De plus en plus, au sein de collectifs ou de manifestations, il existe une revendication constitutive des groupes qui se forment, quasiment ontologique qui consiste en l’affirmation de demeurer « apolitique ». D’une certaine façon, il s’exprime une volonté de ne pas être le politique, l’altérité qui déçoit, et qui expose avec justesse un ressentiment sur les actions des gouvernements précédents, des députés, des élus en général. Même les maires ne sont plus épargnés par la critique.
Mais ne pas vouloir être « comme les élus » ou soutenus par eux revient il à dire que le mouvement, le groupe, la communauté serait apolitique ?
La définition première du politique, n’est pas en premier lieu incarné par les femmes et hommes, mais demeure l’organisation des pouvoirs dans une société. Juste cela.
De fait, l’organisation des pouvoirs dans une société concerne tout secteur d’activité, tout champ d’action, et par extension toutes les composantes de la dite société.
Les composantes concernent les institutions, les entreprises, tout organisme structuré ou non structuré d’ailleurs, mais aussi chaque individu. Car dans toute société le pouvoir se définit par une répartition des prérogatives et des capacités d’expression et d’action aussi infime soit cette expression ou l’action dont on est responsables.
En France spécifiquement, nous sommes citoyens, et être citoyen confère une prérogative politique, une capacité d’expression et d’action sur l’organisation des pouvoirs dans notre société.
Cette prérogative est constituée de modes d’actions divers tels que le vote, la droit d ‘association, de manifester, de s’exprimer, de se syndiquer, de faire grève, d’adhérer à un parti politique, de construire un collectif et plus fondamentalement, d’être souverain. In fine dès votre naissance au sein de votre famille, de votre école, de votre classe, de votre communauté sociale, vous avez un rôle politique. Et c’est encore plus vrai quand vous manifestez pour des revendications sociales, fondamentales en termes de droit, éthiques, écologiques, et que vous souhaitez changer l’ordre des choses. L’ordre des choses c’est précisément l’organisation des pouvoirs, afin de réhabiliter une action par des moyens, des finalités nouvelles.
Aussi, quelle que soit votre initiative, si elle se résume à une conversation dans un bar, ou si elle s’étend à une participation à une manifestation est une expression politique. Et même s’il demeure des inégalités sociales inacceptables, que tout le monde ne peut s’exprimer de la même manière, chacun possède un rôle politique.
Parallèlement à cela, vous êtes également un être social, vous n’êtes pas uniquement un individu défini par une biologie et une métaphysique, vous êtes également un être social en construction continuelle, se fondant sur des interactions avec d’autres personnes, avec d’autres communautés que la vôtre, au sein de votre propre communauté, de votre famille etc.
Cette construction d’être social est celle-là même qui vous procure la possibilité de créer une action de revendication, de manifestation, ou la tenue d’un argumentaire sur ce qu’il se passe dans la société et ce que vous pensez de celle-ci et c’est alors cette construction sociale qui vous donne le moyen et la capacité de générer une action politique et ce quelle qu’en soit la portée, l’importance, la finalité, ou l’utilité que vous souhaitez lui conférer.
Il est donc dommageable de se dire apolitique. Pour tout collectif ou toute personne qui alors, considère que son discours, ses moyens, ses modes de manifestations n’ont pas comme finalité de changer les choses, de réorganiser les pouvoirs, et donc les droits et libertés.
C’est en son propre sein considérer que cela n’ira pas plus loin que le propos en soi, qui se perdra alors dans des choses sans conséquences positives ou négatives, sans utilité. Si comme Machiavel l’on considère que le conflit argumenté est constitutif de davantage de pouvoir politique et de capacité à agir, alors refuser le prisme politique d’une action sociale conduit à refuser de pouvoir agir davantage.
C’est agir, sans être acteur, participer sans prendre part, vouloir sans reconnaître, apparaître sans possibilité d’exister. C’est se refuser à exister, s’empêcher.
Refuser d’être l’animal politique décrit par Aristote c’est faire sécession avec ses propres aspirations, et par conséquent refuser d’être citoyen, refuser son droit de changer les choses, de légitimer la communauté sociale en accord avec vous, refuser de pouvoir en refusant le pouvoir. Il est également dommageable pour la société que les modes d’expression expriment cet apolitisme, car une société sans politique, ans citoyens, est une société sclérosée, décadente, figé dans son actualité, sans aucune finalité.
Le renouveau de la démocratie passe au contraire, comme le démontre John Dewey, par une réappropriation de l’espace public par les citoyens, et donc par des personnes qui revendiquent leur responsabilité politique, leur implication et leur volonté de changer l’ordre des choses. La plus grande révolution est toujours citoyenne, et elle demeure toujours politique.
Mais cet espace public ne peut perdurer sans un débat public fécond, et une confiance en un système fondé sur la représentativité, et qui place, la légitimité sur cette confiance. Or nous sommes désormais dans une société où la défiance est omniprésente et la norme dans la remise en cause de ce qui est acquis. C'est ce qui empêche tout optimisme quant à la capacité de notre société à préserver son mode de fonctionnement avec efficience.