Jerome LEBRE (avatar)

Jerome LEBRE

Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 janvier 2024

Jerome LEBRE (avatar)

Jerome LEBRE

Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie

Abonné·e de Mediapart

Complicité de fraude au Lycée Stanislas : quelles sanctions ?

Les candidats reconnus coupables de fraude lors de la procédure Parcoursup sont sanctionnés plus ou moins durement. Qu'en sera-t-il des élèves du lycée Stanislas, et du lycée lui-même, après la fraude avérée de détournement de la procédure dont ils ont manifestement été les complices ?

Jerome LEBRE (avatar)

Jerome LEBRE

Ancien directeur de programme au Collège international de philosophie

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur le site de Parcoursup, la classe préparatoire ECG du Lycée Stanislas à Paris dispose toujours de sa certification "Classe préparatoire contrôlée par l'Etat". Contrôlée, elle l’a été en effet, et les résultats sont de notoriété publique :  Le rapport d'Inspection remis au Ministère le 1er août 2023 et récemment rendu accessible à tou.te.s par Médiapart a signalé que  « certains élèves sont incités à renoncer à leurs autres vœux dans Parcoursup au moment de la finalisation du dossier en échange de la garantie d’être admis sur leur vœu dans une classe préparatoire de l’établissement » ce qui est « contraire aux principes et aux règles de la procédure nationale » (p. 30).  Les principes en question sont clairement énoncés dès le titre 1 de la Charte de Parcoursup, elle-même régie par le Code l’éducation (L612-3) : « la liberté d’accès, la transparence, la non-discrimination, l’égalité de traitement des candidats et l’équité de la procédure ». Stanislas a manifestement réalisé l’exploit de n’en respecter aucun. Quant aux règles qui en découlent, elles sont aussi claires et ont été pareillement violées. Le titre même d’un des articles de la Charte (3.2) affirme la « liberté d’expression des vœux » et précise ensuite que le dialogue du candidat avec un établissement «ne peut être constitutif d’une quelconque forme de pré-sélection ». L'administration de Stanislas ne pouvait manquer de lire ces phrases et de les comprendre, même si le terme de "dialogue" a pu lui paraître un peu exotique.   

Mediapart a ensuite étayé et détaillé cette enquête, en montrant que le fils de la ministre de l'Education nationale avait bénéficié de ce système de contournement pour entrer en prépa commerciale (ECG) à Stanislas.  

A certaines fraudes correspondent, après enquête, certaines sanctions. L’Inspection recommandait seulement de « veiller au respect par l’établissement des principes et des règles de la procédure », mais il nous semble (comme citoyen qui s'informe sur le droit, non comme juriste) que d’autres acteurs peuvent exiger bien plus, pour les raisons que nous allons énoncer.         

Les élèves fraudant sur Parcoursup encourent d’abord une sanction disciplinaire de leur établissement, ce qui ne risque pas d’arriver ici puisque ce dernier est complice. Ils encourent ensuite (donc ici bien plus directement) l'annulation de leur admission par les autorités académiques (article D 612-1-36 du Code de l'éducation). Au pénal, ils encourent jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Il suffirait dans ce cas de suivre la jurisprudence, et de condamner les élèves de Stanislas qui ont marchandé leur admission à ni plus ni moins que l'ont été d'autres candidats d'autres établissements, en général plutôt coupables d'avoir donné de fausses informations sur leur scolarité, ce qui ne leur garantissait pas une admission dans un établissement précis.

Notons cependant que les élèves ont dans le cas présent des circonstances atténuantes : tout d’abord il ne s'agit que de complicité de fraude, celle-ci étant répartie entre eux et Stanislas. Ces élèves étant très majoritairement mineurs, on peut aussi argumenter qu'ils ont subi la pression de l'établissement et de leurs parents. Cette pression, déjà avérée par le rapport d'Inspection, est une circonstance aggravante pour Stanislas, qui ne serait plus seulement accusée de complicité de fraude mais de provocation au délit exercée sur mineur. Les élèves pourraient même être considérés comme des victimes d’une discrimination exercée par leur propre établissement, qui leur a bloqué l’accès a des prépas obtenant de meilleurs résultats, ainsi qu’à toutes les autres formations.  On peut aussi les considérer comme victimes d’embrigadement, dans un cadre manifestement très restrictif d’un point de vue religieux et moral, proposé depuis la Maternelle, disposant de son propre vocabulaire jusque dans sa hiérarchie, et dont la velléité de s’écarter est sanctionnée par l’ostracisme, cette menace s’accentuant quand il s’agit de pousser certains membres à transgresser la loi – autant de critères qui relèvent de la dérive sectaire.      

Si les candidats fraudeurs encourent des sanctions, les établissements aussi, mais elles sont différentes, d’autant plus que les fautes le sont.   

Concernant Stanislas le plus urgent est que l'administration publique lui retire pour 2024 la certification, inscrite sur Parcoursup, de "Classe préparatoire contrôlée par l'Etat", puisque ce contrôle par l'Inspection a révélé une fraude grave.  

Le lycée devrait également être sujet à différentes procédures administratives et pénales, enclenchées par l'Etat, par les autres établissements proposant des ECG sur Parcoursup, par les parents des candidats à Stanislas qui n'ont pas été admis, et même par les parents des élèves admis : pour non respect de la loi et de charte de Parcoursup entraînant une distorsion de la concurrence entre élèves et entre établissements, donc une discrimination à effets multiples, reposant de plus sur des faits de chantage voire d'embrigadement.  

 En cas de condamnation par le tribunal administratif et/ou correctionnel, il serait logique que la subvention publique de Stanislas soit diminuée ou retirée. 

Par ailleurs, les membres du personnel de Stanislas ayant directement exercé une pression sur les élèves tombent indviduellement sous l'accusation du fait de "provoquer directement un mineur à commettre un crime ou un délit", et peuvent être punis "de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende." (article 227-21 du code pénal). Le même article dépasse de loin ce plafond des peines quand "les faits sont commis dans les établissements d'enseignement ou d'éducation ou dans les locaux de l'administration", mais seulement quand les mineurs ont 15 ans ou moins: il reste que le contexte éducatif vaut bien clairement comme circonstance aggravante. Il n'est nullement nécessaire pour rappeler cela d'être partisan de la judiciarisation des métiers de l’éducation et de l’enseignement : celle-ci est critiquable, et l'est encore plus si elle n'est pas équitable pour tous les personnels. 

Finissons par un petit rappel : la classe préparatoire ECG du lycée public Jacques-Decour vient d'être fermée (avec d'autres) par le Rectorat de Paris. Les arguments du Recteur sont les suivants. Premièrement, la classe ne serait pas pleine : 47 élèves alors que le taux maximal, qui tend à être considérer aussi comme taux minimum par le Rectorat est de… 48 élèves. D'une manière générale, le Rectorat s'inquiète fortement du fait que les prépas parisiennes publiques ne comptent que 42 élèves en moyenne. Il semble s’inquiéter moins du fait que des prépas privés, dont Stanislas et Madeleine Daniélou (en tête du classement ECG de l’Etudiant) se limitent justement à 42 places disponibles et l’annoncent sur leur fiche Parcoursup : en ajustant ainsi à leur guise leur taux d’encadrement, elles bénéficient des avantages des « petites » prépas tout en jouant dans la cour des « grandes » atteignant le « graal » des 48 élèves. Elles s’accordent ainsi des avantages au moins apparents sur le public en termes d’attractivité et d’efficacité, tout en bénéficiant de subventions publiques. Deuxièmement, la prépa Jacques-Decour serait trop sélective. Cependant, alors que le Rectorat exige en moyenne 9 % de boursiers, elle en accueille 40 % et elle est gratuite, hormis les 172 euros que coûtent à chaque étudiant son inscription parallèle obligatoire à l'Université. Stanislas, selon les informations que l'établissement donne sur Parcoursup, accueille 4% de boursiers et les frais d'inscription sont de 2700 euros. Cette sélectivité sociale ouverte n’a pas sans doute pas sans rapport avec les résultats de Stanislas (cinquième pour la filière ECG, les quatre premières classes se répartissant pour moitié entre le public et le privé selon le même palmarès de l’Etudiant). Chacun pourra alors se demander si les mesures du Rectorat et la répartition de l'argent public sont sur la bonne voie, selon sa propre conception de la politique éducative et de la justice sociale. Le fait qu'une prépa privée ne respecte pas la loi pourrait être plus ou moins intégré à sa réflexion. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.