Depuis le printemps 1924 une nouvelle majorité surnommée le « Cartel des gauches », issue des rangs radicaux et socialistes, se trouvait au pouvoir.
La France était alors à l’apogée de son empire colonial. La raison de ce mouvement inédit se trouvait dans l’annonce faite par le nouveau le chef de l’exécutif Paul Painlevé lors de l’inauguration de l’exposition internationale de la Houille Blanche et du Tourisme le 21 mai 1925 : dans le « discours de Grenoble », il annonçait en effet l’entrée en guerre de la France contre la République du Rif au Maroc en raison de la défaite subie par l’armée espagnole et des risques de contamination dans le protectorat français et les départements d’Algérie.
Les arguments employés par Painlevé pour justifier la guerre firent frémir jusqu’aux sénateurs lors la session du 2 juillet 1925 lorsqu’il affirma à propos des Rifains : « ...Ces barbares ! Ces populations obscures .. qui différent de nous, par la couleur de peau et qui, ayant tout à apprendre de l'Europe n'en menacent pas moins la civilisation européenne ». C'est dire si les dictateurs d’extrême-droite du 20e siècle n'ont rien inventé en matière de suprématie de la race …
L’exposition de Grenoble inaugurée par Painlevé et Laval était d’ailleurs une justification de la colonisation et se distinguait par son idéologie raciste avec son zoo humain.*
Au discours de Grenoble, répondra l’Appel du 2 juillet 1925 dans le journal l’Humanité à l'initiative d'Henri Barbusse et signé par les surréalistes dont Aragon et Breton .. « Droit des peuples, de tous les peuples, à quelque race qu'ils appartiennent à disposer d'eux-mêmes. » Le mouvement ouvrier, les syndicats et une partie des anciens combattants, constitueront de leur côté un comité d’action contre la guerre coloniale, qui débouchera sur la journée de grève historique du 12 octobre 1925**.
Le maire SFIO de Grenoble Paul Mistral se voyait critiqué pour avoir applaudi le discours de Painlevé. Et à travers lui les socialistes se voyaient accusés de trahison pour s’être ralliés à la colonisation et à l'irréversibilité de la conquête. Il ne s'agissait plus pour eux de critiquer le colonialisme, mais de l'humaniser ; d'en dénoncer les abus et même de défendre le principe du « devoir de civilisation », du progrès de la culture, du savoir-faire, etc.
L’utilisation de moyens industriels barbares comme les armes chimiques contre les populations civiles par l’armée française sous le commandement de Petain - préfiguration de futurs génocides - contre les populations civiles au Rif finira de déshonorer cette gauche de gouvernement qui recourra à la plus brutale des répressions en octobre 1925, emprisonnant des dizaines de militants et en assassinant deux ouvriers grévistes.
Cela amène à réfléchir à la filiation entre le colonialisme et le fascisme particulièrement en France et ce dès la guerre du Rif qui préfigure la guerre d’Algérie. Nationalistes à Madrid, hommes d'une certaine gauche à Paris, quelles réelles barrières ou différences idéologiques quand il s'agissait de défendre la « civilisation occidentale » ?
Les opposants républicains à Franco lors de la Retirada de 1939 en feront l’amère expérience et se verront réservé un sort brutal : enfermés dans le Palais de la Houille blanche dans des conditions inhumaines, 56 d’entre eux (dont 44 enfants) laisseront la vie dans ce qu’il faut bien appeler un « camp de concentration » urbain en plein Parc Paul Mistral.
@jsoldeville
*https://www.grenoble.fr/article/1538/473-un-zoo-humain-a-grenoble-en-1925.htm
**https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k401854s.item