La liberté de l'artiste est au cœur d'une polémique à Grenoble. Alors que des œuvres d'art de rue de Goin sont attaquées et détruites, une mise en perspective historique autour des artistes David et Girodet et de leur engagement politique pendant la Révolution française.
Quelques heures avant un conseil municipal, où il sera sans aucun doute question de la liberté des artistes, et dans le cadre du 230e anniversaire de la 1ere République qui approche (sept. 1792), à laquelle nous devons entre autres la première abolition de l'esclavage et la création du musée de Grenoble, quelques réflexions sur deux artistes scandaleux de l'époque et sur un élu de la Ière République honni qui a donné son nom à une rue de Grenoble.
C'est le 4 février 1794 qu'eut lieu la première abolition de l'esclavage ; celle-ci doit être mise grandement au crédit d'Henri Grégoire, ecclésiastique du Tiers-Etat, devenu député constituant, qui a pris la défense des esclaves révoltés pour leur liberté, en s'opposant au député grenoblois Barnave, passé lui du statut enviable de héros de la révolution du Dauphiné à celui plus trouble (il fut accusé de corruption) de défenseur des intérêts des colons des Antilles. Il existe un lien entre Grégoire et l'histoire de Grenoble, dans la mesure où ce dernier sera ultérieurement élu député de l'Isère, sous la Restauration, avec le soutien de Stendhal, qui à l'occasion de l'élection fit le déplacement à Grenoble afin de voter pour lui. Pour l'anecdote, cette élection fut le résultat d'une manipulation politique machiavélique de l'extrême-droite monarchiste (ceux que Stendhal appelait les Ultras) qui fit voter pour le député régicide afin de faire croire à la possibilité d'un retour des montagnards et des amis de Robespierre, et ainsi permettre aux Ultras d'intensifier leur répression contre les Républicains (dont Champollion...).
On trouve à Besançon un portrait très réaliste de Gregoire qui a été réalisé par le peintre David* (ayant voté comme lui la mort du roi, ce qui valut à l'artiste de connaître l'exil après 1815), un portrait qu'il convient de comparer à celui de Jean-Baptiste Belley, exécuté par Girodet, disciple de David, en 1798 (an V), année de la création du musée de Grenoble par le républicain Louis-Joseph Jay, lui aussi démissionné et exilé en 1815 avec le retour des Bourbons. L'arrivée de Belley, natif de l'île de Gorée, à l'assemblée, premier député africain de la République et élu montagnard de Saint-Domingue (Haïti), a très fortement encouragé les députés à voter l'abolition en 1794. Ce tableau de Girodet, à voir au musée de l'Hermitage (Saint-Petersbourg), est un superbe manifeste politique républicain, qui a été réalisé par l'artiste sous l’influence de l’amitié de Noël, membre de la Société des Amis des noirs depuis 1788 (avec Henri Grégoire) et l'oeuvre était un formidable pied de nez au députés racistes, qui toutefois obtinrent le renvoi de Belley du conseil des cinq-cents sous le Directoire post-thermidorien.
David et Girodet sont deux grands peintres engagés qui ont introduit l'héroïsme antique dans la peinture de la période révolutionnaire. Il n'est donc pas très surprenant que par proximité politique des œuvres de ces artistes se soient trouvées dans la collection et dans le legs que la communarde Isaure Perier a fait au musée de Grenoble en 1930 (comprenant trois dessins de David et un tableau de Girodet). Tout se tient ! On peut lire la fiche de l'oeuvre de Girodet du legs, intitulée Portrait d'homme (v. 1790) sur le site du musée*** qui a été réalisée quelques huit années avant le portrait de J.-B. Belley, mais avec la même vigueur et la même rage dans l'expression !
@jsoldeville
*Portrait de Grégoire par David au musée des beaux-arts et d'archéologie de Besançon
https://memoirevive.besancon.fr/ark:/48565/wtrqc251xz8s
** Portrait de Belley par Girodet au musée de l'Hermitage Moscou https://www.arte.tv/fr/videos/084714-028-A/a-musee-vous-a-musee-moi/
*** Portrait d'homme de Girodet au musée de Grenoble (legs d'Isaure Perier) https://t.co/ElS1V5B878