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Billet de blog 3 octobre 2022

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Gauche, voile, religion et laïcité

J’ai décidé de bien commencer la semaine avec un sujet souvent explosif. Ce qui a provoqué ma décision est de voir un éditorial de Kamel Daoud partagé par des personnes dont j’aurais pu penser qu’elles étaient douées d’opinions assez construites sur le sujet pour éviter des amalgames douteux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai décidé de bien commencer la semaine avec un sujet souvent explosif.

J’ai pris cette décision alors que je ne suis a priori pas concerné et donc pas nécessairement légitime à m’exprimer sur le sujet mais je constate trop de voix, pas forcément plus légitimes, dire des tas de choses sur le sujet avec un mépris total pour les personnes concernées.

Ce qui a provoqué ma décision est de voir un éditorial de Kamel Daoud partagé par des personnes dont j’aurais pu penser qu’elles étaient douées d’opinions assez construites sur le sujet pour éviter des amalgames douteux.

La gauche, dans son histoire a un problème avec la religion. Cela provient essentiellement de deux combats qui furent nobles chez elle : la lutte pour les libertés individuelles d’un côté et la lutte contre une société régie par une religion de l’autre.

Ces luttes ont déterminé beaucoup de progrès sociaux et sociétaux et nous pouvons être fiers de posséder cet héritage et les réussites de ces combats. Mais la société a évolué et il est des combats où il convient de posséder une certaine légitimité pour les mener.

La gauche a donc toujours considéré que la religion était oppressive et un obstacle à l’émancipation des individus. Il était donc crucial ,notamment par le biais de l’école publique pour tous de libérer les individus du carcan religieux.

Ajoutons à cela que la gauche a toujours considéré être l’héritière des Lumières qui firent preuve d’un anticléricalisme affirmé.

Mais il y a actuellement au sein de la gauche un problème de cohérence qui génère des contradictions allant jusqu’à remettre en cause son principe d’émancipation des individus par la défense des libertés individuelles.

La première est que la gauche ne sait pas, ou n’a pas acté, n’a pas réfléchi sur la capacité de libre arbitre social des citoyennes et citoyens en France actuellement. Cela génère une impossibilité à comprendre ce qui est de l’ordre du libre choix éclairé effectué par une personne ou s’il s’agit d’un déterminisme. D’ailleurs l’on pourrait s’interroger philosophiquement sur la question du choix : une décision pour être libre doit elle être librement consentie et éclairée absolument, ou une décision libre n’est elle qu’une décision où l’on possède un contrôle sur les moyens et les conséquences de cette décision ?

La seconde problématique est qu’il existe à gauche une désormais critique de l’individualisme, qui serait la cause du système actuel et de l’engouement du capitalisme et du néo-libéralisme, alors même que l’héritage de la gauche exige de défendre les libertés individuelles.

La dernière problématique est d’avoir intégré dans sa vision de la religion une atteinte à l’espace public, j’y reviendrai.

Soit les citoyens ont une capacité de choisir, soit ils ne l’ont pas. Si les citoyens, et en l’occurrence les citoyennes ont un libre arbitre social alors le voile peut être une liberté de choix, ce qui génère un problème existentiel à gauche qui consiste en un réflexe lui même oppressif : libérer les gens d’eux-mêmes, même par la contrainte. Pour prendre un exemple hors religion, beaucoup de militants de gauche ont défendu l’école obligatoire (pas uniquement l’instruction), même si celle-ci est incapable d’accueillir tout le monde car il est nécessaire de libérer les enfants des traditions familiales ou du carcan de leur classe sociale.

Dans un exemple plus trivial, la mutuelle employeur, obligatoire pour les salariés, afin qu’ils aient droit à une égalité d’accès aux soins quitte à ne pas être libre de la refuser.

La gauche a ce mécanisme consistant à penser ce qui est le mieux pour les individus même si cela ne concorde pas avec l’expression de leurs volontés.

Cela dit quelque chose de la place de l’utopie dans le corpus de la gauche mais aussi de l’infantilisation des individus dans cette pratique.

Cela dit aussi quelque chose de l’incapacité de la gauche à ne pas avoir compris que les citoyennes et citoyens traditionnellement de ce côté de l’échiquier politique, ne cherchaient plus un parti qui les guide mais un parti qui représente leurs aspirations.

De fait, il y a un sentiment de rejet que génère la gauche. Il est en effet très dur d’être croyant ou pratiquant au sein d’une gauche qui veut que la Raison soit contradictoire avec l’idée même d’avoir des croyances ou une foi. C’est particulièrement présent sur les réseaux sociaux où les mots sont durs et les attaques contre les croyants assez fréquente car la critique a dépassé la simple attaque contre la religion. C’est aussi fréquent dans les milieux militants. Nombre de témoignages de militants catholiques, protestants, musulmans ont exprimé le décalage entre les discours universalistes et ce rejet. Ces attaques ne représentent pas la pensée ou l’idéologie des partis mais représente la concrétisation d’une non acceptation de l’idée même que les individus peuvent librement être croyants ou pratiquants.

Ce qui est étonnant car l’anticléricalisme est devenu un rejet de la croyance et malheureusement un rejet parfois et même souvent des croyantes et croyants.

Ce qui est contradictoire puisque la proposition d’un projet utopique repose sur un système de croyances, et la construction des idées de gauche s’est toujours fondée sur un système moral qui reposait lui-même sur un système de croyances.

Et l’on aperçoit alors une absence de nuance. Par exemple, comparer et opposer les courageuses iraniennes qui refusent le voile, avec les françaises de confession musulmane qui souhaitent le porter.

Un raisonnement qui fait fi de l’idée selon laquelle un symbole dépend du contexte et de l’environnement. Le refus du voile en Iran est le refus d’un totalitarisme politique qui manipule la religion à des fins d’asservissement du peuple et en premier lieu les femmes.

Le voile en France n’est pas l’instrument du système politique français, n’est pas l’outil d’un système totalitaire et n’est pas l’asservissement d’une communauté mais l’expression d’un choix individuel. Bien sur ce choix peut être influencé et il existe des situations où la personne n’a pas choisi, mais c’est une dérive, et on ne remet pas en cause une liberté du simple fait d’une dérive exceptionnelle et minoritaire. Ou alors la gauche aura du mal à justifier qu’on maintienne un système de protection social du fait des dérives très exceptionnelles qu’il génère. Tout système a d’ailleurs des dérives, mais elles ne remettent pas en cause ce système, elles justifient l’adaptation de ce dernier.

Dans le cas des femmes iraniennes, c’est une décision politique qui s’impose à elle comme concrétisation de leur liberté individuelle, dans le cas français il s’agit de l’affirmation d’une identité, d’un rapport à la culture ou d’un respect d’une croyance et de ce qu’elle comporte.

Ne pas se questionner sur l’importance d’affirmer son identité en France sera une erreur de raisonnement fatale à la gauche.

Car l’affirmation de cette identité participe, en partie, à l’émancipation individuelle souhaitée historiquement par la gauche, participe à l’accès aux libertés individuelles et à leur exercice au sein de l’espace public, participe à la construction de citoyens qui n’ont pas une seule facette mais une multitude.

Ne pas le comprendre, c’est continuer la déconnexion. C’est croire que revendiquer l’appartenance à une communauté est du communautarisme (le communautarisme c’est placer la communauté au-dessus de tout le reste), c’est penser qu’affirmer sa croyance c’est remettre en cause les lois. Et de fait considérer qu’il y a des priorités dans les idées et les croyances n’est pas créer une hiérarchie réelle entre les normes et les personnes qui en sont affectées.

Plus largement, la gauche ne comprend plus trop la place de l’espace public et lui applique des règles auxquelles il n’a jamais été soumis.

Cela nous conduit à considérer la laïcité comme idée qui a fracturé la gauche depuis des années et continue encore de diviser profondément au sein des partis.

D’aucuns, dont je suis, considèrent que la loi de 1905 se suffit à elle-même, et qui stipule que l’État ne reconnaît aucune compétence aux religions quant aux affaires de l’État, de même l’État ne se reconnaît aucune compétence quant au fait religieux.

C’est la loi de 1905, toute la loi de 1905 et rien que la loi de 1905.

Mais une autre gauche, celle qui compare l’Iran à la France, considère que la religion est une affaire strictement privée et intime et ne doit pas être exprimée en public.

Or c’est une conception de l’espace public qui est restreinte et restrictive.

Et cette conception participe au rejet des croyants que je mentionnais précédemment. La laïcité n’est alors plus la liberté de croire ou ne pas croire mais la liberté de surtout ne pas croire.

Ce que la loi de 1905 n’a jamais affirmé.

Finalement la gauche ne comprend plus l’espace public comme un espace commun où toutes les individualités peuvent exprimer les manifestations de leur unicité, que la garantie de leurs libertés individuelles permet. La gauche ne comprend pas davantage que cette expression est ce qui permet l’épanouissement des individus leur octroyant la possibilité de participer à la construction de ce qui est commun et la consolidation de l’intérêt général.

Rejeter cela c’est brimer les individualités et libérer les égoïsmes, restreindre les libertés individuelles pour lesquelles la gauche s’est battue pour continuer à être le guide de personnes dont les droits devraient être garantis. C’est penser la parole captée et la comparer avec celles d’autres paroles dans d’autres pays. C’est également restreindre la participation citoyenne des personnes que de les assujettir à des normes impactant leur indépendance de conscience.

La problématique à concevoir la démocratie se fonde toujours sur deux principes : ne pas comprendre la diversité des situations, et ne plus comprendre la place de l’espace public. C’est cette incapacité à concevoir la complexité de la démocratie qui permet une simplification qui place l’extrême droite en si haute position. Elle n’a jamais été si haute.

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