Texte qui a quelques mois et que j’avais toujours hésité à publier. Parler de soi, de son autisme c’est d’une certaine façon un coming out. En politique cela ne pardonne pas. Mais étant engagé politiquement sur le sujet du handicap, étant membre d’associations sur le sujet, je me dis que c’est nécessaire.
Autisme
« t’as pas l’air autiste », « ça va ! C’est léger cela ne se voit pas ! », « tu sais on est tous un peu autistes »…
Ce genre de phrases je les entends quasiment constamment. Elles sont très compliquées à accepter car elles portent en elles une ambivalence.
D’un côté, j’en viens à penser que mes capacités à m’adapter, à comprendre les jeux sociaux, les codes, sont suffisamment développées pour que cela passe inaperçu.
D’un autre côté, c’est nier mes spécificités et parfois mes difficultés.
J’ai été diagnostiqué tardivement. Après que nous ayons su pour mon fils aîné, il a fallu chercher si c’était héréditaire, certaines manifestations faisaient écho à des situations vécues dans mon passé. La psychologue et le psychiatre qui m’ont diagnostiqué ont confirmé ces spécificités, ces situations incomprises, ces moments d’enfance révélateurs d’une souffrance. Ma mère n’a jamais pu le savoir, mon père l’a su plus tardivement encore que moi-même. Et savoir ce que c’est ne signifie pas nécessairement savoir ce que cela implique.
Selon le psychiatre qui m’a diagnostiqué, je suis un « génie maladroit », avec de grosses facultés intellectuelles, mais une praxie délicate. Les facultés, sont l’expression d’un potentiel et non d’une quelconque situation de supériorité vis à vis d’autrui.
Et si cela apporte quelques avantages, notamment des capacités d’analyse particulières, une très bonne mémoire, Il réside dans mon autisme (je dis « mon » car chaque autiste est différent) des complexités à prendre en compte dans un monde totalement inadapté et qui refuse la moindre adaptation.
Une hypersensibilité physique au bruit, à la lumière, parfois au toucher quand je suis fatigué et qui génèrent un mal-être fréquent chez moi.
Une anxiété par rapport au changement qu’il me faut surmonter.
Une angoisse vis à vis d’échanges sociaux imprévus.
Tout ce qu'il est impossible d'anticiper, dont les variables ne peuvent être calculées, les probabilités situationnelles analysées, les contextes appréhendés, et que l’on ne peut prévoir, provoquent chez moi un stress que des années d’adaptation parviennent à contrôler mais qui procurent des sensations désagréables pour utiliser un euphémisme.
L’impression d’être souvent en décalage, soit d’aller trop vite, soit de ne pas assez intégrer d’autres facteurs que ceux que j’ai analysés sont aussi à prendre en compte.
Ma tendance naturelle à ne prendre en compte que ce qui est rationnel et laisser de côté l’émotion ou de ne pouvoir que la considérer et ne pas la ressentir.
Mon adaptabilité eut pour conséquence que cela passait inaperçu au point d’entendre souvent les phrases que je mentionnais au début.
Et finalement un ego très faiblement présent, laissant place à l’importance des idées, des convictions et d’autrui. Autrui est de fait très important dans mes pensées et c’est probablement pour cela que je me suis lancé en politique, parce que beaucoup de personnes, beaucoup d’autrui étaient laissés de côté, abandonnés, maltraités, en souffrance. Cela anima en moi une saine colère, une indignation certaine et une envie de régler les problèmes.
Il est d’autant plus compliqué de parler là, de moi, avec cet ego qui prend si peu de place et dont je peine à y déceler une quelconque importance.
Mais je me dis que cela peut servir à être mieux compris, et peut donner envie à des personnes dont les aspirations premières n’étaient pas la politique de se lancer dans ce bain foisonnant de complexités et de doutes.
Une manière aussi d’affirmer qui je suis, quelle est une grande partie de mon ontologie.
A ceux qui penseraient, même sans oser le dire, que je suis trop fragile pour faire quoi que ce soit en politique, être candidat, que selon le lieu commun est déficient toute personne différente, que je serais du coup peu fiable je tiens à les rassurer, je ne me serais pas lancé dans cette aventure sans certaines certitudes.
J’encourage toutes celles et tous ceux qui ne se pensent pas capables mais qui veulent s’engager, quel que soit le domaine, quelle que soit l’activité, de ne pas hésiter, Je crois que c’est important. Avoir fait de la philosophie, de la psychologie, étudié beaucoup, travaillé, avoir un emploi, une famille, des enfants extraordinaires, une femme merveilleuse sont des expériences qui m’ont construit et ont renforcé mon droit à être différent et être capable d’autant de choses que le reste du monde.
Cela renforça ma conviction de pouvoir faire des choses, et servir l’intérêt général de belle façon. C’est une différence qui me permet de voir les choses d’une autre façon, de trouver d’autres solutions, et d’aider les personnes avec d’autres atouts. Sans mon autisme, je n’aurais pas aidé autant de personnes à trouver un emploi avec succès, sans mon autisme je n’aurais pu comprendre la richesse de l’unicité de chaque individu, je n’aurais pas compris la philosophie de la même manière, et n’aurais pas pu apprendre autant de choses. Face à une grande diversité de crises et de problèmes que nous rencontrons tous actuellement, que le monde vit et subit, je demeure convaincu que la diversité des personnes et des potentiels sera une des conditions incontournables pour les surmonter. L’intelligence collective, c’est la richesse des différences de chacun au service de tous.