Source : chaîne YT Carep Paris
Modération de François Ceccaldi, Collège de France
Depuis le traité de Rome signé en 1957, l’Union européenne (traité de Maastricht, 1992) se présente comme un acteur normatif, comme la garante du respect des droits humains et du droit international. C’est dans ce contexte qu’elle a définit sa position sur la question palestinienne : déclaration de Venise de 1981, de Berlin en 1999, ensemble de déclarations au moment du processus de paix… Au-delà de cet affichage normatif, il convient d’analyser son rôle concret dans les processus politiques et diplomatiques en Palestine. Après un retour historique, revenant sur le contexte de création des institutions européennes, ce panel interroge l’élaboration des politiques par l’UE et ses effets sur les acteurs politiques palestiniens.
Daniela Huber, Université de Rome III : De la Communauté européenne à l’Union européenne en Israël/Palestine : continuités et ruptures ? (5:17:55 – 5:32:9 )
La communauté européenne a été fondé par le traité de Rome ; nous avons une histoire coloniale de cette communauté dont on doit tenir compte ; on passe de la politique étrangère des États à celle de la communauté. Pour la question palestinienne également ; les puissances européennes évitent d’assumer alors leur responsabilité historique (la période coloniale, l’histoire de l’antisémitisme).
Dans la période post-indépendance, au moment de la crise de Suez, le « conflit arabe » n’est plus dominé par la communauté européenne, mais par les USA et l’URSS.
Dans les années 70-80, l’inquiétude grandit au niveau de la communauté européenne, sur les questions de boycotts liés au pétrole. La politique étrangère autour du conflit israélo-arabe se développe. Le discours européen change : il ne s’agit plus de la « question arabe » à la lumière des réfugiés et du droit d’autodétermination des Palestiniens ; en 1973 on leur reconnaît le statut de peuple, on parle du respect de l’intégrité territoriale ; puis vient la déclaration de Venise en 1980 : on insiste sur l’auto-détermination, l’illégalité des colonies, la « désoccupation », avec les Etats-Unis comme médiateur. Mais on ne parle pas dans cette déclaration du droit des Palestiniens à un État comme le fait l’ONU. Le mouvement des non-alignés à l’ONU a ici eu un grand rôle, y compris pour l’Europe.
A la fin de la guerre froide, s’instaure un nouvel « ordre international », mais cela n’a nullement amené la liberté dans le monde arabe. Un processus de mondialisation mène aux accords d’Oslo. On s’éloigne du panarabisme des années 60 et de la « question arabe » des années 80 au profit de la souveraineté des États, qui agissent sans consultation de leur population. Dans le cadre d’une Union européenne élargie, difficile d’arriver à un consensus. Les Etats-Unis montent en puissance sur cette question et l’Europe se concentre sur la désoccupation et sur les droits des Palestiniens, l’idée étant qu’ils doivent négocier leurs droits à la puissance occupante. L’Union insiste sur la libération des terres. La déclaration de Berlin de 1999, on parle de l’État palestinien comme une option et non plus comme un droit. Ensuite, il est question de la reconnaissance de cet État « en temps voulu ».
Passons au monde multipolaire, lors de la crise économique de 2008 : il est alors clair que le processus de paix a échoué. L’UE reconnaît la violation des droits de l’homme en Palestine mais sans viser la structure politique responsable de cette violation. A l’ONU, le vote sur l’autodétermination des Palestiniens divise les pays européens. On constate en 2022 qu’il n’y a plus d’union de ces pays sur cette question. L’Union européenne revient à une logique de colonialité : il y a en Palestine des hiérarchies ethno-religieuses qui créent des sujets dépourvus de droit, mais l’Europe s’avère impuissante à contrer cela.
Mandy Turner, Security in Context / International State Crime Initiative — Queen Mary University of London : La construction de la paix occidentale comme contre-insurrection en Palestine occupée (5:33:00 – 5:54:00)
L’intervenante remercie les organisateurs d’avoir relevé le défi du maintien du colloque.
Ce qui se passe en Palestine en termes de négociation de paix masque la réalité. Il faut revenir au contexte de ce qui se passe localement et l’exposé se focalisera sur les dernières années. Il est difficile ici de distinguer ce que fait l’Europe et ce que font les Etats-Unis. Il sera ici question des pays occidentaux en général, sans nier la différence entre les différents pays européens.
Une des principales causes de l’attaque du 7 octobre du Hamas est liée à la politique occidentale vis-à-vis par rapport à la Palestine et Israël. Le cadre d’Oslo (1993-95) n’a pas pu jouer son rôle. Ces accords n’ont pas été mis en œuvre, les Palestiniens ont subi différentes formes de contrôle habillé sous les atours de la « réforme ». Le rôle de l’Occident a été très important à ce niveau.
Il faut lier à ce propos consolidation de la paix selon la méthode occidentale et contre-insurrection. La contre-insurrection a été développé par les Français (Algérie, Indochine) et les Britanniques, par les Etats-Unis pendant la guerre froide. Les élites locales devaient être cooptées, les résistants mis au silence pour atteindre une stabilisation de la société. Ces pratiques liées à la colonisation ont favorisé la violence en Palestine : assassinats ciblés, détentions sans procès, gestion de statuts de résidences, points de contrôle…
La contre-insurrection repose sur la gouvernance, le développement économique et la sécurité. Du point de vue de la gouvernance, la stratégie consiste à soutenir certaines élites et à écraser celles qui s’opposent ; dans ce contexte les élites palestiniennes sont celles qui ont été adoubées par les autorités israéliennes et acceptées pour cette raison par les donateurs, les Américains, les Européens. Du point de vue du développement économique, il s’agit de développer les infrastructures, ce qui fait partie des accords d’Oslo ; mais les recettes ne sont pas transférées à l’autorité palestinienne et encore moins après le 7 octobre. Dans le domaine sécuritaire, il s’agit de coordonner la souveraineté israélienne et l’autorité palestinienne mais dans le cadre d’un processus de colonisation. Il s’agit aussi de démanteler la résistance palestinienne.
Ces techniques de contre-insurrection sont présentées comme étant un effort de paix. Mais cela dans une situation où Israël continue de confisquer les terres palestiniennes, de refuser des transferts de taxes vers la population, en mettant sous pression les donateurs étrangers. Les accords d’Oslo n’ont donc pas été mis en œuvre. L’Occident s’est efforcé de rétablir la consolidation de la paix mais sans poser de conditions à Israël. L’aide aux Palestiniens est subordonnée à la non-violence par les accords d’Oslo, mais le Hamas est monté en puissance car il refusait ces accords dans un contexte de violence de la souveraineté israélienne. Les Occidentaux auraient pu choisir la voie diplomatique au lieu de sanctionner le Hamas : il n’y aurait peut-être pas eu de guerre civile et de 7 octobre. Le langage de la paix est utilisé non pour mettre fin à l’occupation mais pour la repousser aux calendes grecques.
Un plan de paix en 25 points a été présenté par l’Union européenne, la solution à deux États est présentée comme magique, mais il faudrait d’abord mettre fin à l’occupation. L’approche doit être la décolonisation.
Muriel Asseburg, Stiftung Wissenschaft und Politik : Une lecture critique des rôles de l’Union européenne en Palestine (5:55:12 – 6 :23 :52)
NB : la mauvaise qualité de la traduction simultanée et du son fait qu’il est mieux de suivre cette conférence sur cette page
La communication est centrée sur le soi-disant processus de paix en allant jusqu’au 7 octobre 2023. Dans cette période l’Union européenne et ses États se considérait comme gardien du droit international et des droits de l’homme : il s’agit de l’Europe normative. Mais il y a un fossé énorme avec la politique concrète de l’Union européenne.
L’exposé se concentrera sur deux mantras de l’Union européenne dans cette période :
- La solution à deux États. Mais l’UE n’a exercé aucune pression pour favoriser cette solution.
- Les réformes du système politique palestinien, comme condition de construction de paix, mais elle a dépriorisé l’autodétermination.
Les déclarations de Venise, Berlin, Séville, soulignent le droit à l’autodétermination, l’idée d’État palestinien, sur la base des frontières de 1967. Depuis le début du processus d’Oslo, l’UE a soutenu la société civile palestinienne, mais depuis la seconde Intifada ce soutien a été restreint et il a été transféré vers l’aide d’urgence et l’aide humanitaire. Les États membres ont privilégié des relations bilatérales avec Israël plutôt que de promouvoir la politique européenne. Il n’y a plus eu d’unité de vote, d’accord sur la marche à suivre (boycott, sanctions envers Israël, reconnaissance de l’État palestinien) et les Etats-Unis sont devenus leaders dans la région.
Parlons du premier mantra, la solution à deux États : dans toute cette période des années 1990 à 2024, l’UE n’a jamais actionné de levier pour favoriser cette solution ; l’UE a critiqué la politique de colonisation d’Israël, mais sans sanction prévisible. En 2008 et 2022, l’UE a décidé de suspendre des réunions diplomatiques avec Israël, mais dans les faits a renforcé continûment ses relations avec l’Etat israélien ; les États membres ont intensifié leur coopération militaire et le partage des renseignements. Aucune condition n’a été posée à cette coopération. Le gouvernement israélien accuse l’UE d’être partiale au bénéfice des Palestiniens voire d’être antisémite, mais concrètement c’est l’inverse : l’UE a bien plutôt conditionné sa relation avec les Palestiniens à la reconnaissance de l’État d’Israël, le respect des accords signés, la renonciation à la violence. On arrive même à penser que cela pourrait être une demande des interlocuteurs israéliens, mais le fait est que les Européens souhaitent travailler avec Israël. La faillite des dernières médiations depuis 2014 montre que l’option de la solution des deux États est une option sans priorité stratégique. L’UE n’a toujours pas reconnu la Palestine qui devait arriver « en temps et en heure » selon la déclaration de Berlin de 1999. Les deux dernières années, ils ont poussé les Palestiniens à ne pas opter pour une déclaration d’indépendance, à ne pas convoquer la justice internationale. L’UE et ses membres partagent la responsabilité de la faillite des accords d’Oslo, ils ont sapé les efforts palestiniens d’autodétermination et ont toujours privilégié leur relation avec Israël. Ils partagent la responsabilité de la récidive des conflits. Ils ne sont pas les principaux responsables, mais l’UE est tout de même un acteur important.
C’est après les horreurs des événements dans la bande de Gaza que l’UE a recommencé à faire de la résolution du conflit un point pertinent, a parlé de reconnaissance de la Palestine, de suspension des accords d’association avec Israël etc. Le plan Trump a apporté un soulagement car il déchargeait l’UE de tout accord sur ces mesures.
Le second mantra est que l’UE a été l’acteur principal de soutien à la construction de l’institution palestinienne ; elle a prétendu que cela évoluerait vers la gouvernance concrète et constituerait le noyau de l’élaboration de l’État palestinien et de l’autodétermination. Mais les réformes qui ont eu lieu ne vont pas du tout dans ce sens. Il s’agit bien plutôt de rétablir le régime de gestion de conflit prévue à Oslo, ce qui fait de l’autorité palestinienne une sous-traitante de l’occupation. En 2003, les réformes visant à affaiblir le pouvoir du Président palestinien pour des raisons prétendument démocratiques menaient en fait à diminuer le rôle d’une personne qui n’était plus considérée comme utile au processus de paix et à instaurer quelqu’un qui continuerait la coordination sécuritaire avec Israël, quoiqu’il advînt des violations des accords d’Oslo par les Israéliens. L’UE aurait dû suivre le principe « plus pour plus » en termes de droit de l’homme et de gouvernance ; mais l’autorité palestinienne a suivi un processus de démantèlement de séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs, sans réaction européenne. L’autorité palestinienne est en voie d’effondrement, et les États européens optent un soutien direct pour éviter cet effondrement, mais sans poser de conditions pour favoriser une administration au service de la population et non dévouée à son rôle sécuritaire. L’UE ne résiste pas à l’imposition d’un narratif israélien concernant la situation sur le terrain, au niveau de la réforme des manuels scolaires par exemple, une saga qui n’en finit pas.
Dans le cadre en 20 points de Trump, les réformes sont encore sécuritaires, elles limitent la politique étrangère de l’autorité palestinienne ; « l’accord du siècle » fait que les dirigeant palestiniens ne peuvent plus poser un recours devant les instances de justice internationale ; Israël aura un veto sur les réformes de la gouvernance palestinienne.
Le grand problème, quand on regarde la résolution du conseil de sécurité de l’ONU et le plan Trump, c’est qu’ils donnent une légitimité à la continuation de l’occupation militaire à Gaza, la scission en deux de Gaza, la continuation du blocus, la scission entre la Bande de Gaza et la Cisjordanie. Les UE, ou plutôt les États membres dans leur politique étrangère, ont officiellement une approche alternative ; la question est de savoir s’ils vont vraiment la défendre ou si l’Europe restera le soutien secondaire de la politique américaine.
François Ceccaldi, Collège de France, synthèse avant le passage au débat
Les présentations ont montré que les politiques européennes n’ont pas été inopérantes mais qu’elles sont actives, productives pour garantir le maintien d’un statu quo qui n’en est pas un et contribuer à déposséder les Palestiniens de leur auto-indétermination. L’occupation n’est jamais vraiment questionnée. Donc on peut garder un point d’interrogation après la notion d’impuissance.
Débat
Question : qu’elle est le rôle de la société civile dans la « construction de la paix » ?
Muriel Asseburg : Les travaux de Lisa Bongalia sont fabuleux sur ce point. La politique anti-terroriste des Etats-Unis (après le 11.09) a été appliquée dans les zones occupées, comme politique de contre-insurrection : on ne peut donner des fonds qu’à des associations appartenant à une liste agrémentée par les autorités israéliennes, on n’accède pas directement à la société civile. Les Palestiniens sont écartés des institutions internationales, que peuvent-ils faire ? Il est question d’une construction de la paix à partir de la société civile mais en même temps tout est bloqué dans ce domaine.
Muriel Asseburg : L’UE a interrompu tous ses versements de fonds à la société palestinienne après le 7 octobre. La rhétorique est que l’on veut renforcer des éléments modérés et diminuer la résistance violente, mais la politique de l’UE mène à l’inverse. Lorsqu’Israël a commencé à criminaliser les ONG au cœur de la société palestinienne, l’UE n’a pas cherché à protéger ces organisations. Les associations doivent s’enregistrer, donner des informations sur leur personnel etc., et l’UE ne fait rien contre.
Pourquoi l’UE n’a-t-elle jamais pu redresser sa politique, malgré des critiques ouvertes depuis 20 ans ?
Mandy Turner : Disons que c’est la faute des Anglais, de l’ancienne politique impériale… ou que les Etats-Unis, pour des raisons stratégiques, orientalistes, racistes et de lobbying interne continuent cette politique. Mais la jeunesse occidentale résiste maintenant. D’où la divergence entre les élites et cette jeunesse. Cela ouvre un futur où la Palestine serait un emblème de solidarité et de liberté.
Muriel Asseburg : le soutien à la politique israélienne a primé sur les autres considérations ; et la convergence d’intérêt avec Israël est devenue plus importante avec la situation en Ukraine ; le renforcement de l’extrême droite en Europe, anti-arabe, a favorisé l’admiration pour la politique israélienne. Depuis cinquante ans, comme cela a été dit, les USA ont repris le flambeau de la « construction de la paix », et les échecs ont suivi. Les Européens ont changé leur position entre le moment du panarabisme et la suite. Une logique de colonialité a aussi pris le dessus, et elle est renforcée par la montée de l’extrême droite.
A suivre (autres panels) sur le même blog