C’est le temps des élections nationales. Les tribunes se succèdent, les acteurs se mobilisent, les promesses pleuvent puis le silence revient. Le silence et la détresse. Car rien n’aura alors changé.
Si les revendications sont légitimes, de nombreux sujets semblent trop peu ou mal traités dans le discours ambiant sur l’école, comme l’équité, l’inclusion, la relation-école famille, ou encore l’urgence de développer une éthique scolaire.
Ces deux dernières semaines, nous avons pu assister à la parution d’une tribune initiée par des professeurs sur la situation alarmante de l’école et sur les principes qu’il faudrait déployer pour la sauver. Dans un même temps, était partagé par beaucoup de professeurs un ancien billet de blog, datant de 2016, paru dans l’OBS d’un professeur titrant « Chers parents vous nous emmerdez... ». Le propos qui suit est aussi à prendre dans ce contexte.
L’école va mal. Il n’y a en effet pas besoin d’être expert sur la question pour s’en rendre compte.
Nos professeurs sont parmi les plus mal payés en Europe, ils ne sont pas reconnus tant et si bien que leur recrutement est désormais hasardeux, leurs conditions de travail sont catastrophiques et ils ne sont pas soutenus par une administration qui a bien du mal à fonctionner. Nous avons des enfants qui ne vont pas beaucoup mieux, nourris par l’angoisse d’échouer ou par la cruelle résignation que réussir ses études ne sert de toute façon à rien puisque l’école ne garantit plus depuis des décennies maintenant, d’avoir un emploi, une sécurité, une vie adulte dénuée d’une quelconque misère. Le personnel scolaire est déconsidéré, en sous-effectif, soumis à des contrats précaires. Les parents, sont angoissés à l’idée que leurs enfants aient la même vie qu’eux, ou pire, et que leur avenir ne soit qu’une succession de drames auxquels personne n’est jamais vraiment outillé pour se défendre. Ajoutons à cela que nombre d’écoles, de collèges et de lycées ne sont pas adaptés à un enseignement de qualité et, pour beaucoup, ne sont plus aux normes de salubrité (l’exemple des écoles marseillaises il y a quelques années le démontre).
La tribune parue en mai, à l’initiative des professeurs, parfois simultanément responsables de la question de l’éducation dans des partis politiques énonce beaucoup de vérités, que nous connaissons toutes et tous depuis longtemps. En effet, il faut lutter contre les inégalités scolaires. En effet, il faut fonder une école qui permette une diversité des contenus, des moyens d’apprentissage afin d’intégrer le plus de compétences possibles pour le plus d’enfants.
En effet, il convient de mettre des moyens suffisants pour que les personnels soient enfin dans de bonnes conditions personnelles et collectives.
Mais cela ne suffit pas. Car cela fait des décennies également qu’on mentionne « la coopération entre parents, professeurs et élèves », que l’on mentionne l’école comme sanctuaire du savoir puis comme lieu de vivre ensemble.
Malheureusement cela se conclut souvent par des articles sur les parents qui emmerdent, sur les professeurs qui ne travaillent pas comme il faudrait, et des élèves qui ne seraient pas au niveau. Et les fossés se creusent toujours un peu plus. Les associations de parents d’élèves, comme de nombreuses familles déplorent d’être exclues d’une institution qui les responsabilise tant. La coopération école-famille n’est pas préjudiciable à l’enfant ni à la construction de sa citoyenneté. De nombreuses études prouvent le contraire, et de nombreux pays nous montrent l’exemple, comme l’Irlande ou la Finlande.
La raison est simple. Quelles que soient les tribunes ou les articles, les causes ne sont jamais abordées, et les solutions ne demeurent dès lors que parcellaires.
Pourquoi y a t-il désormais 60 000 enfants en Instruction En Famille actuellement quand il n’y en avait que 15 000 il y a quelques années ? 3000 sont justifiés par des raisons religieuses.
Pourquoi le système accroît-il les inégalités au lieu de les réduire ?
Pourquoi l’école échoue t-elle simplement dans ses missions ?
Il est évident qu’une tribune n’est pas une thèse, et le principe n’est pas de procéder à une analyse détaillée du système français de l’éducation mais les solutions proposées ne laissent pas penser que l’analyse ait pu être faite. A une époque où beaucoup réclament que l’école doit être obligatoire (et plus seulement l’instruction), il est primordial de rappeler que l’école est en incapacité d’accueillir tous les enfants et quelles en sont les causes,
Le système scolaire accroît les inégalités parce qu’il est dans ses propres principes, excluant.
Et ses principes permettent cette exclusion pour trois raisons principales.
La première raison est que l’école dont la mission première devrait être de former les enfants à devenir de futures citoyennes et citoyens (il suffit de lire Condorcet) ne le fait pas. Être un citoyen éclairé pour reprendre Condorcet justement, c’est être un citoyen libre de ses opinions par un esprit critique qui a su développer des connaissances fermes, mais également une autonomie dans la vie quotidienne. L’école n’enseigne pas cette autonomie pratique. Et pour cause, un malentendu s’est insinué dans le modèle scolaire. L’école est devenue utilitariste. Elle ne sert plus à former des citoyennes et des citoyens (chose qu’elle n’a jamais vraiment pu faire), mais des travailleuses et des travailleurs. Le principe est donc « d’avoir de bonnes notes » pour choisir son orientation et ainsi avoir un métier. C’est le contrat tacite. Pour les élèves qui ont des lacunes, le secteur professionnel sera conseillé. Pour ceux qui ont davantage de lacunes encore, c’est l’impasse.
Pourtant, quelqu’un qui a des lacunes pour accéder à un métier peut être un excellent citoyen, pour peu que ce qui structure les principes de la citoyenneté éclairée que mentionne Condorcet soit vraiment mis en avant. Et l’on a pu voir d’excellents professionnels, de grands patrons être de piètres citoyens.
Il est d’ailleurs amusant de constater la polémique autour du sujet des Hauts Potentiels Intellectuels, remis en cause par beaucoup de professeurs sur les réseaux sociaux (avec quelle compétence?) à l’aune d’une école qui ne peut plus promettre un métier, même en cas de bons résultats scolaires. C’est amusant car le HPI qui se diagnostique selon le QI est donc déterminé par un test, qui à la base, fut commandé par l’État français à Binet pour évaluer qui serait bon travailleur et qui ne pourrait pas l’être.
L’ironie est ainsi délicieuse. Sans compter que de nombreux tests de QI (entre autres) sont impulsés par le rejet scolaire de tout enfant ayant un ethos ou un profil cognitif trop éloigné de la culture scolaire.
Si l’école ne permet pas d’accéder à une citoyenneté accomplie, et qu’elle n’est plus gage de réussite économique individuelle, alors elle ne peut pas réduire les inégalités sociales.
S’ajoute à cela un mode d’évaluation fondé sur la compétition et sur la mise en avant non des individualités (ce qui serait respectable) mais des égos, et vous avez un système qui renforce la compétition et donc les inégalités.
La seconde raison est que le système scolaire est fondé sur l’évaluation et la notation. En plus d’être un modèle de compétition c’est un modèle qui repose son évaluation sur des normes. Normes de comportement, normes d’apprentissage, normes de vitesse d’exécution. Celles et ceux qui parviennent à se conformer aux normes seront intégrés, celles et ceux qui n’y parviennent pas seront progressivement exclus.
Ce n’est pas un scoop. Il a été mis en évidence depuis longtemps que les enfants qui provenaient de familles aisées avaient plus de facilité à intégrer des critères normatifs dans une institution ou dans une structure, ce qui expliquait également les difficultés des enfants de classes sociales plus précaires.
Mais si l’on étend ce fait aux enfants en situation de handicap, on comprend peu à peu les 60 000 enfants en Instruction En Famille.
Les enfants en situation de handicap ont comme principale problématique de ne pas être conformes aux attendus normatifs souhaités par la société en général. Et cette affirmation est hélas constamment vérifiée soit par le bâti inadapté, soit par les enseignements, soit par l’impossibilité de l’école d’accueillir ces enfants.
Les ULIS sont d’ailleurs un échec. Déjà parce que ces classes n’intègrent pas, elles mettent les enfants en situation de handicap à côté des autres enfants. Elles ne les mettent pas avec.
Ensuite parce que les savoirs ne sont pas dispensés. Les ULIS deviennent des salles d’attente pour les IME, qui deviennent des purgatoires pour les IMPRO devenant les pourvoyeurs d’usagers pour les ESAT, ou les institutions.
Si l’école a malgré tout perçu la diversité des spécificités physiques, sans pour autant utiliser ce constat pour améliorer le système, elle n’a pas du tout perçu la diversité cognitive, ou neurodiversité, écartant de fait toute possibilité d’enseigner vraiment quelque chose à des enfants autistes, dys, trisomiques, TDAH et bien d’autres.
Dès la maternelle, la quasi unanimité de ces enfants est destinée à être sacrifiée, exclue, marginalisée du champ social, professionnel, économique, culturel. Les chiffres sur le chômage, ou sur l’isolement social sont éclairants.
Une école qui ne se fonderait pas sur une égalité qui reposerait sur la norme et l’uniformité des enfants mais au contraire sur l’unicité de leur individualité n’aurait plus besoin de modèle basé sur la compétition et pourrait ainsi intégrer tout le monde. Reconnaître ces individualités, c’est mettre de côté les egos. De fait.
La troisième et dernière raison principale (car il y en a des dizaines secondaires mais importantes malgré tout) est la vision même que l’on a de l’école.
Les enseignements ont changé. Et bravo aux nombreux professeurs, malheureusement pas tous, pour cela.
Ils sont devenus ludiques, participatifs et dynamiques. Et beaucoup de professeurs affirment vouloir aller plus loin, et innover davantage. Mais ils sont confrontés à des limites matérielles, avec une architecture qui demeure fondée sur le modèle de l’école-caserne, et une administration qui ne permet nullement la construction de projets pédagogiques innovante mais qui démontre sa grande présence dans le contrôle et la surveillance des professeurs. Ces mêmes professeurs, dont il faudrait compter le temps administratif en temps de travail tant les heures consacrées à cette activité sont nombreuses.
Si les professeurs ont évolué dans leur modes d’enseignement, le système scolaire n’a pas évolué dans ses mentalités. Or, Jane Addams et John Dewey le prouvaient déjà il y a des décennies, plus les expériences pédagogiques sont variées, plus les publics touchés sont larges, plus les enfants apprennent et ce, quelle que soit la condition sociale ou intellectuelle.
Ceci acté, la formation des professeurs doit être adaptée, et nous retrouvons alors la nécessité des moyens, des meilleurs conditions de travail, des meilleurs salaires pour les professeurs et les personnels scolaires qui sont revendiqués de façon légitime.
La rigidité des normes scolaires a pris le pas sur la dynamique indispensable qu’offrirait une éthique scolaire. Celle-ci doit mobiliser l’ensemble de la communauté éducative et étayer la formation initiale et continue des enseignants.
Pour conclure, la tribune disait que pour penser l’école il fallait la panser. Il est évident que pour penser l’école il est nécessaire de placer l’enfant au centre et d’avoir une réflexion sur les causes de l’échec qui est systémique. La réflexion ne peut être l’apanage seul des professeurs. Elle doit être collective et intégrer les parents, les associations, les syndicats, mais également les enfants. Cette dynamique ne pourra alors être mise de côté par les politiques et les élus.
Une école pour tous c’est une école avec toutes et tous, sinon, c’est une illusion.
Jimmy BEHAGUE président de la Neurodiversité-France
Juliette SPERANZA conférencière et membre fondatrice de la Neurodiversité-France