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Billet de blog 6 mars 2022

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Jaurès et le discours à la jeunesse

Au meeting pour la paix à Lyon, au moment où nous avançons vers de très grands dangers, Jean Jaurès a été abondamment cité, comme ces mots tirés de son discours devant la jeunesse de France en 1903, qui hier comme aujourd'hui, sera la première victime de la guerre : « Le courage, c'est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces. »

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Par hasard c'est justement à cette année 1903 que semble remonter le lien entre l'histoire de Grenoble et celle de Jaurès, avec un ouvrage sur l'industrie gantière et l'ouvrier gantier à Grenoble, dont il a rédigé la préface. Il y était analysé la structure de cette activité internationale qui fit la fortune de la ville, à mi chemin entre la grande industrie et les formes de l'artisanat ancien.


Ainsi dès 1916 Mistral reprenant l'héritage politique de Jaurès exigea la taxation des bénéfices des industriels travaillant pour la Défense Nationale et dénonça les profiteurs de guerre. Sa véhémence permit même la réunion d'une commission parlementaire d'enquête ; mais en raison de l'entrisme du lobby patronal, illustré par la présence du ministre Louis Loucheur qui était membre du Conseil d'administration des établissements Bouchayer, fabricant d'obus depuis 1915, la dite commission fut très vite enterrée !


Pareillement, si l'on se réfère à la période actuelle, la majorité des députés LREM en bons « larbins du capital » auront également tout fait pour empêcher une commission d'enquête sur les gains colossaux de l'industrie pharmaceutique et des profiteurs de la crise sanitaire.


Si l'on veut faire un autre parallèle, le président de la Chambre de Commerce et d'Industrie après la Première Guerre Mondiale rendait responsables du marasme économique « les consommateurs qui attendent la baisse des prix » ; période marquée par une offensive patronale contre la journée des 8 heures, revendication historique de la Ière Internationale en 1864 ; ainsi on pouvait lire dans Le Petit dauphinois : « Pour relancer l'économie il faut abaisser les coûts de production donc les salaires ».


C'est la même partition de réduction des coûts du salariat face au capital que jouent le président sortant Macron et les droites extrêmes à la veille de l'élection présidentielle en portant des propositions comparables sur le plan économique, dans une forme de surenchère pour approfondir la logique libérale, ce qui reviendra à creuser encore davantage les inégalités, ainsi que l’injustice fiscale et sociale. Un refrain donc bien connu s'accompagnant au passage de l'argument du bouc-émissaire (en l'occurrence les musulmans) pour faire croire aux classes moyennes et aux classes populaires que là se trouverait le problème.


Elu maire en décembre 1919, lors de la première séance du Conseil, le même Mistral déclara : « c'est en socialistes et républicains d'avant-garde que nous devons remplir notre mandat ; nos premiers efforts tiendront à améliorer le sort des classes laborieuses, non dans un esprit de partialité, mais parce que les ouvriers, les petits commerçants et artisans et les petits fonctionnaires sont toujours les moins favorisés, les plus meurtris par l'organisation sociale actuelle et parce que le socialisme est le défenseur naturel des humbles et des déshérités ». Propos dont on peut sentir l'actualité !


A l'issue de la guerre Paul Mistral fut en effet confronté à une situation économique et sociale catastrophique résultant à la fois des difficultés de la reconversion de l'industrie de guerre, de la brutale mise en cause de l'emploi féminin, des problèmes de transports gênant l'activité des entreprises, de l'augmentation rapide des loyers, et du coût de la vie, qui fut multiplié par deux pendant l'année 1919.


C'est pourquoi il fut décidé par la municipalité de créer une « société du ravitaillement civil », qui assura un rôle complémentaire de modérateur des prix jusqu'en 1924 et de « boutiques municipales » pour les denrées de base, dont certaines resteront contingentées jusqu'en 1922. Pour modérer la hausse des prix existera également jusqu'en 1927 un office du lait. Et à chaque conseil municipal était publié un état sanitaire de la ville, comportant les causes des décès, un bilan des maladies transmissibles, etc. 


Nous pouvons aujourd'hui nous interroger sur les conséquences sociales, que l'augmentation du coût de l'énergie, des loyers et des produits alimentaires de base, déjà à l'origine du mouvement des gilets jaunes sous le mandat de Macron, ne manqueront pas de provoquer ! Quelle sera l'ampleur des troubles si rien n'est fait rapidement pour bloquer les prix des loyers et de certains produits alimentaires ? Qu'en sera-t-il lorsque les matières premières énergétiques et des produits agricoles comme les céréales verront leur prix affecté par la crise internationale qui débute sous nos yeux ?


Le maintien de la cohésion sociale et de la République dans ces circonstances risque être un exercice des plus périlleux, si d'aventure Macron (qui jusqu'ici refuse la confrontation démocratique !) était réélu, étant donné la violence des remèdes néo-libéraux qu'il entend administrer au pays, ainsi que la plus grande cure d'austérité jamais infligée à ce qui demeure de l'appareil étatique et aux systèmes de solidarité, si chèrement conquis en un siècle de luttes, qui s'annonce. Par une sorte de grand bond en arrière qui nous ramènerait à la situation des années 20 !

« Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire ; c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques »

Discours à la jeunesse, Jean Jaurès.

@jsoldeville

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