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Billet de blog 9 novembre 2023

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Coup de Philo ! La lutte contre l'extrême droite est morale

Alors que l'on débat si nous devons manifester avec l'extrême droite contre l'antisémitisme, petit rappel de la nécessité d'avoir des valeurs morales en politique.

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Lorsque l’on établit qu’une action est morale ou immorale c’est que l’on considère qu’elle repose sur des principes qui transcendent l’action en elle-même. Cela signifie que le sens qui lui est donné, ou le sens objectif qu’elle possède, repose sur des idées et des notions qui la surpassent et qui participent à ce qu’on juge bon ou mauvais, juste ou injuste. Il est également possible de juger une action morale ou immorale en fonction des conséquences qu’elle produit.

Depuis plusieurs années, la lutte contre l’extrême droite a radicalement changé. Tout d’abord les modes d’action ont changé, mais les principes qui les articulent ainsi que la stratégie qui l’encadre ont également été profondément modifiés.

Dans les années 30, à l’époque du Front Populaire, l’extrême droite était définie comme des mouvances et mouvements caractérisés par l’antisémitisme, le racisme mais également un nationalisme véhément et violent. A cette époque, les combats pour la justice sociale, l'égalité, et la démocratie étaient des principes moraux qui servaient d’armes contre l’extrême droite. Mieux encore, l’épanouissement individuel et l’intérêt général, l’accès au bonheur étaient des valeurs morales souvent revendiquées en opposition à l’extrême droite. Il existait donc un paradigme moral et éthique à considérer comme un combat juste celui qui consistait à se battre contre la barbarie nationaliste. Nous pouvons ajouter à cela que ces valeurs encourageaient à penser un progrès de notre société et suscitaient ainsi une adhésion. Il y avait donc un combat de la République pour un avenir universel et une lutte contre l’ennemi de ce progrès. Même sous Jacques Chirac, à défaut d’une vision du monde, il existait une pétition de principes avec la métaphore de la digue républicaine contre l’extrême droite. L’expression « front républicain » était riche en sens et en portée morale car elle était l’affirmation que ce qui était juste prévalait sur le reste.

Cependant, les choses ont changé, et la gauche comme la droite ont cessé de revendiquer la lutte contre l’extrême droite comme un principe premier de leur action politique mais surtout comme un principe moral structurant leurs autres combats.

Pourquoi ?

Nous pouvons constater plusieurs raisons.

La première est qu’il a été constaté par les Etats Majors des partis que revendiquer le caractère moral de cette lutte n’était pas porteur électoralement. Il était alors rapporté que les citoyennes et citoyens préféraient des propositions pour quelque chose, que contre quelqu’un, qu’il fallait être pragmatique ce qui instaurait l’idée que la morale était une notion abstraite, et il y avait un problème crucial pour la gauche : l’électorat populaire qui votait anciennement pour elle était de plus en plus séduit par l’extrême droite. Il était difficile de fâcher le peuple qu’on disait défendre en le traitant de facho.

La seconde raison est que la gauche, comme la droite, les partis du moins, ont vu les sociologies qui les constituaient se réduire dans leurs diversités géographiques, sociales, culturelles tant et si bien que l’extrême droite n’a plus été un sujet prioritaire. En effet, certains partis voient leur militance concentrée sur Paris ou dans les grandes villes, là où l’extrême droite n’a jamais fait de gros score.

Une troisième raison consiste en ce que la gauche qui s’est battue contre l’extrême droite était la gauche au pouvoir. Elle n’était pas encore la gauche qui a trahi ses engagements, qui a vu des affaires se succéder, et qui n’a donc plus une légitimité morale pour justifier ses luttes par des principes moraux.

Pour la droite il y a eu un changement de paradigme avec Nicolas Sarkozy consistant à voir en l’extrême droite un réservoir de voix des déçus de Chirac. Cette stratégie a annihilé le concept de digue permettant récemment l’avènement du fantasme conservateur de l’Union des droites.

Une dernière raison consiste en la perte des pensées idéologiques des partis politiques. Lorsque le Parti Communiste Français et le Parti Socialiste s’opposaient à l’extrême droite, il y avait Marx, Jaurès et bien d’autres qui infusaient de leurs ouvrages, héritages et discours l’action politique militante et les valeurs morales des collectifs politiques, les différents courants au sein de ces formations n’étaient pas en débat sur des stratégies électorales mais des nuances intellectuelles fortes.

Et une raison supplémentaire qui est la conséquence des précédentes consiste en ce que les partis politiques incitent désormais à la défiance des citoyennes et citoyens et que le désespoir de cette désaffection conduit les formations à lisser le discours, et tenter de séduire le plus grand nombre, parfois sans cohérence et souvent sans résultat.

Ces différentes évolutions des logiciels des partis politiques républicains ont renforcé la stratégie de dédiabolisation de l’extrême droite. Le Rassemblement National sous la direction de Marine Le Pen a réussi à se détacher des oripeaux paternels de l’outrance pour endosser le vêtement de l’honorabilité. Pour finalement être considéré comme un parti comme les autres et participer à une manifestation contre l’antisémitisme dimanche prochain. Si cette participation soulève un débat, elle ne suscite plus ni unanime indignation ni colère. Le parti de la flamme, celui créé par des SS, défendant les juifs.

A force de rejet de la morale, par contrainte ou par choix, à force de revendication d’un pragmatisme qui n’est en fait qu’une idéologie de gestion économique au détriment d’une vision philosophique de la société, la gauche et la droite n’ont pas réussi à garder le diable dans sa boîte.

Le RN a désormais 90 députés à l’Assemblée, des élus locaux, des députés européens alors qu’ils veulent la quitter, et des médias.

Parce que l’on a pensé que la morale ne devait plus entrer en  jeu, le RN est devenu un parti moralement acceptable. Parce qu’on n’a pas voulu fâcher les électeurs qui votaient pour l’extrême droite, l’on a posé un doigt sur la bouche des indignés pensant que le Rubicon pouvait être franchi en sens inverse. Mais ce n’est pas le Rubicon qui est traversé par ces électeurs perdus, c’est le Styx et bel et bien l’Enfer qui sera proposé. Et la gauche doit le dire.

La gauche doit dire que l’extrême droite, c’est l’héritage antisémite du nazisme, l’héritage du colonialisme cruel, l’héritage d’une homophobie crue, l’héritage d’un validisme excluant, d’un racisme décomplexé, d’un catholicisme réactionnaire, d’une velléité guerrière envers le monde et d’une fermeture à toute autre culture.

L’extrême droite est le mal. A force que des esprits contrariants déclarent que ce propos est caricatural, qu’on ne peut plus dire cela, plus personne ne l’a dit. Non il n’est pas manichéen de dire que parmi tous les mauvais le RN est l’abject, parmi toutes les bêtes elle est l’immonde et parmi toutes les pestes elle est la brune.

Les forces républicaines ont un impératif catégorique : combattre ce qui n’est pas républicain.

Les forces de gauche ont un axiome moral : combattre l’intolérance et l’ignominie du racisme, de l’antisémitisme, de l’homophobie, combattre une extrême droite prônant une hiérarchie entre les personnes, et une domination d’une communauté sur les autres.

C’est en respectant ces valeurs morales que la gauche mais aussi la droite pourront reconstruire un corpus de pensées qui seront politiques et idéologiques. L’on ne peut avoir de vision du monde sans morale.

L’on ne peut avoir de vision de la société sans action morale contre les ennemis qui s’y attaquent.

C’est par une lutte morale contre l’extrême droite que la confiance des citoyennes et des citoyens reviendra car elle permettra de dévoiler les impostures et forcer les partis politiques républicains à une exemplarité.

La lutte contre l’extrême droite est l’acte fondateur qui garantira une pensée politique structurée autour d’une action juste. C’est ce qui manque aux projets de justice sociale ainsi qu’aux projets écologiques. Et qu'il faut dire aux citoyennes et citoyens que notre propre intérêt ne sera jamais satisfait au détriment d'un ennemi imaginaire.

Lorsque ces différents partis ont refusé la morale comme arbitre des actions et discours, ils ont aussi refusé revendiquer la vérité. Or qui va croire un collectif qui ne déclare jamais que la vérité est importante pour lui ? Qui va croire que les actions seront justes si elles ne sont pas pensées vraies et véritables ?

Personne. De fait, plus grand monde ne vote.

Cette lutte, est la seule possibilité de restaurer une action politique qui soit identifiable, claire, et valeureuse. Elle est la seule qui permettra une reconstruction de la démocratie selon un nouveau contrat philosophique. Si nous ne le faisons pas, alors la flamme nous consumera.

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