Cette marche qu’on disait contre l’antisémitisme et même, comme on l’a précisé, par solidarité avec les Juifs de France a-t-elle une signification concrète en dehors des sempiternelles déclarations un peu creuses de lutte contre le racisme ? S’agit-il encore d’un de ces grands épanchements moraux traditionnels de la part des bons esprits occidentaux, ceux de la gauche comme de la droite, qui ne font qu’enfoncer des portes ouvertes ? Car, en toute bonne conscience, qui peut vraiment aujourd’hui se dire antisémite ? Qui est contre la paix dans le monde ? Qui tient encore un discours explicitement raciste, en dehors de rares petits groupes plus ou moins isolés ? Les propos bien-pensants font toujours florès, mais ce sont parfois leurs contradictions ou ce qu’ils cachent qui révèlent leur signification profonde. En d’autres termes, contre quoi ou qui ces dizaines de milliers de gens manifestaient-ils ? De qui était-ce la marche, et pour quoi faire ?
- Celle de l’émotion silencieuse d’une foule face aux atrocités du 7 octobre, imputées logiquement au Hamas plutôt qu’aux auteurs inconnus de graffiti antisémites apparus en même temps ?
- Celle de Juifs français choqués par la multiplication d’étoiles de David dans les rues de Paris ces dernières semaines, mais qui n’en saisissent pas l’origine proche-orientale ?
- Celle d’une communauté juive rendue anxieuse et instrumentalisée par l’Etat d’Israël, en qui elle voit son dernier recours, sans discerner l’impasse où elle se fourvoie ?
- Celle d’institutions juives en France comme le CRIF ou la LICRA qui se sont graduellement alignées sur la politique extrémiste d’Israël, et font payer cher depuis 15 ans à la personne de J.L. Mélenchon son soutien d’alors au boycott des BDS, en en faisant un bouc émissaire ?
- Celle de Netanyahou et de son gouvernement d’extrême-droite, dominé par des religieux doctrinaires et racistes qui, via diverses formes de lobbying, interfèrent continuellement avec la politique française afin d’en modifier la position traditionnelle sur le Moyen-Orient ?
- Celle de gens de gauche aux bonnes intentions, mais parfois jouant les idiots utiles, toujours prêts à apporter leur soutien aux causes humanistes, pourvu qu’il y ait le mot antisémitisme en avant ?
- Celle de partis de gauche que l’on pourrait peut-être qualifier de « soumis», en mal de reconnaissance électorale et de règlement de comptes avec la LFI ?
- Celle de Macron qui, en bon stratège opportuniste, souffle le chaud et le froid afin de parachever la division de ses adversaires, dont une gauche virulente qui l’empêche de faire passer ses lois ?
- Celle des grands médias et de leurs commanditaires véreux et intéressés, qui ont su pendant ces derniers jours créer un tir de barrage efficace équivalent au bourrage de crâne de la Grande Guerre ?
- Celle des bons vieux caciques de la droite, qui ont cru leur heure arrivée et qui à force de petits reculs du discours républicain recomposent l’idéologie dominante et relèvent ainsi la tête ?
- Celle de la croisade solitaire de Yaël Braun-Pivet, parée de la légitimité républicaine, qui dans sa cavalcade à Jérusalem a déclaré soutenir inconditionnellement l’Etat d’Israël, avec ses excès ?
- Celle, enfin, du RN et de l’extrême-droite, qui répand ses idées avec succès et crève ainsi le plafond de verre qui l’empêchait de se normaliser, comme dans les années 1930 ?
Personne ne semble donc voir que, derrière cette inversion des valeurs, c’est la stratégie d’Israël qui, depuis trois-quarts de siècle de colonisation et d’apartheid insolents, condamnés par la fameuse « communauté internationale » mais restés impunis, et son incidence sur nos banlieues en déshérence ou sur les masses encore déshéritées du Tiers-Monde, est fondamentalement responsable d’une situation hautement explosive qui nous mène à l’abîme ! Seules la cécité volontaire des uns, l’illusion tragique des autres et la médiocrité de débats qui n’ont pu émerger à cause de l’ostracisme systématique qui touche celles et ceux qui osent résister, ont permis de faire s’accélérer cette course...