jfvacher (avatar)

jfvacher

Economiste

Abonné·e de Mediapart

53 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 avril 2022

jfvacher (avatar)

jfvacher

Economiste

Abonné·e de Mediapart

Pourquoi je voterai « Blanc » dimanche

J’entends autour de moi la question lancinante : « si l’on ne veut soutenir ni Macron, ni Le Pen, pour qui voter dimanche ? ». L’angoisse qui enserre cette interrogation est palpable mais ne sert à rien. J’ai encore décidé de voter Blanc et j’explique pourquoi.

jfvacher (avatar)

jfvacher

Economiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au lendemain de son cuisant revers du 1er tour de 2022, Jean-Luc Mélenchon a encore appelé à rejeter tout vote en faveur de Marine Le Pen, et a laissé ses électeurs libres de choisir la réponse qui leur semblait appropriée. Comme en 2017, une consultation a été organisée auprès des Insoumis pour connaître leurs préférences, sans que cela ne puisse être interprété comme une quelconque consigne de vote. De même, les résultats furent sensiblement comparables d’une élection à l’autre, et les réponses se partagèrent de manière approximativement égale entre les 3 solutions possibles : le vote blanc & nul, le vote Macron et l’abstention[1]. C’était un sondage plus qu’une volonté d’orientation.

En ce qui me concerne, le vote Macron était complétement exclu, non que j’eusse un ressentiment précis à l’égard de la personne de notre monarque présidentiel, mais parce qu’il représente me semble-t-il un danger particulièrement grave pour notre pays et la démocratie. A ce moment, vient aussitôt la question de l’égalité du signe que l’on place entre lui et sa rivale d’extrême-droite. Je considère pour ma part que ce sont deux périls, dont je ne saurais dire s’ils sont d’égale importance, mais qui sont de nature totalement différente, tout en étant d’intensité comparable en termes de conséquences désastreuses potentielles sur le tissu de notre société et la solidité de sa structure intime.

Alors que la candidate d’extrême-droite représente classiquement la remise en cause des droits fondamentaux et des libertés publiques et individuelles, et prêche pour l’exclusion ethnique et religieuse d’une partie de la population, avec une brutalité certaine, le représentant du néolibéralisme n’en est pas moins l’augure avéré d’une violence sociale imposée au plus grand nombre, et en particulier à ceux qui sont les plus fragiles. L’exclusion et la force sont de mise dans les deux cas, mais ne portent pas de la même manière. Les modalités de mise en œuvre, les formes de contrainte et l’échelle de temps sont totalement différentes.

A la virulence connue et brutale de l’ancien monde dans le court terme, qui passe par les mesures les plus autoritaires, s’oppose l’oppression sourde d’une élite libérale du nouveau monde qui sait employer les moyens de persuasion les plus efficaces, ceux du consentement imposé par les techniques éprouvées de la communication, sur la longue période. C’est la dure vision orwellienne de 1984 contre les drogues douces du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ! Les résultats à la fin ne sont pas si différents…

Le pire est peut-être que l’une prépare l’autre, qui l’entretient en retour. Les violences des Gilets jaunes sont ainsi le produit d’inégalités imposées avec un semblant de légalité par un pouvoir qui se croit sans limite et porteur d’un fantasme messianique de liberté. Elles créent par réaction des éruption soudaines d’un peuple devenu sans contrôle qui renforcent la puissance du premier. E. Macron n’est pas le seul responsable et n’est que la pointe avancée d’une tentative de domination par de nouvelles élites contre le rejet brutal de victimes dont certaines sont susceptibles de devenir bourreaux à leur tour. C’est ce cycle infernal qui doit être brisé… et que la seule issue de l’élection présidentielle ne résoudra pas.

D’autres paradoxes et métaphores de ce dilemme sont possibles, comme celle très classique et pertinente de la grenouille que l’on peut faire cuire de deux façons, l’une en la plongeant directement dans l’eau bouillante, ce qui est la méthode brutale mais rapide, et l’autre de manière progressive en l’anesthésiant par la chauffe très lente du liquide sans qu’elle en prenne conscience, ce qui est la méthode indirecte, bien plus efficace et apparemment inoffensive. Je reprends cet exemple d’un excellent billet de blog sur Médiapart[2], qui a sur ces questions des aperçus fort intéressants. Bref, l’un ou l’autre vote sont deux faces différentes d’une même pièce

J’ajouterais en outre que le vote Macron est soutenu par nos grands partenaires européens qui y voient, avec raison, un enjeu d’importance vitale pour notre « modèle démocratique » occidental, que depuis plusieurs décennies on tente d’imposer à un peuple rétif, à défaut de pouvoir le faire approuver légalement (comme cela s’est passé en 2005 pour le Traité européen). La grande démocratie d’outre-Atlantique n’est pas en reste, et ce n’est pas un hasard si le phénomène Trump s’est développé dans un contexte analogue. Mais il n’est pas question d’ingérence dans les affaires intérieures d’une nation souveraine ! Heureusement, on peut utiliser la guerre en Ukraine pour remettre les compteurs à zéro…

Oui, je reconnais volontiers que c’est une situation difficile, et qu’Emmanuel Macron a réussi à nous remettre dans le même piège qu’il y a cinq ans ! Il a parfaitement compris la logique de ce chantage qui s’adresse à une classe politique qu’il connaît sans doute bien, en particulier la gauche dont il sait la sensibilité aux questions d’ordre moral et la prédilection de ses élites pour le « politiquement correct ». Toutefois, je suis assez serein pour ma part, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, je considère en toute hypothèse que l’un ou l’autre vote représente un danger majeur, pas de même nature évidemment, mais que dans les deux cas la situation de notre pays sera nécessairement bouleversée pour les années à venir. Il faut donc s’attendre à de sérieux remous, à des tragédies même, mais le mieux est de regarder les choses froidement si possible, et d’agir en fonction des circonstances.

De mon côté, j’ai décidé, comme la dernière fois, de voter blanc, ce qui me semble le plus raisonnable, car je sais que c’est un acte citoyen positif. En revanche, même s’il ne sera pas pris en compte pour le résultat j’espère que, dans l’hypothèse où beaucoup d’autres feront de même, l’opinion sera quand même amenée à questionner la légitimité du candidat élu. On peut espérer un jour qu’il comptera vraiment. La dernière fois, les votes blancs et nuls avaient représenté si je ne m’abuse environ 5 % des votes, ce qui était déjà un record sous la Ve République

J’ai fait cette série d’analyses[3] pour plusieurs raisons, d’abord pour rassurer les gens, ensuite pour comprendre moi-même quelles sont les possibilités dans ce contexte. De ce dernier point de vue, peut-être un peu égoïste, je considère que les jeux ne sont pas faits, et surtout que, contrairement à ce que l’on nous a rabâché depuis des années, l’élection présidentielle n’est pas tout dans notre république. Plus précisément, notre constitution peut être interprétée et surtout appliquée de différentes manières…

Contrairement à la dérive monarchique extrême que l’on constate, et qui s’est accentuée avec Macron, il y a pas mal de possibilités, à la fois théoriques et réelles, qui permettent d’envisager plusieurs scénarios. L’exécutif n’a pas tous les pouvoirs, même s’il le croit, et un rééquilibrage parlementaire est toujours possible et même probable. Après tout, dans les dernières décennies, on a bien déjà vécu trois cohabitations entre majorités différentes. Pour faire court, j’attends beaucoup des élections législatives qui peuvent constituer le vrai troisième tour qui conclura cette bataille démocratique. Et les jeux me semblent très ouverts…

Enfin, si l’on raisonne en termes de probabilités pour le scrutin du second tour, il me semble assez clair que Macron a beaucoup plus de chances de l’emporter qu’on ne le croit (ou le craint) généralement. Il est évidemment de l’intérêt du gouvernement actuel, et des médias qui le soutiennent, d’exagérer la menace Le Pen (c’est le discours le plus entendu). En outre, beaucoup de gens de bonne foi, à gauche ou ailleurs, sont particulièrement inquiets de la montée de l’extrême-droite, et ils vont probablement voter pour Macron, comme il y a 5 ans.

A l’époque, je m’étais posé la question et j’avais écrit plusieurs billets de blog sur Médiapart sur les chances réelles de Marine Le Pen[4]. Il était alors évident qu’elle n’avait aucune réserve de voix, et que peu de transferts seraient possibles en sa faveur. J’avais fait des calculs un peu sophistiqués sur ce point, sur la base d’hypothèses et d’études sociologiques, mais la conclusion me semblait claire et les résultats m’ont en gros donné raison. Aujourd’hui, la situation est différente et beaucoup plus aléatoire (en raison d’évènements inattendus qui peuvent perturber le cours des choses), mais je pense avoir encore raison… Du moins, je l’espère.

Je suis donc raisonnablement optimiste, parce que fondamentalement je considère que dimanche soir ne sera que le début d’une nouvelle bataille. Emmanuel Macron, si c’est bien lui comme je le crois, devra faire face à une nouvelle majorité parlementaire, alors qu’il n’a en fait qu’un tiers de l’électorat potentiel (si l’on met à part Jean Lassalle, mais c’est un autre débat…), et surtout que les gens ont en mémoire l’expérience désagréable des 5 dernières années, et que très peu auront envie de voter pour des godillots. Il faut s’attendre à une grande instabilité du régime, à moins que l’on ne désespère du pays ! On n’a en fait que deux mois à attendre…

[1] Le résultat de la consultation lancée par J.L. Mélenchon après le premier tour auprès de 310.000 de ses soutiens a donné 37,65% des 215 292 voix exprimées en faveur du vote blanc ou nul, 33,4% des voix pour Macron et finalement l'abstention avec près de 29%. La consultation de 2017 avait respectivement donné 36 %, 35 % et moins du tiers pour l’abstention.

[2] Pétrus Borel, « Pourquoi je ne voterai pas Macron » - billet de blog du 18 avril 2022.

[3] Voir notamment mon dernier billet de blog, « Si la gauche était unie… » du 19 avril 2022.

[4] Voir notamment mes billets de blog, « Le vote Le Pen au second tour 2017 » du 29 avril 2017, et le suivant du 30 avril 2017, « Pourquoi je ne voterai pas Macron ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.