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Billet de blog 11 février 2025

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La loi de 2005 sur le handicap, l’illusion de la justice

Ce 11 février est le 20e anniversaire de la loi de 2005 sur l'égalité des droits et des chances, traitant des droits des personnes en situation de handicap. C'est l'occasion de préciser certaines choses sur cette loi érigée en modèle alors qu'elle demeure une partie du problème.

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Il existe en France 12 millions de personnes directement concernées par le handicap et nous dépassons 20 millions de personnes avec celles qui sont concernées indirectement (aidants).

Toutes ces personnes sont assujetties à un cadre légal empli de centaines de dispositifs créés selon un objectif officiel d’adapter la société aux besoins des personnes.

Dans le corps de ces lois, il existe des mesures sociales ainsi qu’un accès à des structures et protocoles médicaux avec une finalité prétendue de permettre aux personnes handicapées de vivre dignement.

La plus célèbre loi, celle de 2005 est d’ailleurs un maelström complexe de mesures sur plusieurs domaines et secteurs sociaux, légaux et médicaux dans le but d’enrayer la discrimination systémique donc sont victimes les personnes en situation de handicap. Aussi nous pouvons y lire des articles sur les ressources des personnes handicapées, des dispositions pour faciliter l’accessibilité, pour définir l’inclusion scolaire, et proposer des axes pour des politiques de santé et de soins.

Toutes les lois en France concernant le handicap, absolument toutes, reposent sur une philosophie particulière qui est celle de la compensation des besoins. Par philosophie, j’entends ici, un ensemble de principes moraux, politiques, culturels articulés en vue d’une même fin. La compensation des besoins serait la ligne directrice pour annihiler les discriminations et permettre aux personnes handicapées de participer à la vie de la Cité de manière autonome.

Cette pensée, repose sur plusieurs erreurs morales, logiques, et politiques. Je vais tenter de fait de les préciser en m’appuyant pour l’exemple sur des articles de la loi de 2005, car elle est un archétype de ce qui ne va pas alors que paradoxalement elle est érigée en modèle par beaucoup de monde en France.

Un problème moral

Tout d’abord il convient de s’interroger sur le bien fondé de faire une loi pour une catégorie de population qui est précisément catégorisée selon leur condition et, il faut bien le dire selon le qualifiant naturaliste qu’on leur impose. Car oui, le handicap est un concept qui a pour fonction, pour la société, de qualifier des personnes en leur imposant une nature qui serait différente de celle standard. Pour le décrire schématiquement, le concept d’homme ou de femme étant institué selon des référentiels physiques et psychologiques normatifs, alors ce qui n’y est pas intégré est placé dans une catégorie annexe qualifiante : les handicapés.

Est handicapé ce qui ne peut être inclus dans le référentiel standard de l’idée que l’on se fait d’un homme ou d’une femme. Contrairement à ce qu’on pense et à ce que peut laisser penser l’origine du mot « handicap » ce terme ne sert pas à pointer des problématiques que subiraient certaines personnes, mais à qualifier ces personnes pour en faire une catégorie « autre », « anormative », « anormale » afin de pouvoir systématiser leur reconnaissance dans des référentiels qui leur seraient propres. De fait, alors que l’on entend, à l’envi, des discours dénonçant le communautarisme, nous avons ici une démarche de la société pour communautariser des individus afin de les définir socialement et ce, selon des critères ontologiques. En effet, c’est une communauté hétérogène dont les individus sont réunis à la seule condition de leurs différences avec les standards. Parce qu’ils sont différents, ils sont à part. Nous pouvons par conséquent interroger la cohérence d’une société fondée juridiquement sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, qui participe à la conception philosophique de l’Universalisme de notre société qui crée des paradigmes normatifs de segmentation de la Grande Communauté des Citoyens en deux sous-ensembles : les handicapés et les citoyens normaux. La loi de 2005 repose donc sur un droit naturel qui considère que le handicap ne fait pas partie des règles naturelles et que les personnes handicapées ne sont pas incluses dans un même état de nature. Il y a donc un paradoxe légal et philosophique à considérer les Droits de l’Homme, droit naturel subjectif, prônant l’égalité comme norme sociale pour toutes et tous, et une loi de 2005 qui s’en émancipe pour catégoriser ce qui est de l’ordre de la nature et ce qui en est exclu et ce au prétexte d’un progrès social.

Allons dès maintenant au coeur du sujet.

Dès l’article premier, la problématique est évidente. En effet l’article premier expose la représentation des personnes handicapées lors de situations instaurant une réflexion sur les droits des personnes concernées en intégrant le principe d’une sollicitation égale d’associations de personnes concernées et d’associations gérant des établissements médico-sociaux.

Ce que l’on a considéré à l’époque comme un progrès pour la reconnaissance de l’autodétermination fut en réalité l’institutionnalisation définitive d’un médico-social comme référent sur des questions de droits. Ces droits seront d’une importance fondamentale car il y est question de liberté, d’autonomie, de consentement, d’égalité.

Cette loi permît de fait de conditionner ces droits à une analyse médicale. Du moins de renforcer cette mise sous condition.

L’article trois insiste et surenchérit en associant dans la conférence nationale sur le handicap, les associations représentatives, le médico-social, les organisations syndicales des organismes concernés, mais ne mentionne jamais les personnes handicapées elles-mêmes comme actrices de cette conférence. Ou a minima, d’une possibilité pour les personnes handicapées de désigner démocratiquement leurs représentants. Il est donc question de nos droits, sans nous. De plus, en 2005, un certain nombre de personnes handicapées n’avait pas le droit de voter ou ce droit était soumis au verdict d’un Juge des Affaires familiales. Cela changea en 2018 sur décision du président Macron, mais le Code électoral n’étant pas modifié, la situation reste en pratique identique comme le démontra Cyril Desjeux dans son ouvrage « Vote et Handicaps ».

Il serait possible d’énumérer chaque article, il y en a soixante-six, et d’y démontrer l’affirmation selon laquelle cette loi de 2005 est davantage un problème qu’une solution pour les personnes handicapées. Cette loi consacre les ESAT où les travailleurs handicapés sont en fait des usagers payés en deçà du SMIC, consacre les établissements médico-sociaux comme solution de scolarité ce qu’ils ne sont pas, consacre le handicap comme un concept médical qui aurait des retentissements sociaux et économiques au lieu de considérer avant tout le handicap comme un concept social sur la simple considération d’un impératif pathologique sur la condition humaine. L’on peut renvoyer à Canguilhem et son ouvrage traitant du normal et du pathologique sur ce sujet. Et c’est l’un des deux problèmes principaux de cette loi de 2005 : considérer le handicap comme un concept médical avec des conséquences sociales et devoir y apporter une compensation tant médicale que sociale. Une compensation des besoins. Nous pourrions collectivement nous interroger sur cette notion car, finalement, on ne l’applique qu’à certains publics dont les personnes en situation de handicap. Pourtant des personnes dorment dehors et l’on ne compense pas leur besoin de logement, des familles ne peuvent prendre trois repas par jour et on ne compense pas leur besoin de se nourrir, des personnes n’ont pas de travail et on ne compense pas leur besoin d’emploi, et beaucoup de personnes sont pauvres et on ne compense pas leur besoin d’argent ou du moins pas de manière à les empêcher de rester pauvres. Du reste, on ne compense finalement pas non plus les besoins des personnes en situation de handicap, on compense ce qu’on pense être leurs besoins. Charlotte Puiseux dans « De chair et de fer » raconte avec une grande finesse à quel point la société voulait remettre droit son corps différent, rectifier au prix de douleurs atroces ce qui était hors normes sans apport quelconque pour sa santé. Cette compensation des besoins est donc ce que la société a établi comme normalisation des situations anormales des personnes dites invalides. Mais comme il est souvent dit par les personnes concernées, nous sommes davantage invalidées qu’invalides.

Ensuite pourquoi uniquement compenser les besoins ? Pourquoi cet objectif ? Compenser les besoins permet-il une vie épanouissante ? Et n’avons-nous besoin de rien avec une rémunération en dessous du SMIC et une AAH en dessous du seuil de pauvreté, des logements inaccessibles, un espace public inatteignable, des transports qui ne nous transportent pas, et un stigmate qui ne nous définit que par le prisme du regard d’autrui ?

Le second problème de cette loi est qu’elle est une longue liste à la Prévert de dispositifs et de pétitions de principes qui ne sont appliqués que si cela présente un intérêt pour la société et rien ne permet de sanctionner les acteurs coupables de ne pas appliquer la loi.
De fait cette loi est un vœu pieux qui n’est finalement même pas celui des personnes concernées et elle est désormais défendue par les politiques qui en font une finalité des politiques publiques bien charitables à notre endroit, les associations qui ont un intérêt politique et parfois financier à continuer de défendre cette loi et qui sont majoritairement composées de personnes représentant les personnes concernées et non des personnes concernées elles-mêmes.

Toute loi reposant sur la notion de handicap passera à côté de son objet et de son public. Nous avons des particularités qui en effet peuvent être des difficultés, mais elles le sont d’autant plus si la société est totalement inadaptée ; ce n’est pas en clivant la population entre les valides d’un côté et les invalides de l’autre que nos droits seront respectés. Car c’est la définition même du validisme de catégoriser de cette façon et de placer une hiérarchie des normes nous installant de force hors des normes. Comment penser l’universalisme et donc l’accès aux droits pour toute et tous de manière effective en nous plaçant hors du cadre normatif et en produisant des normes qui nous excluent ? Comment penser mériter ces droits si l’on est considérés invalides c’est-à-dire pas valable, pas capable ? Et comment penser que la société nous considère autrement que comme elle nous définit ?

Cette loi de 2005 s’inscrit dans cette tradition et ne repose que sur un modèle de charité. Or ce principe de charité empêche l’expression des personnes concernées à revendiquer leurs propres besoins et énoncer les principes qui régiraient leur accès aux droits. Par conséquent, cela empêche des libertés et des pratiques réelles de ces droits. La loi de 2005 est une grande loi sur le handicap mais ce n’est pas une grande loi pour les personnes en situation de handicap. Elle est d’ailleurs contraire aux textes européens et ceux de l’ONU. Notre premier besoin est le respect de notre autodétermination.

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