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Billet de blog 4 août 2024

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Lettre à Olivier Falorni et autres députés sur la fin de vie

Votre principal argument consiste à penser qu’il faut pouvoir mourir dans la dignité et que finalement, la mort digne serait celle que l’on peut choisir, celle qui nous épargne des souffrances, et un quotidien que l’on subit davantage qu’un quotidien que l’on choisit. Puisque vous admettez vous-mêmes que cette question est philosophique et l'expression malheureuse.

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Monsieur le député

depuis des années, vous nourrissez le combat pour légiférer sur l’euthanasie, le suicide assisté et le droit à mourir.

Il ne m’importe pas de juger  vos motivations qui sont certainement louables et valeureuses ni de commenter les aspirations intimes qui nous déterminent dans ce débat.

Le rapport à la mort, la relation qu’on entretient avec notre propre fin, ou la prévision de celle-ci relèvent davantage d’une réflexion philosophique, ou religieuse selon, que d’un argumentaire politique.

C’est en tant que président d’association, la Neurodiversité France, mais également en tant que citoyen de classe sociale précaire, personne en situation de handicap, et père d’enfants ayant la même condition que moi, que je vous écris.

Votre principal argument consiste à penser qu’il faut pouvoir mourir dans la dignité et que finalement, la mort digne serait celle que l’on peut choisir, celle qui nous épargne des souffrances, et un quotidien que l’on subit davantage qu’un quotidien que l’on choisit. Puisque vous admettez vous-mêmes que cette question est philosophique je vous poserais quelques questions qui indiquent que mourir dans la dignité est une expression malheureuse.

En effet, si seule la mort que l’on choisit est une mort digne alors chaque mort qui est contrainte serait indigne. Si seules les personnes qui choissent de mourir pour éviter une souffrance et un quotidien épuisants sont dignes, les personnes qui le refusent seraient indignes ?

Si vous répondez que toutes ces personnes, quelle que soit la décision prise par elles sont dignes alors votre argument ne repose plus sur rien.

Mais restons sur cette notion de dignité. Celles et ceux qui refusent de mourir malgré une vie très difficile ont ils une vie indigne ? Mourir dans la dignité est-ce choisir de quitter une vie indigne ? La mort ne serait digne que si la vie est indigne ?

Cela ne tient pas. S’il existe une notion de dignité séparant les vivants et les morts alors quels sont les critères permettant de distinguer qui est digne et qui ne l’est pas dans la vie comme dans la mort ? Et qui juge du moment où la vie n’est plus digne ? La personne qui fait le choix de mourir ? Mais son constat repose t-il sur une observation construite de sa situation ou du regard d’autrui ?

Et les personnes sont elles responsables de leur vie ? Si on peut s’entendre sur un certain degré de responsabilité dans nos actes, sommes nous responsables de nos conditions de vie ? Du lieu où nous vivons ? De notre santé ? De nos conditions sociales professionnelles et économiques ?

Est-ce le fauteuil roulant qui détermine qu’une personne pourra mourir dignement car sa vie est jugée indigne ou tellement dure au quotidien qu’il vaudrait mieux pour elle qu’elle parte, que finalement son seul choix soit celui de définitivement ne plus faire de choix ?

Inversement une personne qui semble avoir une belle vie selon les standards et donc par extension une vie reconnue comme digne aura t-elle le droit de vouloir mourir sans que cela ne soit jugé être du gâchis ? Toujours en prenant pour exemple le handicap, dans une société qui établit avec évidence l’idée que le handicap est un motif valable pour mourir, quel sera le jugement de chacune et chacun en observant des personnes concernées qui ne souhaitent pas mourir ? Le jugement à l’encontre des personnes faisant partie des dites minorités est déjà affligeant de haine aors quel sera t-il ? Ces personnes seront-elles jugées indignes ?

Accorder une notion de dignité à la mort et par réciprocité à la vie conduit logiquement à accorder une valeur à la mort ainsi qu’une valeur à la vie. Et si ces valeurs correspondent à des degrés de dignité alors il existe une hiérarchie, alors toutes les vies et toutes les morts ne se valent pas. Si tel est le cas, et je pense que l’opinion est partagée par beaucoup de monde, alors l’euthanasie comme le suicide assisté auront intrinsèquement un rôle d’évaluation de la valeur des vies et des morts. Aussi souhaite t-on être utilitariste sur des concepts et des questions où jusqu’à maintenant notre société était déontologiste à savoir considérer la morale selon l’acte en soi, considérer la vie pour ce qu’elle est en soi prioritairement aux finalités qui en résultent ? Je vous suggère sur ce point la lecture de Philippa Foot.

Nous vivons dans une société capitaliste, où chaque chose a une valeur, chaque objet un coût, chaque acte est lié à un rapport entre gain et perte ; souhaitons nous que l’euthanasie et le suicide assisté se fondent sur ces principes ?

Si tel est le cas, comment pourrez vous empêcher que ce soit les vies les moins utiles pour la société qui ne seront pas celles qui seront les plus motivées à choisir d’en finir. En finir car considérées comme portion congrue de la société, en finir car exclues, sans droit puisqu’une société qui n’est plus forcée de progresser sur les droits des individus les délaisse, en finir car mises au ban du contrat social.

Si l’on prend pour exemple les personnes en situation de handicap, qui n’ont déjà pas accès à leurs droits, qui doivent se battre ne serait-ce que pour être logées de façon adaptée (ce qui est impossible), avoir un peu de ressources pour se nourrir correctement (ce qui est excessivement compliqué), à être présents dans l’espace public (alors que rien n’est fait pour), et que nous sommes déjà considérées comme peu de chose.

Comment ferez-vous pour empêcher une régression de nos droits déjà bien maigres et comment ferez-vous pour donner de l’espoir à tant d’entre nous qui ne voudrions en finir non par la cause de notre handicap mais par une société qui considère notre handicap comme si indigne qu’en finir serait mieux pour nous et pour tout le monde finalement ? Et si l’on pense à la liberté de choisir, pourquoi aurions nous davantage accès à la mort qu’à un logement adapté ? Une école pour toutes et tous ? Un emploi ? Et comment penser une société qui donnera davantage accès à des services de santé pour mourir quand les déserts médicaux des services utiles à vivre bien augmentent ?

Dans leur texte présenté à la cour suprême américaine, Dworkin, Scanlon, Nagel, Nozick, Jarvis Thomson et Rawls, admirables au demeurant, défendent l’idée que les droits fondamentaux individuels doivent permettre de choisir souverainement de la continuité ou non de leur vie et particulièrement en cas de phase terminale. Ils ont raison. Et d’ailleurs je vous invite à lire leur article qui ne défend ce principe que pour les personnes qui présentent une maladie en phase terminale. L’autre difficulté dans leur démonstration est qu’ils n’ont pas intégré l’idée selon laquelle on pouvait penser choisir librement alors que ce qui provoque notre choix provient de déterminisme sociaux, économiques et culturels si profonds que le choix n’a rien de libre. Dans ce cas l’euthanasie préserve t-elle les droits fondamentaux ou les déterminismes cités ? Et comment peut-on conclure que le choix est éclairé quand il est si déterminé ?

Une société qui est en crise sociale, en crise morale avec une extrême droite très élevée, en crise politique, en crise économique, en crise, ne peut garantir sur ces questions de préserver tout le monde d’une crise existentielle motivant le choix de l’euthanasie.

A propos de l’extrême droite, je pense qu’un principe moral pour tout législateur est de toujours considérer les lois à l’aune de leur exercice avec un régime extrémiste au pouvoir. Considérons ensemble, si vous le voulez bien, que cela devrait amener à repenser le projet que vous êtes résolu à faire adopter. Finalement vous donnez au législateur la possibilité de réguler qui peut mourir volontairement ou non. Si un régime totalitaire devient majoritaire, comment espérer que cette loi ne servira pas de sombres desseins ?

L’euthanasie et le suicide assisté doivent être pensés, réfléchis et débattus mais cela ne peut se faire qu’au sein d’une société apaisée, avec un climat général beaucoup plus serein. Aussi, si l’on observe les pays qui l’ont mis en application, la crainte des personnes handicapées se vérifie, notamment au Canada, une société qui semble pourtant plus progressiste sur bon nombre de sujets.

Nous sommes minoritaires à penser ainsi, souvent associés à des positions réactionnaires avec lesquelles nous n’avons rien en commun. Nous demandons simplement à ce que nos arguments soient considérés et que des garanties soient apportées afin d’éviter de potentielles graves dérives.

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