Source : chaîne YouTube du CAREP
Panel 6 : Réseaux d’influence et intérêts économiques
Ce panel examine les enchevêtrements complexes et multiformes entre l’Union européenne, ses États membres et Israël. La discussion explore les pratiques spécifiques qui contribuent à la perpétuation de l’occupation mettant au jour différents réseaux d’acteurs. Il s’agira d’abord d’examiner la place des groupes de pression pro-israéliens au sein des institutions de l’UE et leur rôle dans l’élaboration des décisions du Parlement et de la Commission. L’analyse portera ensuite sur les circuits liés au commerce des armes et des technologies de surveillance ainsi que sur la présence d’entreprises européennes dans les territoires palestiniens occupés.
Introduction de Leila Seurat (1:50:53 – 1:53 :26)
Deux organisations ont été popularisées depuis octobre 2023, Elnet, un lobby pro-israélien agissant au niveau européen et à celui des États membres, et Elbit system, société de production d’armes liée à des entreprises européennes dont en France la société Eurolinks et Airbus. Elbit System est financé par le groupe Paribas. Elle bénéficie de subventions européennes pour la recherche ; Le problème est celui de la complicité de l’Europe dans le génocide et la captation des terres, la mise en place et l’échec de la société à deux Etats. Comment et pourquoi l’UE était-elle devenue le premier partenaire économique d’Israël ? La question de la recherche de profit n’est pas la seule ici. Les intervenants vont historiciser et sociologiser ces réseaux de lobbying et ces réseaux marchands
Benedetta Voltolini, Kings College London : Lobbying et politique étrangère de l’UE face au conflit israélo-palestinien (1:54:15 - 2:15:9)
Les acteurs les plus actifs du lobbying au niveau européen sont généralement les ONG, les organisations représentant les communautés religieuses et les think tanks. L’intervenante trouvé sur le registre de transparence de l’UE 70 organisations qui représentaient Israël au niveau européen : des groupes comme le Transatlantic Institute de l’American Jewish Committee, l’European Jewish Congress, Elnet, qui a été mentionné dans l’introduction au panel, également un réseau de leadership développant des relations économiques entre l’UE et Israël, des organisations chrétiennes défendant la position israélienne, et des organisations portant sur la situation des Juifs en Europe comme le Congrès européen des Juifs. On repère d’un autre côté des groupes non-étatiques se concentrant sur le respect des droits de l’homme et du droit international pour défendre les droits politiques, sociaux, environnementaux, aussi économiques des Palestiniens et la solution à deux Etats – pas tous d’ailleurs – et certaines de ces organisations critiquent aussi l’autorité palestinienne. Il faut citer Amnesty International et des groupes plus spécifiques. Vous avez également des groupes israéliens et juifs qui souhaitent une avancée dans la situation des territoires occupés, qui sont pour la coexistence et la cohabitation. Certains groupes travaillent de concert, échangent des informations, créent une division du travail.
Du point de vue des actions, ces groupes établissent des formes directes de contact au niveau politique, par emails ou appels téléphoniques ; c’est un travail en coulisses, et c’est le champ le plus intéressant pour les chercheurs. Cela n’implique pas que les officiels, mais aussi la communication dans l’espace public. Ces groupes fournissent des narratifs, des enchaînements causaux, des définitions présentées comme absolues ; ils suggèrent des problèmes, des solutions, des raisonnements menant à l’action ; ils identifient des menaces – dénoncent des acteurs également.
Par exemple en 2015 l’UE a clarifié l’exigence que les consommateurs européens soient informés de la provenance des produits, par exemple de leur provenance des colonies israéliennes ; de nombreux lobbies pro-israéliens ont dénoncé en cela une intention antisémite et une volonté de boycotter les produits israéliens. Le Transatlantic Institute de l’American Jewish Committee a parlé de négation de l’Etat d’Israël, le directeur de l’European Jewish Congress d’une mise au ban.
Les lobbies propalestiniens ont insisté quant à eux sur l’hypocrisie de l’UE accordant une impunité totale aux Israéliens et critiqué le refus de suspendre la coopération avec Israël. Ils affirment que l’UE ne peut pas accepter les violations des droits de l’homme par Israël sans perdre sa raison d’être comme communauté juridique. Leur axe d’argumentation est qu’Israël menace l’intégrité juridique de l’UE et que la coopération avec Israël n’est pas conforme au droit international. Ils s’interrogent sur l’absence de définition claire de la délimitation du territoire israélien. C’est ce qu’on appelle dans notre littérature les politiques de définition : quel est le territoire reconnu, que sont les territoires occupés…
Il reste à parler des stratégies. La polarisation des conflits est très forte, elle s’est encore accentuée avec le génocide de Gaza. Les groupes palestiniens sont en position de faiblesse, on les assimile facilement au terrorisme et au Hamas ; il y a un petit groupe d’une dizaine ou vingtaine de parlementaires européens très pro-israéliens.
Shir Hever : Israël et l’Union européenne dans l’industrie mondiale de l’armement et de la sécurité. (2:15:47 – 2:33:39)
Parlons du cadre juridique : les traités internationaux. Les Conventions pour les sanctions relatives au génocide ou au transfert des armes ne sont pas les seuls textes juridiques qui font que le commerce des armes avec Israël, quand celles-ci sont susceptible d’être utilisées pour commettre des crimes contre l’humanité, est illégal. On oublie alors souvent deux choses : il est interdit d’acheter des armes à Israël car cela finance la machine de guerre ; il est interdit de faire transférer des armes à destination d’Israël par son territoire. Tous les juristes, y compris ceux de l’UE, en sont conscients. En ce moment on assiste donc à un défi contre l’ordre international : de la part de la France, de l’Allemagne, des Etats-Unis, qui ne se considèrent pas comme soumis au droit. Mais cela ne veut pas dire que ce droit ne s’applique pas aux USA, car ils ne peuvent fournir des armes à Israël sans une complicité européenne (pour les transferts) illégale.
On en parle suffisamment, même dans les groupes de solidarité envers la Palestine : les armes utilisées par Israël sont américaines, européennes. Cela tient au fait que les armes produites par Israël sont moins directement destinées à la guerre, qu’elles ont pour finalité la surveillance, l’incarcération, d’occupation ; elles sont exportées avec le label « testées sur le terrain » donc clairement contre les Palestiniens, c’est explicite sur les sites des entreprises d’armement. Les Européens sont intéressés par ces armes qui violent notre vie privée. Pour Gaza il fallait des armes de destruction, des obus de 125 mm américains… L’Allemagne a fourni ce type d’armes en passant par l’Ukraine. Les mitraillettes utilisées par les soldats israéliens sont importés de France. Il s’est donc instauré un échange entre armes de destruction et armes de surveillance entre Israël et les pays occidentaux. L’intérêt économique des sociétés d’armement compte, mais les motifs idéologiques sont aussi importants.
Revenons à la situation actuelle : les Etats européens ont déclaré qu’ils cesseraient ces échanges, mais ils ont continué. Les Compagnies de production d’armes en Israël sont aux mains d’un petit groupe proche du parti travailliste, et il a été beaucoup marginalisé : la droite populiste les a remplacé au niveau des prises de décision. Il y a donc une crise interne. En Europe on assiste à une crise politique sur ce sujet, en Israël c’est plutôt une crise propre à l’élite. Mais cela engendre une complicité qui pose des problèmes juridiques. Les autorités françaises savent qu’elles ne respectent pas le droit ; elles connaissent le risque de responsabilisation personnelle des illégalités liées à ce commerce des armes. L’intervenant précise que l’Aéroport Charles de Gaulle a été utilisé pour le transit d’armes vers Israël, ce qui engendré un appel au tribunal, mais il est difficile de lier les armes à leur utilisation dans le génocide : quand les Palestiniens témoignent, ils sont assassinés.
L’intervenant veut conclure sur une note plus positive : c’est l’Europe des syndicats, des travailleurs qui s’élèvent contre ces situations, cela a été le cas pour l’Aéroport de CDG. Ces acteurs se demandent que faire avec les syndicats ou les employés de l’armement israélien, mais la réponse de l’intervenant est qu’il ne connaît pas un cas où des syndicats et des employés se soient élevés contre le manque de moralité du commerce de ce qu’ils produisent eux-mêmes, à une exception près : il cite une lettre des employés de Thalès France affirmant qu’ils ne voulaient pas que les armes qu’ils produisaient fussent utilisées à Gaza.
Clara Denis Woelffel, UQÀM (Montréal) / CERMOM : État des relations commerciales entre entreprises françaises et israéliennes en Cisjordanie : entre intérêts économiques et complicité coloniale. (2:34:22- 2:49:26)
L’intervenante étudie dans son doctorat l’évolution de la diplomatie entre la France, Israël et la Palestine depuis le début de la Ve République française. L’écart entre le discours officiel de la diplomatie française (condamnation de la colonisation en Cisjordanie) et les liens que les entreprises françaises entretiennent avec les groupes israéliens investis dans les mêmes colonies a motivé ses recherches.
Depuis les années 2000 les relations commerciales entre la France et Israël sont encadrées par l’accord israélien de stabilisation et d’association entre l’UE, premier partenaire commercial d’Israël. Dans l’article 2, il est dit que les relations UE – Israël reposent sur le respect des droits de l’homme et les principes démocratiques. Cependant la politique d’appropriation en Cisjordanie n’a pas cessée et s’est même renforcée. Il s’agit d’étudier ici trois cas.
Le premier est celui de BNP Paribas. Un rapport de l’ONU de 2025 évoque le soutien de la BNP à des acteurs publics et privés impliqués dans l’occupation en Cisjordanie. En 2022 et 2024, le budget militaire a augmenté, et pour financer cette augmentation Israël a décidé celle de ses émissions d’obligations ; la BNP est alors intervenue pour garantir ces obligations. La BNP est aussi l’un des financeurs européens les plus importants dans le domaine de l’armement israélien.
Carrefour a annoncé en 2022 avoir signé un accord de franchise avec deux sociétés israéliennes. Un rapport de 2025 montrent que certains magasins de ces sociétés se trouvent en Cisjordanie.
Pour le tramway de Jérusalem, la France s’est félicitée que la construction de la ligne bleue soit attribuée à une entreprise française (sans préciser laquelle). Plusieurs rapports rappellent cette coopération ; or cette ligne relie Jérusalem à certaines colonies. Les entreprises sont intervenues dans la construction d’autres lignes permettant le même type de liaison. Alstom a contribué à l’élaboration de la ligne rouge. Mais c’est l’entreprise espagnole CAF qui a remporté l’appel d’offres pour la prolongation des lignes verte et rouge, ce qui entraîne des interrogations sur la corrélation avec ses prises de position vis-à-vis de la Palestine. Cela a permis de déresponsabiliser les acteurs français. En 2022, le ministère de l’économie avait publié une note regrettant que la coopération avec Israël n’ait pas atteint son plein potentiel. En 2018 et 2019, Alstom, Egis et Cistra se sont retirés des projets en raison des enjeux de droit international, mais sont restées positionnées dans les appels d’offres.
La référence au droit international est constamment utilisée par les acteurs : la BNP se dit engagée à protéger et promouvoir les droits de l’homme. Carrefour nie sa présence dans les colonies et affirme se fonder sur les normes internationales. Quatre questions parlementaires ont portée sur la participation de la France au tramway de Jérusalem. La réponse du gouvernement est qu’il rappelle régulièrement aux entreprises les risques juridiques de cette coopération sans pouvoir agir plus. Pourtant juridiquement les gouvernements sont responsables, y compris comme signataires des Conventions de Genève. L’inaction est ici un choix politique. En 2006, le ministère a affirmé que cette coopération relevait d’une logique commerciale et devait pas l’objet d’une lecture politique ; mais la France choisit bien de privilégier le droit commercial sur le droit international.
Des enjeux historiques et mémoriels sont impliqués dans la position française relative à son implication dans la colonisation en Palestine. L’idée même de colonialité est attaquée par les médias et reste minoritaire dans le milieu académique français. On constate une difficulté de prise en compte du prisme colonial, en fonction de l’histoire de la France, en particulier de sa mémoire de la colonisation en Algérie. S’interroger sur le rapport de la France à la colonisation en Palestine permet de s’interroger sur la structure du colonialisme de peuplement qui lie le cas algérien et le cas Palestinien.
Discussion (à partir de 2:49:38)
Une question sur le dépassement du cadre légal : est-ce que les acteurs de la coopération avec Israël ne travaillent pas à changer la législation, pour éviter aussi des conséquences jurisprudentielles ?
Réponses :
Les Israéliens n’utilisent pas le langage du droit ; par exemple il est question de l’Europe qui « veut imposer » un embargo militaire, alors que c’est une obligation juridique. Voyons le cas de l’Irlande : une loi interdit le transit pour les armes ; mais les avions américains atterrissent en Irlande soi-disant pour des problèmes techniques d’urgence. La solution proposée est de confisquer les armes dans le cas de ces « atterrissages d’urgence ».
Le décalage entre la politique de l’UE et le droit pourrait faire l’objet de litiges auprès des tribunaux ; mais cela n’a pas été probant pour le moment. Pour ce qui est de la transformation du droit, il y des efforts pour renforcer la possibilité d’un embargo sur le trafic d’armes.
Question : les lobbies ont été présentées comme des ONG, mais ne sont-ils pas plutôt des organisations gouvernementales ?
Les lobbies dont les ONG ne sont pas toujours transparents sur l’origine de leurs fonds ; ils peuvent être en effet gouvernementaux.
Qu’y a-t-il de public en ce qui concerne le transfert d’armes ?
Quand on parle de transferts militaires, c’est toujours secret. De nombreux israéliens ont une crise de foi et nous transmettent des informations. La censure israélienne n’est pas si efficace que ça. Les militaires même en justifiant leurs actions donnent dans leurs discours des informations. Le fait qu’il y ait des protestations sur le terrain touche des ouvriers de l’armement, des employés des aéroports et eux aussi deviennent des informateurs.
On a des rapports de l’UE également.
Y a-t-il des poursuites contre Carrefour et la BNP ?
Des ONG ont engagé des poursuites, mais leur dimension est réduite par rapport à ces entreprises, et les délais des démarches sont très importants.
Est-ce que le ministère des affaires étrangères est le dernier recours en ce qui concerne le transfert d’armes ? Est-ce que ces armes transférées sont vraiment utilisées ?
Israël dépend beaucoup des armes européennes, ou de composants pour fabriquer des armes.
Comment prouver que telle arme a été utilisée à tel endroit ?
On a des preuves. Mais Israël utilise une seconde vague d’outils d’artillerie pour détruire les preuves.
Comment contrer cette coopération ? Par le droit, par les syndicats ?
Le droit international a la double fonction de servir de référence pour les États du Nord et pour les populations colonisées.
L’argument juridique est beaucoup utilisé, et c’est un levier pour le changement.
Ce n’est pas la politique de l’UE de reconnaître la violation des droits de l’homme. Mais la Présidente de l’UE a tout de même reconnu que l’Europe n’avait pas le choix, qu’elle devait appliquer des sanctions.
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