transforment effectivement en répétition stérile ce qui a émergé hors d’eux, et que le 10 septembre ne soit effectivement qu’une journée de grève et de manifestation comme une autre.   

Face au désabusement, on affirmera qu’il est toujours trop tôt pour parler d’échec. Les constitutions actuelles et le néolibéralisme, provoquant ensemble une fermeture des lieux de décisions et une concentration des richesses, n’auront eu qu’un temps ; outre leur capacité d’autodestruction (que le trumpisme rappelons-le, incarne bien), ils sont soumis à trop de facteurs externes pour perdurer : parmi ces facteurs, se trouvent tant les limites des ressources terrestres que les limites de la tolérance de ces populations. Seuls des mouvements populaires sont alors en capacité, non seulement de poser de telles limites, mais d’orienter activement les changements de modes de vie et de gouvernement, en inventant de nouvelles directions. Dans ce domaine, on ne commence jamais, on ne répète jamais, on ne peut que relancer ce qui n’est pas encore abouti – et vise d’ailleurs bien plus une ouverture et des orientations que des aboutissements. La résistance est donc moins menacée par la répétition que par la peur démobilisante de la répétition, contre laquelle il faut aussi lutter, en se rappelant qu’un mouvement social déjà commencé est toujours déjà nouveau - ce qui est bien le cas de celui du 10 septembre.

Face aux capacités de désamorçage de la créativité dont dispose les corps constitués, on rappellera qu’ils sont indispensables dans leur capacité à organiser l’action, mais qu’il faut également que ces corps soient débordés. Ils sont fait pour l’être : ils le sont déjà et le seront nécessairement, par la conjonction de l’utilisation d’internet de l’inventivité propres aux lieux d’installation. 

Tout bloquer, c’est ainsi s’installer quelque part pour donner une nouvelle forme au Tiers-État :  On ne peut savoir ce que cela donnera, tout en sachant que ce ne sera ni tout, ni rien, mais quelque chose.

J. Lèbre, auteur d'Eloge de l'immobilité Desclée de Brouwer, 2018 et de Repartir, une philosophie de l'obstacle, PUF, 2023. 

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