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Billet de blog 3 août 2015

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Bataille mémorielle autour du « discours de Grenoble »

A Grenoble, comme un lointain écho du temps de la Journée des tuiles, l'oligarchie locale (la « noblesse ») et les médias institutionnels (le nouveau « clergé »), se sont emparés avec fièvre de la commémoration du 5ème « anniversaire » du discours de Sarkozy prononcé à la préfecture de Grenoble le 31 juillet 2010. Pourquoi ce besoin d'auto-justification, 5 ans après ?

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A Grenoble, comme un lointain écho du temps de la Journée des tuiles, l'oligarchie locale (que nous définirions comme la « noblesse ») et les médias institutionnels (le nouveau « clergé »), se sont emparés avec fièvre de la commémoration du 5ème « anniversaire » du discours de Sarkozy prononcé à la préfecture de Grenoble le 31 juillet 2010. Que cela révèle-t-il ? Pourquoi ce besoin d'auto-justification, 5 ans après ?

En effet, si l'oligarchie locale semble s'accorder sur le fait que ce discours a « fait du mal à la République » et qu'il a « mal imprimé le visage de la France » (sic), elle le fait en réécrivant l'Histoire selon ses propres vues, c'est-à-dire en omettant les faits qui pourraient remettre en cause sa vision dominatrice. 

Ainsi, prenons le cas de M. Destot, ancien maire Ps de Grenoble, député de la 3ème circonscription de l'Isère, qui comprend le quartier de la Villeneuve, où eurent lieu les émeutes urbaines de juillet 2010, à l'origine du discours du Président de la République de l'époque. 

Il qualifie dans le Dauphiné Libéré du 31 juillet les discours de Dakar et de Grenoble, de « discours de stigmatisation [...] ressentis comme cela à la fois dans le quartier de la Villeneuve et dans toute la Ville » ; le procédé rhétorique est certes habile, qui consiste à amalgamer les deux scandaleux discours de l'ex chef de l'Etat (« un raciste est un homme qui se trompe de colère », A. Césaire), mais il parvient toutefois mal à cacher l'atonie de la réaction de celui qui était alors le 1er édile au sujet du discours de ...Grenoble ! Une grave faute politique dont les citoyen-ne-s ont alors ressenti les effets violents. Violence, comme le dit très justement le maire Eric Piolle, consistant en la « réduction du droit commun, avec les élites qui vivent dans un monde et les autres en dessous du droit commun.» Et c'est aux citoyen-ne-s qu'il revint en définitive de sauver l'honneur de la Ville et de la République. 

Car, plus étonnant, on peut lire dans le même journal, une interview de l'ancien bâtonnier de l'ordre des avocats de la Ville, dans laquelle ce dernier égrène des sentences assez convenues sur un discours qui « a fait du mal », qui « a abattu les frontières » (sic), mais qui au final regrette la supposée absence de « réaction de la société civile ». 

Bien des citoyen-ne-s grenoblois-e-s ont été surpris de lire de tels propos ! Depuis l'élection de Sarkozy, ils n'avaient cessé de manifester leur opposition à sa politique rétrograde et antirépublicaine : pour prendre un exemple, le 29 juillet 2010, à la veille de l'arrivée à Grenoble du chef de l'Etat, de jeunes militants avaient été placés en garde à vue pour « offense au chef de l'État » au motif qu’ils affichaient des caricatures du président de la République, une infraction pourtant abolie par la loi Perben de 2002. Très curieusement le dit bâtonnier - qui déplore ici la passivité de la société civile -n'apporta pas alors son concours au mouvement de soutien aux jeunes « embastillés » : seule une très importante mobilisation citoyenne a permis de mettre fin à ce scandale montrant la soumission de la police à l'exécutif de l'époque !

Le contraste fut par la suite encore plus saisissant, entre la soumission affichée de l'oligarchie, illustrée ici par la mollesse de la réaction du maire suite au discours de Grenoble et le soutien, lui extrêmement ferme et sans faille, à la fermeture du lycée Mounier, par ailleurs lycée de secteur de la Villeneuve, annoncée conjointement par le recteur sarkoziste et le président de Région Ps - le hasard ayant voulu que certains des jeunes héros injustement « embastillés » fussent inscrits au lycée Mounier, ce qui allait contribuer à changer la donne par la mobilisation suscitée !

La véritable question à poser n'est donc pas comme dans l'article cité : « Peut-on dire que N. Sarkozy a perdu une partie de son électorat avec ce discours ? », mais plutôt M. Destot n'a-t-il pas perdu les élections de 2014 pour ne pas avoir réagi plus fermement à ce discours et pour avoir renié les valeurs de la gauche ?

Bref, une leçon politique qui demeure d'une grande actualité en vue des prochaines échéances de 2015 et 2017 !

Sur Twitter @j_soldeville

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