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Billet de blog 16 novembre 2025

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« Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale »

Après avoir résumé les conférences d'ouverture du colloque "La Palestine et l'Europe, poids du passé et dynamiques contemporaines" des 13 et 14 novembre 2025 (CAREP, Paris), je reprends les exposés du premier panel, toujours sans chercher à citer littéralement ni à interpréter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après avoir résumé les conférences d'ouverture, je reprends les exposés du Panel 1, toujours sans chercher à citer littéralement ni à interpréter. Je rajoute seulement entre parenthèses quelques précisions utiles (dates, faits). Si les lectrices ou lecteurs voient des corrections à faire, je leur serai reconnaissant de me les signaler en commentaire.

Source : chaîne YT Carep Paris 

« Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale »

Modération de Stéphanie Latte-Abdallah, CNRS

Dès les années 1830-1840, les projets coloniaux des Européens en « Terre sainte », à visée civilisatrice, ouvrent la voie à divers courants colonialistes, notamment le sionisme. L’ambition de ce panel est de réfléchir à la nature du sionisme et son articulation aux projets expansionnistes européens du XIXe siècle. Comment faut-il comprendre le projet de Theodore Herzl ? Comment celui-ci a-t-il évolué pour se distancier du colonialisme européen ? Servait-il l’intérêt des puissances européennes ? 

Introduction de Stéphanie Latte-Abdallah, CNRS, modératrice (2:2:42 – 2:5:40)

 Malgré les tribunes de soutien au colloque, aucun président d’Université n’a souhaité l’héberger, si bien qu’il se déroule dans un lieu accueillant mais petit. Ce décalage entre les paroles et les actes rappelle la situation de la Palestine. Rappelons aussi que le langage colonial intégré au titre de ce panel est employé par les fondateurs du sionisme.

Rina Cohen-Muller, INALCO : Les Puissances européennes et la Palestine au XIXe siècle : émergence d’une entité politique ? (2:5:40 – 2:24:12)

Les puissances européennes discutent de l’avenir de l’empire ottoman dès le XIXe s., chacune avec des projets ambitieux. Un intérêt particulier porte sur les lieux saints : la France est fille aînée de l’Église et se considère comme protectrice de ces lieux, la Russie veut déplacer le patriarcat de Constantinople à Jérusalem, Metternich propose l’internationalisation de Jérusalem, Gladstone trace pour la première fois les frontières du territoire (1839), qui seront celles des accords de Sykes-Picot (1915-16). Ces projets mènent à un statu quo entre ces puissances.

En 1841, le territoire qui passe de la domination égyptienne à la domination ottomane devient le Pachalik de Jérusalem ; à partir de 1872, Jérusalem dépend directement de la Sublime Porte jusqu’au mandat britannique. La population est chrétienne, musulmane, juive, celle de Jérusalem intra muros (1 km2) et majoritairement peuplée de musulmans. La population juive croît dans cette période selon des facteurs exogènes.

La correspondance entre l’administration française et les consuls montrent qu’ils ont officiellement une mission « religieuse et politique » ; cette formulation est formulée régulièrement jusqu’à la fin du siècle. La partie essentielle de ces échanges est consacrée aux lieux saints. Chaque puissance se donne une mission de protection et fixe ainsi le périmètre de chaque communauté : la France protège les sujets religieux latins et les juifs algériens émigrant pour des raisons principalement religieuses ; l’Angleterre n’a pas d’anglicans à protéger, sa politique est animée par un courant millénariste visant à convertir les juifs pour précipiter la rédemption. Les Anglais installe leur consulat dès 1841, sans avoir à protéger sur place une communauté de croyants : leurs institutions caritatives sont destinées aux Juifs ; l’Autriche rivalise avec la France pour la protection des catholiques et protège les juifs de Galicie et de Hongrie fuyant la modernité européenne ; la Russie protège la plus grande population non-musulmane, les orthodoxes, face à ce qu’elle nomme les « attaques missionnaires catholiques et protestantes ».

La victoire de Crimée (traité de 1856), dont l’un des déclencheurs a été le conflit pour le contrôle des lieux saints, fait entrer la province dans une phase nouvelle. L’empire ottoman entame une centralisation administrative ; les consuls se rapprochent des gouvernements au détriment des chefs locaux. En 1839 et 56 l’empire décrète l’égalité devant la loi de tous ses membres ; mais chaque communauté religieuse garde son autonomie dans la gestion de ses affaires domestiques ; en 1867 les étrangers sont autorisés à acquérir des terres ; cela favorise le déploiement des institutions missionnaires qui deviennent pléthoriques : écoles, hôpitaux, dispensaires orphelinats… En 1873, le consul français déplore ce débordement. On développe les hostelleries pour les pèlerins, dont le nombre se multiplie ; les récits de voyage se multiplient aussi : ils élaborent les champs de la géographie puis de l’archéologie sacrées. Comme le dit Jean-Claude Berchet : « le voyageur de la deuxième moitié du XIXe s. ne va plus à la rencontre d’un lieu mais à sa conquête » ; il transfigure les lieux visités. De même, sur la Terre sainte, il s’agit de reprendre possession. C’est ainsi que l’Orient se construit et se fige. Les projets qui ont pour objet la population et le territoire répondent à cet imaginaire : il s’agit de faire fleurir des plaines désertes… Ils sont teintés de couleurs coloniales. On peut prendre l’exemple de celui d’Henri Dunant, l’un des fondateurs de la croix rouge, pieux calviniste et homme d’affaires fortuné, qui rédige en 1866 la « Charte de la société internationale universelle pour la rénovation de l’Orient », laquelle développe l’idée de prendre possession de la Palestine ; il s’agit de « coloniser internationalement les plus fertiles vallées de la Terre sainte ». Dès 1849 des colonies se développent : des Prussiens, Anglais, Américains, Russes, Suédois s’installent avec l’accord de leur gouvernement et de l’empire ottoman. Il s’agit surtout d’évangiles, de millénaristes, de presbytériens, d’anglicans....

La population juive croît au XIXe s. d’une manière exponentielle : en 1800, elle représente 2,5% de la population locale, puis sa croissance est de 300% entre 1800 et 1880. Elle devient majoritaire à Jérusalem. Avant 1882, date du début de l’immigration sioniste, les Juifs rejoignent l’ancien Yishouv. Ils viennent d’Europe centrale et orientale, leurs communautés ont le soutien des consuls de leur pays d’origine et sont financés par la diaspora. Quant à la majorité des musulmans, elle vit de la terre, comme dans les provinces limitrophes. Cette population est organisée par clans.

La Palestine connaît un relatif vivre ensemble, les non-musulmans vivaient dans de meilleures conditions qu’en Europe à la même époque. Les tensions sont mineures. Il ne s’agit pas de brosser un tableau idyllique : sporadiquement des conflits éclatent et concernent en général les populations chrétiennes, et dans ce cas les consuls interviennent. Lors de l’affaire de Damas en 1840 ou du massacre des Chrétiens au Liban et en Syrie en 1860, les autorités à Jérusalem craignent des répercussions locales ; il n’en est rien, ce qui montre l’efficacité de règles non-écrites de non-transgression. En revanche les grandes questions qui traversent l’Europe sont présentes dans la Jérusalem du XIXe s. 

Pour conclure ou ouvrir : la constitution ottomane de 1908, donne naissance à l’Ottomanisme dont les mots d’ordre sont liberté, égalité, fraternité et justice ; elle donne aussi naissance à des identités multiples. D’où la vision d’une identité locale qui dépasse les clivages confessionnels. Le début du XXe s. est marqué par des débats sur l’ottomanisme, l’arabisme et le sionisme. Les rapports consulaires notent essentiellement les acquisitions des terres par les Juifs. A la fin du XIXe s., sur place, il n’y a pas de projet d’identité nationale ; mais tout ceci est déjà de l’histoire ancienne…

Lorenzo Kamel, Università degli Studi di Torino : Le sionisme, l’antisionisme et au-delà (2:25:16 – 2:47:30)

LK a fait ses études à l’Université de Jérusalem et ne souscrit pas nécessairement à l’idée que le sionisme est seulement un mouvement colonial ou un mouvement nationaliste : la situation est bien plus complexe.

Les Juifs tendent à considérer le sionisme comme un principe ; les Palestiniens le voient comme une pratique de violence, ce qui a pour effet un déni du droit d’installation des Juifs. Les chercheurs se doivent d’avoir des approches plus nuancées.

L’antisionisme est-il une extension du colonialisme européen ? Il faut contrebalancer ici colonialisme et effort d’autodétermination. Il y a eu des caractéristiques coloniales dans l’installation juive, y compris dans la manière de traiter les locaux, 92% de la population au début. Pour certains la population était un capital, pour d’autre un obstacle à éliminer. Mais il y a eu aussi des caractéristiques non-coloniales : par exemple l’argent ne passait pas de la Palestine vers l’Europe. Le débat est donc bien plus complexe qu’on voudrait le croire.

Parfois les citations de Herzl sont tronquées : un exemple montre que s’il parlait dans son journal d’expropriation, c’était surtout à propos d’affectation aux Juifs de la propriété privée des Etats présents sur le territoire ; il insistait aussi dans les phrases suivantes, qu’on laisse souvent sous silence, sur le devoir de protéger les populations relevant d’une autre foi et de respecter leurs propriétés. Herzl disait que le sionisme était un poste avancé de la population par rapport à la « barbarie », mais sans mentionner une barbarie arabe.

Quels sont les effets du sionisme sur le terrain ? On a dit que les porteurs du développement économique en Palestine dans les cinq décennies avant la première guerre mondiale, étaient les arabes et les chrétiens : les effets du sionisme de ce point de vue auraient donc été plutôt négatifs que positifs ; la popularisation de l’image de la Palestine comme un désert qui attendait d’être sauvé de l’aridité était en décalage net par rapport à la réalité. Mais cela était aussi dû au fait que les bénéfices étaient partagés avec les locaux.

Des témoignages confirment les violences sur la population locale, et des textes officiels municipaux de Jérusalem les qualifie de « nègres indigènes » ; la gestion du pays était très discriminatoire vis-à-vis des Palestiniens locaux : il y avait des amendes, des expulsions quand on employait des ouvriers agricoles qui n’étaient pas de confession juive. Le droit moral des « indigènes » sur leurs terres a été niée. En 1907 le Congrès juif a créé un « département de la colonisation agricole » et cela a bien sûr augmenté les tensions.

On ne peut dans cette question faire l’impasse sur les documents historiques. LK cite à ce propos un texte Hans Kohn (1891-1971), au moment où il renonce à tout rôle institutionnel dans le mouvement sioniste : « Nous prétendons être des victimes innocentes… Nous sommes en Palestine depuis 12 ans (depuis le début du mandat britannique) sans avoir fait la moindre tentative sérieuse de nous concilier par la négociation le peuple indigène. Nous nous sommes donnés des buts qui dans leur nature même devait mener au conflit avec les Arabes. Pendant 12 ans nous avons fait comme si les Arabes n’existaient pas et nous étions heureux à condition de ne pas nous souvenir de leur existence ». Nous devons prendre cela en considération. Refuser de le faire, c’est être antipalestinien. On voit bien que l’antisémitisme et l’anti-palestinianisme sont les deux faces d’une même pièce. Les deux reposent sur une ignorance profonde de la relation à l’autre.

Michaël Séguin, Saint-Paul University : Pour une relecture décoloniale du récit de vie de Shimon Peres : pionnier sioniste ou colonisateur européen ? (2:48:47 – 3:9:45)

MS trouvait important d’être ici en tant que Canadien, y compris pour manifester sa solidarité vis-à-vis des chercheurs français après l’interdiction de ce colloque au Collège de France. Il entend prendre le contrepied de l’exposé précédent et être sans nuance. Il parlera comme sociologue, en accentuant sur la théorie avant d’illustrer le cas Peres.

Le débat sur Israël, comme étant colonial ou non, a débuté dans les années 60 et s’est accentué dans les années 80-90 quand les chercheurs israéliens se sont emparés de la question, avec deux points de vue tranchés : le point de vue sioniste : les Juifs reconstruisent leur ancien royaume ; et le point de vue palestinien : les Juifs ont pris notre terre, c’est un mouvement impérialiste et colonialiste.

MS propose un double recadrage : théorique et centré autour de Peres.

Il commence par le recadrage théorique. Qu’est-ce que le colonialisme ? Lorenzo Veracini le définit selon deux caractéristiques : le mouvement du colonisateur dans l’espace et la domination exogène du colonisateur sur un certain ordre social. Ce qui distingue le colon de l’immigrant (qui n’exerce pas de domination) ou de l’élite autochtone (qui domine sans se déplacer). Il faut distinguer (Piterberg) un colonialisme centré sur la métropole (metropole colonialism - domination à des fins économiques, comme celui de l’Europe en Afrique) et un colonialisme centré sur les colons (settler colonialism – à des fins de transfert, de substitution aux indigènes, comme celui de l’Europe dans les Amériques – le colonialisme est alors de structure et non un événement).

Et qu’est-ce que la pensée décoloniale ? On peut se fonder cette fois sur Mignolo et Mills ; cette approche émane d’Amérique latine ; c’est la prise de conscience que le colonialisme amène des systèmes de hiérarchisation : ils reposent sur des institutions, des récits, des catégories sociales légitimant l’action des colonisateurs et discréditant les savoirs, les rapports au temps et à l’espace des colonisés. A partir d’une pensée de la marge (border thinking), on essaie de dévoiler les angles morts de cette situation ; dans le cas de colonialisme de peuplement, le projet de transfert implique un « idéal vertueux » niant les valeurs de l’autre.

De là on peut passera au cas Peres : Peres est présent dans tous les grands chapitres de l’histoire israélienne ; il appartient au groupe ethnique dominant, toujours aujourd’hui, le groupe ashkénaze ; il est l’un des protégés de Ben Gourion ; il a été longtemps considéré comme un « faucon » : il a mis sur pied le programme nucléaire (avec l’aide de la France) et le programme aérospatial israéliens. Mais on pense aujourd’hui surtout à lui comme à une colombe, l’acteur des accords d’Oslo, le prix Nobel de la paix. Il a adoré parler de lui-même, il a tout de même écrit deux bibliographies, et on peut le découvrir aussi par ce biais.

 Peres est né dans un shtetl biélorusse en 1923, il a émigré en Palestine en 1934 ; il se joint aux Jeunesses sionistes, puis à un Kibboutz ; il devient membre de la Hagana (l’armée juive). Il devient secrétaire général de HaNoar HaOved ; il est ainsi repéré par Ben Gourion. Donc il nous parle de colonisation d’une manière pratique, il a participé par le travail de ses mains au projet de « faire fleurir le désert » et il le souligne. Dans ses écrits, qu’est-ce qui se dégage de son rapport à la terre ? au sionisme ? à l’altérité nationale ? Il dit se situer entre la piété de ses grands-parents, la culture moderne, le sionisme, et « les ciels bleus et les orangers d’Heretz Israel » : « Je pouvais sentir les oranges en train d’éclore et voir les muscles brillants des jeunes kibboutzniks de manière aussi vive que je sentais la forêt ». Ce récit fait de sa vie un destin partagé collectivement. On voit le contraste entre le climat maussade du shtetl biélorusse et le soleil israélien. Là est le lieu où la nation juive peut renaître par la culture de la terre, en contraste avec la diaspora. Cet îlot de verdure est à défendre. Les kibboutzniks ont pour mission de travailler et protéger leur terre.

 Peres est impliqué dans des mouvements de jeunesse qui sont des lieux de débat entre deux pôles, l’extrême gauche et la droite fidèle au dogme du Grand Israël. Et lui, dans la suite de Ben Gourion, veut suivre une troisième voie. Il rejette dans l’irréalisme les conceptions binationales de Brit Shalom (ses partisans seraient naïfs) et HaShomer Haïzair (qui serait soumis à l’URSS) et considère comme un danger la fraternité judéo-arabe ; la voie de droite, celle du Grand Israël, est tout aussi dangereuse ; la troisième voie est celle d’un État israélien sur une partie du territoire : celle d’un État ancré dans l’histoire biblique, la Bible devenant le fondement de légitimité nationale.

La culture russe agit donc comme creuset culturel pour lui : l’Union soviétique était une source de fascination et de culture pour l’ethos en Palestine mandataire. Les chansons en hébreu étaient russes… La majorité fondatrice vient en effet d’Europe de l’Est.

Se profile alors chez Peres une hiérarchie raciale coloniale, celle décrite par Lorenzo Veracini cité plus haut : les Russes sont une source culturelle, des maîtres de jadis qui ne dominent plus, ils sont aussi une source de danger potentiel ; les Britanniques sont en revanche une présence occupante illégitime, gagnée par les Arabes ; les nazis sont des ennemis impitoyables confirmant la nécessité de créer l’État israélite. Quant aux « Arabes » ce sont selon Peres des sémites charmants qui peuvent à tout moment changer de camp, et ont pris le parti des nazis ; au fond les Arabes de Palestine constituent des villageois, des maraudeurs, qui ne font pas une nation.

Ce qui se dégage de tout cela, c’est que Peres relie les rapports sur le territoire à différents groupes : la culture du Yishouv est fondée sur la culture russe tout en étant une ode à la modernité occidentale. Son récit nous montre une terre qui appartient exclusivement à la nation juive. Il n’y a pas de reconnaissance de la Nakba et de la légitimité des Palestiniens dans ses écrits, même au moment du processus de paix qu’il mène lui-même. Sur la présence des Palestiniens, Peres oscille entre la confession d’une naïveté (on n’avait pas vu qu’ils existaient…), l’exotisme (ils étaient si différents), la nécessité de s’imposer (il fallait se défendre). Ainsi depuis 1948, tout scénario ne conduisant pas à un État juif est perçu par Peres comme une collaboration indésirable avec l’URSS, l’Angleterre ou les Arabes. Dans un dernier mémoire publié après sa mort, en 2017, Peres nous donne sa version de la paix en relation avec la construction du réacteur nucléaire à Dimona : « j’ai construit Dimona pour arriver à Oslo ». Il ne s’agit pas pour lui de mener une guerre mais d’en éviter une. S’il faut une arme nucléaire pour faire la paix, on peut se demander de quelle paix il s’agit.

Discussion (3:9:45 – 3:28:27)

Question à Lorenzo Camel : Votre position est-elle défensive ? En tout cas le sionisme de Herzl est explicitement un projet de souveraineté, de domination de la population sur le territoire ; le sionisme pose donc un problème de principe, pas seulement de pratique

Lorenzo Camel : Non, je ne suis pas dans une position défensive ; seulement j’ai compris mon invitation comme le droit de parler librement, en fonction de ce que j’ai écrit. Quand je parle de « nuance », ce n’est pas pour ne pas prendre position, mais pour prendre la position d’un historien, pas d’un politicien. quelqu’un on tient compte du contexte de sa pensée, de ce qu’il a écrit ; nous tombons amoureux de principes. Mon rôle est de rendre visible les cicatrices de l’histoire. J’ai voulu montrer le tableau dans son intégralité.

Rina Cohen-Muller : J’adhère complètement à cette vision ; nous sommes là en tant qu’historiens, nous travaillons sur des sources ; nous essayons de mettre de côté nos convictions, nos croyances. Je ne parle pas d’objectivité mais de méthodologie.

Michaël Séguin : Il faut faire plus que d’étudier les archives, on doit expliquer les faits y compris actuels, saisir un processus qui va de la spoliation des terres au génocide.

Question aux trois participants du panel : Dans un contexte de guerre génocidaire, pourrait-il y avoir une autre voie que celle de la condamnation ? Un colloque académique est-il une autre voie ? Et à propos du sionisme : comment faire pour qu’il ne soit pas assimilé à l’antisémitisme ?

Michaël Séguin : Il y a quelque chose de spécifique au contexte français : une vague d’antisémitisme ces deux dernières décennies, qui a renforcé l’assimilation antisionisme – antisémitisme ; mais il reste un espace de débat.

Question à Rina Cohen-Muller : Vous avez dit que la population de Jérusalem était majoritaire au XIXe s. : quelles sont vos sources, sachant que les archives palestiniennes ont été confisquées par Israël, et que la vieille ville de Jérusalem est aujourd’hui encore majoritairement musulmane, malgré 50 ans d’occupation et d’expulsion

Rina Cohen-Muller : aujourd’hui la situation est aux antipodes de celle du XIXe s. Les chiffres que j’avance sont admis par la majorité des historiens. J’ai parlé de la ville intra muros. Il y a bien eu une concentration de la population juive au XIXe s. dans cet espace.

Henry Laurens : On calcule la population de la Palestine à partir des recensements ottomans qui sont excellents à partir de 1830-40. Mais ces recensements ne prennent pas en compte les sujets non-ottomans, ce qui diminue la population juive, mais on compense par les archives consulaires, qui ont enregistré tous les protégés.

Rina Cohen-Muller : Rajoutons que la population fuit les recensements ottomans pour des raisons fiscales, c’est une « fuite dans le désert » connue des démographes… on fait toujours des estimations pour compenser cela.

Remarque depuis la salle : le sionisme est duel : c’est une réaction à l’oppression qui se transforme en projet d’oppression ; il n’est pas assimilable aux mouvements d’émancipation nationale. 1848 et 1895 (ère impérialiste et hypercoloniale, dans lequel s’inscrit le sionisme) sont deux moments très différents. Si on veut parler d’émancipation nationale, on doit parler du mouvement yiddish (dont le Bund), mais le sionisme c’est autre chose : le projet de construire un État sur la base d’une affiliation religieuse. Alors que les nationalismes de la seconde moitié du XIX s. étaient franchement laïques.

 A suivre (autres panels) sur le même blog.

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