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Billet de blog 16 février 2017

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Fillon et l’emploi fictif de l’autorité

Elle l’a toujours assisté, du moins en apparence ; il l’a employé d’une manière totalement fictive tout au long de sa carrière politique; mais c’est sans doute elle qui causera l’échec de sa candidature; ce ne sera pas un scandale: elle ne fera que l'entraîner dans sa disparition, comme quand il était le premier ministre de Sarkozy ; sur les services que rend l’autorité à François Fillon.

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Elle l’a toujours accompagné, et en apparence, assisté, dans les meilleurs et dans les pires moments de sa carrière politique ; il lui doit tout, l’invoque à chaque occasion, souffre de son absence. C’est même pour elle que nous devrions l’élire, lui, du moins c’est ce qu’il ne cesse de nous dire. Il lui a aussi donné indéfiniment et sans compter ; mais en ouvrant un compte commun avec elle qui lui permettait de puiser dans ce qu’il lui versait. Il en va bien ainsi à chaque fois qu’on se paie de mots. Et « l’autorité » n’est pas seulement le mot qui rapporte le plus : c’est aussi celui qui autorise le plus grand sérieux dans l’emploi fictif de tous les autres. C’est ainsi que Fillon emploie l’autorité, comme un mot magique qui devrait enfin rendre efficace le discours politique comme celui des parents, de la police et des professeurs ; un mot qui peut tout, le mot du pouvoir, mais qui n’est plus chez Fillon qu’un mot capable de faire verser le pouvoir et les discours, avant tout les siens, dans la fiction.

La question est sérieuse, ce n’est pas pour rire que nous avons présenté l’autorité comme si elle était une personne avec qui on pouvait entretenir des liens affectifs et familiaux, en même temps que professionnels et politiques. Car ce brouillage entre l’affect, la famille, le travail, l’Etat, si présent dans le domaine des emplois fictifs, est autorisé – par l’autorité elle-même. Tout cela tient d’ailleurs parfaitement dans un Tweet de campagne de Fillon, rappel au sérieux compris : « Je crois à la famille, à l’autorité de l’Etat, au travail. Ces sujets font rire à l’intérieur du périphérique mais ils sont dans le cœur des Français » (23 novembre 2016). C’est de la même manière que le ministre de l’éducation Fillon entendant à la rentrée 2004 un « véritable cri du cœur en faveur du retour à l’autorité », qu’il assimilait à un « malaise » de la société tout entière. Prenons très au sérieux tout cela, et d’abord la naissance de l’autorité dans la famille. Pour l’enfant, elle est ce qu’il ne désire pas dans ceux qu’ils aiment, c’est-à-dire leur capacité à contrarier ses désirs. Il lui faut alors beaucoup d’imagination pour aimer ce qu’il n’aime pas en eux, et il s’y emploie, jusqu’à l’idéalisation et l’identification. Et c’est ainsi que l’autorité, indispensable à la constitution du sujet, verse aussi inévitablement dans l’imaginaire. C’est ainsi également que le même « cri du cœur » peut s’entendre dans toutes les relations sociales, dans le monde du travail et finalement dans la relation entre la société et l’Etat. Ce cœur en demande d’autorité, scindé entre amour et respect, malheureux de désirer le contraire de ses désirs, est bien à l’origine d’un malaise général, qui est aussi celui des hommes politiques, à commencer par Fillon. Personne ne peut en effet occuper la position de l’autorité au point de l’incarner, même si tout l’imaginaire familial et politique vise cette incarnation. Et de fait, en dehors de la fiction, cela ne fonctionne jamais : les enfants n’écoutent pas, les élèves non plus, et cette société qui criait son besoin d’autorité « matraque » celui qui proposait de la personnifier.

Alors que les emplois fictifs dont est suspecté Fillon concernent son activité parlementaire, ce sont bien plutôt les positions qu’il a occupées ou prétend occuper dans l’exécutif qui révèlent son emploi fictif de « l’autorité ». Plusieurs fois membre de différents gouvernements, il s’est vraiment révélé dans le poste qu’il désirait le moins, celui de ministre de l’éducation. Il pouvait alors se consacrer avec une ferveur à la fois malheureuse et sérieuse à la transmission pyramidale de l’autorité (des inspecteurs aux professeurs, des professeurs aux élèves) tout en sachant très bien qu’il n’en disposait pas, comme l’exprime (mais l’entend-on encore ?) le seul mot de ministre. D’un côté, la véritable autorité restait celle des parents – et il était à leur service d’une manière contradictoire, en souhaitant augmenter leur pouvoir, quitte à remettre en cause celui des professeurs, et donc aussi le sien ; d’un autre côté, il était lui-même sous l’autorité du premier ministre. Devenu plus tard premier ministre, il se trouvait précisément dans cette position impossible, et pourtant la moins fictive qu’il ait connue dans sa carrière, qui consiste à transmettre toute l’autorité de l’Etat sans en disposer. Il dépendait en effet immédiatement de celui qui prétendait l’incarner, le Président de la République. La différence gaulliste entre Président et premier ministre est une croix pour ce dernier, surtout s’il est gaulliste, mais sur cette croix nous avons vu Fillon disparaître : on ne l’entendait même plus demander pourquoi l’autorité l’avait abandonné, on le voyait à peine, il avait laissé sa place vide, ou occupée par le Président Sarkozy lui-même. Maintenant candidat à la Présidence, il est tout simplement pris dans le désir de ce qu’il n’a jamais obtenu, quitte à s’y croire déjà. C’est ainsi qu’il étend d’une manière inconcevable l’immunité présidentielle à son statut de candidat, pour se protéger contre toute critique.

Cela n’empêche pas à Président imaginaire de se désigner en même temps comme la victime, à la fois vulnérable et invulnérable, d’une « violence » tout aussi imaginaire. « Depuis que le monde existe, aucune autorité n’a encore voulu se laisser prendre pour objet de la critique », écrit Nietzsche, et il semble donc appartenir à l’essence de l’autorité d’intimider ceux qui s’opposeraient à elle plutôt que d’avouer la moindre faiblesse. Mais dans le même texte d’Aurore, Nietzsche précise qu’il appartient à l’autorité morale d’utiliser, outre l’intimidation, la séduction : « elle réussit parfois avec un seul regard à paralyser la volonté critique, ou encore à attirer celle-ci de son côté, il y a même des cas où elle s’entend à la faire se tourner contre elle-même : en sorte que, pareille au scorpion, elle enfonce l’aiguillon dans son propre corps. » La séduction la plus trompeuse, la plus fictive, consiste donc bien à puiser son autorité dans un statut de victime vis-à-vis d’un pouvoir immoral (la presse par exemple) ou d’une autre autorité (les juges). L’extrême droite est experte en la matière, jusqu’à se présenter comme une victime de l’Etat (l’establishment). Fillon ne va pas jusque là, ou pas encore, et se trouve donc dans la situation transitoire et un peu ridicule d’un homme dont toute la stature consiste dans le fait « qu'il ne se laissera pas abattre ».  C’est ainsi qu’il s’affaiblit de jour en jour, jusqu’à retourner dans les bureaux de celui auquel il avait jadis laissé sa place, à savoir Sarkozy.

Finalement, le problème de Fillon, c’est peut-être qu’il n’a jamais cru, ni comme parlementaire, ni comme ministre, ni comme candidat, à la seule autorité qui exprime d’une manière rationnelle et démocratique la nécessité de limiter les volontés de chacun, y compris celle du chef d’Etat, des parents, des professeurs et même des juges ; qui verse le plus difficilement dans l’imaginaire, ne se laisse pas facilement personnifier, ne séduit pas, ne peut pas se présenter comme victime : l’autorité de la loi. Peut-être est-il cependant voué à la rencontrer. 

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