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Billet de blog 3 avril 2022

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« J'étais cette statistique embarrassante... » – À propos du chômage

[Rediffusion] Alors qu'on soumet une activité de 15 à 20 heures comme condition d'accès au RSA, il est temps de rappeler – par ce texte écrit il y a longtemps – ce que c'est d'être au chômage. J'ai appris que c'est un métier à plein temps d'être chômeur. J'ai appris que c'est une expérience psychologique si traumatisante qu'elle vous laisse un sentiment que vous n'oubliez jamais. À l'attention de nos décideurs, qui en ignorent tout.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand j'étais étudiant, je croyais tout connaître sur le chômage. J'avais tout lu, j'avais écouté des témoignages et analysé toutes les mesures économiques prises. Je pensais avoir compris les structures qui généraient le chômage, les difficultés systémiques, les reproductions d'inégalités sociales. Voulant faire carrière dans les ressources humaines, je me disais alors que pour comprendre l'emploi il fallait aussi comprendre le chômage. Théoriquement, j'étais un spécialiste.

Dans le même temps, j'avais rédigé un mémoire sur la hiérarchie en entreprise, et un autre sur la notion de profil en recrutement. Les solutions me paraissaient multiples et j'avais hâte de pouvoir aider à résoudre ce problème et permettre à des personnes d'être enfin sorties de cette galère.

Et suite à un décès qui m'affecta profondément, je fus également au chômage. Un monde que je croyais connaître, du moins dont j'avais exploré les règles et les perspectives peu réjouissantes, s'ouvrait à moi, avec un avenir sombre, et des abîmes de doute et de questionnement.

Le mot « abîme » n'est pas exagéré, car l'on ressort abîmé de ce genre d'épreuve.

A ce moment là, je compris des choses qu'on ne peut expliquer, des événements qui affectent votre vision du monde. Vous n'étiez plus le brillant étudiant, puis le futur cadre en puissance, mais quelqu'un dont l'existence n'était plus prouvée par un statut social si ce n'est l'étiquette honteuse de parasite potentiel ou d'assisté. Une étiquette fausse mais dont vous arrivez à vous convaincre de la pertinence tant cela vous est sous entendu, et tant le murmure moqueur et condamnatoire, ce murmure insidieux devient un hurlement impérieux.

Je ne voyais plus le regard confiant de ma famille quand elle me regardait, et je constatai avec un dépit certain le regard de pitié pour cet autrui qui semblait prendre ce changement économique pour une atteinte à sa propre vie quand il n'affectait que celle de mon foyer.

Je faisais et refaisais mon CV suivant les conseils de chaque personne docte que je pouvais croiser sur mon chemin et elles étaient peu nombreuses. J'allai aux convocations du pôle emploi qui me décrivait alors comme une anomalie du système, puis comme quelqu'un de trop diplômé pour accéder à une formation. J'étais cette statistique bien embarrassante, cette donnée chiffrée qu'il fallait caser dans une catégorie en lui reprochant de ne pas être assez stéréotypée pour m'y intégrer de moi-même.

L'on me proposait des offres d'emploi auxquelles il m'était impossible faute de compétence de répondre favorablement et m'attitrant ainsi une réputation capricieuse.

Les mois suivent, l'incompréhension demeure, les candidatures se multiplient, le téléphone sonne peu et je vérifie qu'il fonctionne toujours, tant les SMS de mes amis deviennent rares, et les appels professionnels sont sporadiques.

Au bout d'un an et demi, quand la peur de devenir sans domicile est à son comble, que ma femme, magnifique de persévérance multiplie les heures supplémentaires de son si pénible métier d'infirmière, que mon fils autiste dont je ne peux assurer un soin de qualité par manque d'argent me regarde avec toute la gentillesse possible malgré ses propres angoisses, une formation pour me reconvertir m'est offerte et l'issue se profile alors. La reconversion devint ma seule chance, pour un métier qui nécessite des compétences autres, une carrière moins reconnue mais qui ne manque pas de possibilités d'emploi au regard de l'austérité apparente de la profession.

J'appris que c'est un métier à plein temps d'être chômeur, avec près de 6000 candidatures déposées, un CV refait une cinquantaine de fois, des entretiens dignes de montagnes russes émotionnelles où l'apogée de l'espoir laisse place au paroxysme du désespoir et du doute.

J'appris que c'est une expérience psychologique si traumatisante qu'elle vous laisse un sentiment que vous n'oubliez jamais, qu'elle vous laisse aussi un souvenir délicat, celui du regard changé d'autrui quand plus rien ne va, quand chacun ne détourne pas le regard en vous voyant, pour redevenir un marqueur significatif d'intérêt quand les choses au sein de votre vie s'arrangent sensiblement. Et cette solitude éprouvante, cette solitude qui laisse votre foyer dans une agonie lente et isolée. Celle qui me fit jurer d'aider les personnes en recherche d'emploi quand je le pouvais et ce bénévolement, sans intérêt, juste pour éviter à certaines personnes de vivre cette marginalisation que j'éprouvai par le passé.

Pourquoi ce sujet ? Pourquoi maintenant alors que mon emploi est pérenne depuis 2017 ?

Parce qu'une crise sociale historique s'annonce. Une crise sociale où des millions de chômeurs vont s'ajouter à ceux qui vivaient déjà ce drame. Une crise qui va produire du chaos pour des familles entières, du doute, de la peur, et du désespoir. Il est impossible de le nier, ou de l'ignorer. Il est désormais également impossible de faire comme si. Faire comme si ce n'était pas traumatisant ou difficile. Faire comme si les personnes au chômage l'avaient bien cherché alors que nous constatons tous que les circonstances et notre système économique si inhumain sont les causes principales du chômage. Faire comme si retrouver du travail n'était qu'une question de volonté. Faire comme si nous avions déjà des solutions clé en main à proposer.

Il convient d'ores et déjà de réfléchir pour se préparer à aider le plus possible, chacun avec ses moyens, ses possibilités, en trouvant des solutions au plus de problématiques possibles. C'est à la gauche et aux écologistes que revient cette tâche, car elle seule possède en son sein le devoir éthique de questionner les systèmes qui nous déterminent, qui nous contraignent, et ce questionnement est une condition nécessaire pour pouvoir imaginer des projets pertinents dans le but de résoudre la crise que nous allons vivre.

Si le principe du chômage ne peut être résolu dans le système que l'on connait alors changeons de système et ne faisons plus de l'emploi la source de subsistance incontournable, quand la simple activité doit être reconnue, ne faisons pas du salaire le seul revenu quand nous savons que tout le monde n'aura pas le job assurant sa survie, et offrons des conditions permettant à chaque personne de vivre dignement. Toute société ne respectant pas cette notion fondamentale devient caduque. Toute formation politique refusant de s'y atteler n'a aucune raison de continuer à exister. Toute formation politique renforçant cette culpabilisation, proposant des choses totalement contraires à l'humanisme et la solidarité doit être combattue. 

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