J’aurais aimé voter pour toi Jean-Luc et pour le programme l’Avenir en Commun. Sincèrement, au-delà de mes responsabilités et devoirs, en tant que citoyen, j’aurais aimé que ta candidature m’impose un dilemme. Que tu me places dans un tiraillement confinant aux pires insomnies entre ta candidature, et celle de Yannick Jadot, que mon mouvement, Génération-s, soutient.
Il y a tant de bonnes choses dans ton programme, que ce soit sur la justice sociale, la protection des plus vulnérables, une gauche qui enfin pense à l’écologie, et rompt définitivement avec le productivisme émancipateur des individus. C’est un programme de rupture, un vrai programme de transformation de la société sur ses aspects sociaux, économiques, écologiques, démocratiques. Beaucoup d’amis te suivent d’ailleurs et te soutiennent même ceux qui avaient résisté aux sirènes du vote utile en 2017. Et comment ne pas parler de ta verve, de ta qualité oratoire de ton sens de la colère juste ?
Mais de dilemme il n’y aura finalement pas. Et je le regrette. Il y a parmi toutes ces qualités beaucoup trop d’ambiguïtés. Alors tu appelles cela des nuances. Mais cela m’interpelle personnellement. Tout le programme de l’Avenir en Commun est sur l’absence de nuances, parce qu’il est révolutionnaire, parce qu’il est radical, parce que tu affirmes toi-même, et tu as raison, que la situation exige de ne pas être tiède ou trop nuancé. Une nuance qui n’est pas précisée, qui n’est pas comprise et qui dénote sur la somme de tes discours n’est elle donc pas une ambiguïté ?
Elles sont hélas nombreuses.
Sur l’Ukraine tout d’abord, où l’évolution du discours ne peut masquer certaines contradictions et des déclarations durant des années. Quelque chose me chiffonne d’ailleurs. Tu es le premier, toujours à raison, à défendre le peuple souverain contre l’État souvent abusif en France, et à considérer que le peuple doit être en liberté de déterminer sa propre condition, son propre avenir. Cela peut d’ailleurs rappeler Rousseau qui disait qu’un peuple était libre de s’opposer à son gouvernement s’il se sentait opprimé, ou qu’il considérait les lois comme injustes. C’est le respect de l’esprit des Lumières que tu incarnes en affirmant cela.
Pourquoi cela ne peut il être transposé en Chine ? En Russie ? En Syrie ? Dans chaque situation de conflit entre le peuple ou une partie du peuple avec l’État tu prends la défense de l’État. Cette contradiction m’a toujours surpris et inquiété. Faut il y voir là une tension dans ton amour des Lumières mais en même temps celui pour Robespierre, du peuple en colère et de l’État incarné en un seul homme ?
Une autre ambiguïté fut celle sur les vaccins où la levée des brevets, demande légitime, laissa place au fait de « convaincre plutôt que contraindre », qui laissa place au refus d’appeler à la vaccination et qui laissa définitivement place à la mise en relation douteuse entre Chlordécone et vaccination.
Moi qui suis un ardent militant de la rationalité scientifique et qui fais partie d’une communauté qui doit subir des fake news sur les vaccins, les antibiotiques et bien d’autres je ne peux qu’être inquiet sur cette volonté de ne pas assumer une prise de position claire. La gauche radicale clive et c’est parce qu’elle clive qu’elle suscite l’adhésion, parce qu’elle affirme des évidences niées qu’elle est aimée.
Une dernière ambiguïté finalement repose sur la Sixième République. En 2017 tu affirmais la création d’une constituante et la mise en place le plus rapidement possible d’un régime parlementaire. Désormais ce serait deux ans et demi après ton élection. Et je ressens, esprit croyant mais inquiet une alerte. Pourquoi retarder ? Est-ce en lien avec cet amour pour l’autorité ? Pour le leadership ? Pour la volonté de guider ? Toutes les figures révolutionnaires pensent devoir guider.
AU-delà des ambiguités il y a une contradiction manifeste que je ne peux éluder. Ton programme, et ta formation politique sont construits autour de la lutte contre les discriminations. Etant militant sur le handicap et l’inclusion, je ne peux comprendre que tu balayes la condamnation de la France par l’ONU sur l’institutionnalisation et donc cautionner un validisme fort dommageable.
On ne choisit pas les personnes vulnérables qu’on défend. On les défend toutes.
Une dernière chose m’a décidé. Tu utilises l’argument du vote utile en culpabilisant les autres militants ainsi que les électeurs si jamais, ils ne votent pas pour toi. Tu t’es plié au chantage des sondages et tu as cessé de faire campagne sur les idées, pour tout miser sur l’utilité et le spectre de l’extrême droite. Tu as cessé de vouloir convaincre sur le fond en exigeant que la nécessité fasse la loi une fois de trop alors que les faits sont têtus. Si tu n’as pas suffisamment de voix c’est parce que tu n’as pas assez convaincu, si les autres partis ne sont pas derrière toi c’est parce que tu as refusé de co-construire un programme inédit avec eux, si tu perds ce sera aussi la responsabilité de cette campagne de chasse aux militants des autres partis et au harcèlement qu’ils ont subi par les militants de l’Union Populaire. Malheureusement.
Alors je vais voter Yannick Jadot.
Parce que je le dois. Surtout.
Parce que je suis responsable au sein de Génération.s, que je me suis engagé au sein de la primaire des écologistes et que je respecte le résultat.
Par loyauté, pour mon mouvement et le programme auquel j’ai contribué.
Pour les militants sincèrement engagés.
Parce que le programme est bon. Même si Yannick Jadot n’a semble t-il jamais voulu défendre la justice sociale qui le compose et demeuré juste un champion de l’écologie ce que les électeurs comme les médias lui accordaient déjà.
Je vais voter Jadot, malgré son absence au handébat et la mise à l’écart du sujet du handicap et de l’inclusion dans la campagne parce que les idées sont là.
Je vais voter Jadot parce que je souhaite que l’écologie soit présente dans la recomposition d’une gauche forte et résolue.
Je vais voter Jadot. Par devoir.
Je vais voter Jadot, parce que je ne crois pas au vote utile, et que la diversité des paroles et des discours sera toujours le meilleur moyen de construire une pensée politique fertile.
Je vais voter Jadot, contre les sondages qui ont un impact décisif sur chaque campagne.
Je vais voter Jadot, car je ne vois même pas quoi faire d’autre, il n’y a finalement aucun dilemme.
Parce qu’il le faut.