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Billet de blog 22 octobre 2023

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Le piège de Gaza et le suicide d’Israël

Israël, mais aussi une bonne partie de la conscience occidentale sont tombés dans le piège tendu par le Hamas. Les esprits ont cessé de réfléchir, l’émotion brute a triomphé, et c’est ainsi que la politique de l’État hébreu s’est engouffrée dans la brèche et a perpétué son suicide collectif.

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Comment interpréter autrement ce qui s’est passé le 7 octobre 2023, et tout ce qui s’est ensuivi ? Cet évènement a priori impensable remet à l’ordre du jour la tragédie palestinienne qui a été si longtemps occultée par beaucoup en Occident, d’autant plus que les accords d’Abraham de 2020 avaient complètement fait l’impasse sur la réalité vécue par les populations de la région. Quelques réflexions indispensables me viennent à l’esprit.

  • Face à la folie meurtrière des tueurs du Hamas ce jour-là, les tenants de la cause palestinienne tentent maladroitement de lui opposer les exactions commises sur les Palestiniens, notamment les dernières attaques de colons en Cisjordanie au sud d'Hébron. Je comprends l’intention de ceux qui veulent montrer les atrocités du côté israélien (celles des colons en l’occurrence, et on doit aussi y rajouter les bombardements indiscriminés), mais l’on ne saurait réduire le sens de ces évènements à une concurrence victimaire. Qui a fait le plus de victimes ? Qui a tué le plus de gens ? Qui s’est montré le plus barbare ? etc. On ne saurait limiter ces actes à ce qui s’apparente à des disputes de cours d’école (qui a commencé le premier ?). Cette approche morale ou moralisatrice me semble incongrue, et à la limite scandaleuse ! Le fond de la question (palestinienne en l’occurrence) touche à la question des droits fondamentaux des gens et non à des querelles apparemment sordides et irresponsables.
  • En fait, les actes de barbarie commis le 7 octobre dans les kibboutzim au sud de Gaza sont incontestablement au-delà de toute condamnation morale et nous ramènent aux heures les plus sombres de l’humanité. On ne peut le nier, mais on ne doit pas non plus considérer leurs responsables comme seulement « inhumains», car cela reviendrait à confondre la nature des actes avec celle des individus qui les commettent. Les déclarations des responsables de Tsahal ou du gouvernement israélien sur les « animaux » qui en seraient à l’origine témoignent en fait, du moins je l’espère, de l’émotion éprouvée sur le moment, même si elles augurent peut-être des justifications futures sur les massacres à venir. On ne peut pousser les gens à réaliser des tueries indiscriminées que si les victimes sont complètement déshumanisées, et c’est ce que les nazis avaient compris... Comme l’ont montré Hannah Arendt ou les expériences de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité, les responsables des camps n’étaient souvent que de petits fonctionnaires conformistes. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas criminel ou psychopathe, on le devient si les circonstances s’y prêtent...
  • Contrairement à l’opinion courante, je ne crois donc pas que le caractère particulièrement atroce de ces massacres soit le fait du hasard ou de contingences, voire même de la nature supposée inhumaine de ces « terroristes» (quel que soit le terme que l’on accole aux responsables de ces actes criminels). Cela arrange trop de monde de le croire. On ne peut le comparer à ce qui s’est passé à Oradour-sur-Glane ou à My Laï au Vietnam, car dans ces cas les troupes avaient été sous l’emprise d’une panique irraisonnée et pourtant objective (ce qui ne justifie rien d’ailleurs), mais on a affaire à quelque chose d’autre ici. En toute logique, ces actes barbares ont été préparés et décidés délibérément par le Hamas afin de terroriser les Israéliens (et le monde occidental par la même occasion), et pour torpiller définitivement toute possibilité de règlement pacifique de ce vieux conflit, en créant un fossé de sang infranchissable pour les générations futures, et c’est ce qui risque vraisemblablement de se passer !
  • Cette volonté cynique et macabre ne fait que refléter l’intransigeance à la fois symétrique et criminelle du gouvernement israélien actuel, et en particulier de ses soutiens religieux d’extrême-droite qui s’apprêtaient à faire réviser la constitution afin de créer le fameux « Eretz Israel» fantasmé par cette frange nettement raciste et impérialiste qui veut revenir aux vieilles frontières bibliques. Il est d’ailleurs frappant que Tsahal n’ait pu contrer l’attaque du Hamas du 7 octobre qu’après plusieurs jours de retard car, au-delà des discours actuels sur l’incompétence probable de Netanyahou, l’armée était semble-t-il occupée en réalité à protéger les colons de la Cisjordanie pendant les exactions commises sur les Palestiniens des territoires de l’Est.
  • Mais, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, il ne s’agit pas d’actes indiscriminés venant des derniers parias de l’Alya, mais bien plutôt de la poursuite d’une profonde logique de colonisation dans le dernier Etat à pratiquer un apartheid public et proclamé comme tel. La nature religieuse de cet Etat qui, comme tant d’autres (y compris les USA) ne reconnaît que des religions et non des citoyens, apporte une dimension binaire à tout débat autour de l’essence de cette réalité : qui n’est pas pour Israël (dans son acception quasi religieuse) est nécessairement contre ! Qui se montre critique vis-à-vis des bombardement actuels de Gaza est forcément un pro-palestinien fanatique ! Les guerres de religion ont bon dos.
  • Cette tendance se retrouve dans la plupart des médias occidentaux qui, depuis l’agression russe en Ukraine, ont décidé de prendre unilatéralement fait et cause pour l’Occident « démocratique», redevenu soudain vulnérable. De même, pour qui ne soutient pas l’interprétation déviante du CRIF, ou d’autres institutions juives en France qui se font le bras idéologique de la propagande actuelle de Jérusalem[1], il n’est point de salut. Il (ou elle) doit se résigner à être considéré comme un soutien du Hamas, ou au mieux un idiot utile... Certains médias ne cachent même pas le caractère arbitraire de leur vision (BFM TV par exemple). En découle notamment la situation désastreuse de la gauche, au gré malheureusement de ses règlements de compte et conflits internes, qui peinent à masquer les réalités...
  • En conclusion, partielle et provisoire, je ne peux que constater encore une fois que l’Etat d’Israël, qui était au départ un projet progressiste et même qualifié autrefois de « socialiste», s’est progressivement construit sur un système socio-politique de plus en plus inégalitaire, qui ne se perpétue que par une fuite en avant indéfinie qui repose fondamentalement sur le rapport de forces militaires, et qui ne peut déboucher à terme que par un suicide collectif pour Israël et ses ressortissants ! De l’autre côté, la prison à ciel ouvert de Gaza (où la moitié de la population formée de réfugiés est déjà déportée), comme la Cisjordanie minée par les colonies, sont condamnés à revivre l’enfer historique du peuple juif ! Est-ce là la loi du Talion ? (Gandhi disait déjà : « an eye for an eye makes the whole world go blind »[2]). Si l’on ne veut pas que les générations futures continuent de s’entretuer pendant encore des décennies, il est peut-être (encore) temps de tenter de construire une paix juste et définitive !

[1] Voir notamment mon billet de blog du 29 mars 2018 – « Questions sur la Marche blanche du 28 mars 2018 »

[2] Que l’on pourrait traduire ainsi : « ‘Œil pour œil’ rend aveugle le monde entier ».

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