SIMULATIONS DU VOTE LE PEN AU SECOND TOUR
Dans le contexte particulier, et historiquement hors-norme, de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont désormais face à face pour le second tour. Compte tenu de l’importance du nombre de voix nécessaires de part et d’autre pour espérer atteindre la victoire, de l’ordre de 10 millions de voix environ pour chacun des candidats (avec un écart de près d’un million entre eux) si l’on raisonne sur les 36 millions de suffrages exprimés au premier tour et en laissant provisoirement de côté les 10 millions d’abstentionnistes et le petit million de votes blancs et nuls du 23 avril, la question des reports de voix devient essentielle.
L’enjeu est particulièrement crucial pour la candidate du Front National qui est a priori créditée d’un score défavorable par les sondages et les medias, en grande partie sur la foi des résultats des élections tenues depuis 2002 où ce parti d’extrême-droite est apparu alors comme un repoussoir. Toutefois, la dédiabolisation graduelle du FN, sa constante montée en puissance et les incertitudes sur le comportement des électeurs de ses rivaux du premier tour laissent le champ libre à toutes les conjectures. De ce fait, on peut à juste titre se demander, quelles seraient les facteurs d’un renversement des pronostics avancés, ou en d’autres termes à quelles conditions Marine Le Pen pourrait l'emporter.
C’est donc l’objet de cette étude qui se veut une analyse de différents scénarios crédibles sur la base d’un petit modèle de simulation des votes au second tour, avec un minimum d’hypothèses simples et vraisemblables, telles que les enquêtes qualitatives et les sondages récents peuvent le laisser deviner. D’autres raisonnements sont plus personnels et intuitifs mais reposent sur une certaine connaissance du terrain. Les éléments chiffrés ont été calculés sur un fichier de travail Excel classique, dont les résultats sont présentés sous la forme de tableaux et graphiques intégrés dans le présent document. On trouvera donc ici un résumé des principales hypothèses retenues et des trois simulations envisagées en fonction des scénarios étudiés. Bien d'autres sont évidemment possibles et le lecteur est cordialement invité à prolonger cette étude s'il le souhaite.
Les hypothèses de base :
Il s’agit ici des principales hypothèses de construction du modèle qui sont intangibles quels que soient les scénarios. On aurait pu rendre cette méthode de projection encore plus sophistiquée, mais par souci de simplification on a choisi de les adopter telles quelles, d’autant plus qu’elles sont assez raisonnables, et que même si elles devaient varier ce ne serait a priori que dans des proportions assez limitées (à une réserve près évoquée en Conclusion).
a. On conserve tout d’abord le même nombre d'inscrits d'un tour sur l'autre, soit donc 47.581.118 personnes, ce qui apparaît normal, et ne souffrirait en fait que très peu d’exceptions (négligeables) et dans des conditions très particulières.
- Le nombre des abstentionnistes initiaux (10.577.572) est lui aussi maintenu. C’est une hypothèse plus forte qui repose sur l’idée que la tendance sera plutôt à l’augmentation de l’abstention. Il en résulte qu’il n’y aura pas de réserve de voix extérieure pour l’un ou l’autre candidat, et en particulier pour Le Pen.
- Par contre, les voix des recalés du premier tour peuvent alors se porter sur trois types de choix possibles : l'abstention, le vote blanc ou nul et l’un des deux candidats en lice au second tour. On s’attend notamment à une augmentation substantielle de l'abstention ou des votes Blancs & Nuls en raison du climat d’incertitude.
- On suppose qu’il n’y aura pas de report entre les deux candidats du second tour, ce qui reste théoriquement possible mais très improbable (sauf erreur de vote marginale). En d’autres termes, chacun conserve sa mise du premier tour.
- On fait par ailleurs l’hypothèse de reports constants selon les divers scénarios pour les 6 « petits » candidats (Dupont-Aignan, Lassalle, Poutou, Asselineau, Arthaud et Cheminade). C’est un peu arbitraire, mais cela se justifie par le relativement faible impact numérique des transferts de voix (quelques dizaines de milliers). Seul Nicolas Dupont-Aignan a réalisé un score substantiel au premier tour (1,7 million de voix) mais on peut considérer (et l’actualité récente le confirme) que son électorat est stable et déterminé.
- Par contre, en ce qui concerne les trois premiers candidats éliminés (Fillon, Mélenchon et Hamon), on fait surtout varier les reports de voix selon les divers scénarios envisagés. Ce sont les principales variables du modèle.
Scénario 1 : Hypothèse normale, la plus probable => victoire Macron (59-41) :
Le premier scénario repose sur l’idée d’adopter les hypothèses de report les plus courantes dans la littérature politico-médiatique et statistique. On obtient ainsi deux groupes de valeurs (petits et grands candidats) qui constituent l’hypothèse générale la plus probable.
Dupont-Aignan : report de voix très élevé sur Le Pen, estimé à 70 % (c’est a priori indépendant des consignes de vote, puisqu’on s’intéresse au comportement réel des électorats, en dépit de la probable influence du leader). Le reste se répartit entre l’abstention et le vote Blanc & Nul (avec une préférence pour la première).
Asselineau : report élevé sur Le Pen, de l’ordre de 50 % mais 1/3 pour Macron.
Lassalle et Cheminade : reports substantiels sur Macron (50 %) et Le Pen (33 %).
Arthaud et Poutou : aucun report sur Le Pen, forte abstention ou vote B & N.
Hamon : la grande majorité (70 %) des électeurs vont sur Macron et le reste en abstention ou vote B & N. C’est le plus probable.
Fillon : la moitié des électeurs votent pour Macron et 1/3 vont sur Le Pen.
Mélenchon : 1/3 des électeurs votent pour Macron, et le reste vote surtout B & N (estimation à 44 %) ou s’abstient. C’est un comportement logique et prévisible pour les Insoumis (cela est approximatif, mais reste dans la marge d’erreur).
Scénario 2 : Hypothèse pessimiste, => courte victoire de Le Pen (50,1-49,9) :
Le second scénario cherche à explorer des hypothèses de report des voix d’électeurs dont le poids relatif global pourrait amener à une victoire de Le Pen, même si c’est à une très faible majorité. On fait varier à cet effet les comportements des électorats suivants :
On suppose donc que le comportement des « petits » candidats reste inchangé.
On fait l’hypothèse d’un basculement brutal de la droite filloniste vers le FN, qui se traduirait par un très fort report de voix sur Le Pen (60 %) et secondairement par une proportion de votes B & N un peu plus élevée. Le nombre de suffrages exprimés baisserait ainsi de près de 2 millions, et le vote Macron de 2,6 millions.
Par contre, on laisse volontairement inchangé le comportement des électeurs de Mélenchon dans cette simulation pour isoler l’effet Fillon.
En outre, on suppose un moindre vote des électeurs Hamon pour Macron (50 % contre 70 %) et un vote B & N plus élevé. La perte correspondante pour Macron est de près d’un demi-million de voix, et le gain pour Le Pen ne serait que de 45.000 voix dû à l’effet Hamon, sur un excédent total d’à peine 41.000 voix suffisant pour gagner l’élection. La très courte majorité s’établit alors à 50,07 %.
Scénario 3 : Hypothèse alternative, => victoire plus faible de Macron (56-44) :
Le troisième scénario veut étudier la question des effets possibles du vote des électeurs de Mélenchon sur le résultat de l’élection, et cherche principalement à déterminer si l’absence de consignes électorales explicites du candidat pour le second tour pourrait également amener à une victoire de Le Pen, compte tenu des réactions et des comportements avérés de son électorat tels qu’enregistrés par les observateurs attentifs du monde politique. On propose donc d’adopter les hypothèses suivantes :
On maintient le comportement inchangé des « petits » candidats.
De même, on suppose inchangé le comportement des électeurs de Hamon et de Fillon (qui reste identique à celui du premier scénario).
Par contre, on isole l’effet du report de voix des électeurs de Mélenchon en modifiant le comportement de ses électeurs dans le modèle : on diminue de moitié environ (15 % contre 33 %) le vote en faveur de Macron, ce qui réduit le report de 1,3 millions environ, et on accroît massivement (à 75 %) le vote en faveur de l’abstention ou du B & N. Cette fois-ci, c’est l’abstention qui dominerait avec 50 % des voix, en supposant logiquement qu’un évènement soudain aurait poussé les électeurs à refuser majoritairement de ne pas prendre part au vote. Il resterait une petite frange inévitable (estimée à 10 %) en faveur de Marine Le Pen. Bien que cette situation soit quand même extrême, le résultat éventuel serait assez limité, puisque l’effet direct (comme on peut le lire sur les tableaux) consisterait à réduire le vote pour Macron de près de 1,3 millions de voix mais, symétriquement, d’accroître celui pour Le Pen de seulement 500.000 voix environ (en raison de l’abstention). Au total, le vote Le Pen s’accroîtrait de 3.170.096 voix et le rapport de forces s’élèverait à 55,69 % en faveur de Macron contre 44,31 % pour le FN, ce qui est finalement dans la lignée des scores atteints aux élections précédentes.
Conclusion :
Cette étude permet de faire beaucoup de constatations et remarques intéressantes :
le rôle de l'abstention (et du vote B & N) est primordial pour le modèle, et réduit de 7,4 à 8,4 millions le nombre de suffrages exprimés. Ceci explique le succès Le Pen.
le poids des 4 premiers candidats en nombre de voix (30,6 millions et 85 %),
le peu d'effet symétriquement des autres candidats (5,4 millions et 15 %),
la nécessité de la conjugaison d'un vote élevé des Filloniens pour Le Pen et d'un vote faible des Hamoniens pour Macron afin de faire sortir la louve du bois,
le peu d'effet relatif du vote Mélanchonien s'il s'abstient beaucoup, etc.
En conclusion (provisoire), le risque Le Pen existe effectivement mais il est limité et dépend peu semble-t-il du comportement des Insoumis (à moins d'un vote massif pour Marine, ce qui est improbable). Par contre, il dépendra beaucoup plus de la droite et du centre, et en particulier des électeurs de Fillon, ainsi que dans une moindre mesure d'un taux de report encore plus faible à gauche sur Macron (scénario 2, peu probable). Il reste une véritable inconnue, qui a été soulignée, l'abstention du premier tour qui est supposée par construction rester inchangée (les hypothèses proposent seulement une nouvelle abstention), alors que le comportement de 10,5 Millions d'électeurs potentiels est problématique. Y a-t-il un vote de réserve pour Marine ? Cela semble peu plausible, mais il faudrait de véritables études sociologiques que cette méthode d'extrapolation ne saurait remplacer.
ANNEXES