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Billet de blog 13 octobre 2024

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Ce que signifie la revendication d'être « apolitique » aujourd'hui

L'apolitisme actuel repose sur un malentendu, une définition et conception erronée du politique. Il n’existe pas de neutralité politique ou d’apolitisme. Il existe le rejet des partis, le rejet du système politique, la peur d’être instrumentalisé, mais pas le rejet du politique. Petit tour d'horizon des contradictions on ne peut plus politiques de cette revendication.

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« Apolitique » : depuis les Gilets jaunes, cette notion revient souvent. Que traduit-elle et que révèle-t-elle du rapport supposé au politique dans notre société ? Un petit texte pour apercevoir une part importante du débat public que l’on méconnaît parfois et aborder certaines caractéristiques fondamentales.

C’était, avant la crise des Gilets Jaunes, un mot utilisé un peu négligemment pour exprimer l’idée que l’on était au dessus de la politique, peu intéressé par elle, et surtout totalement indifférent aux partis politiques. Cela restait malgré tout un concept relativement anonyme. Dire cela, c’est affirmer quelque chose de relativement vrai mais qui oublie certaines notions historiques de l’apolitisme.

L’apolitisme est une idéologie que l’on peut déjà percevoir chez les Épicuriens qui considéraient comme pertinent philosophiquement de prendre de la distance avec les affaires de la Cité et ses diverses péripéties. Cela permettait une meilleure observation et une analyse plus fine ainsi qu’une capacité à éviter la souffrance. Il n’est pas question précisément d’apolitisme chez les Épicuriens mais de distance et de refus de participer à la chose publique. Mais il n’empêche que cette démarche philosophique demeurait une position politique visant à atteindre le bonheur.

L’apolitisme moderne est concomitant à la montée de l’abstention dans les démocraties occidentales et elle n’a que peu à voir avec une position philosophique. Mais contrairement à ce que l’on entend de la part des experts dans les médias, l’apolitisme est pluriel. Si la défiance envers les dirigeants est une cause importante elle n’est pas la seule et les motivations à se définir comme apolitiques sont diverses.

Lors de la crise des Gilets Jaunes, la revendication d’apolitisme provenait de plusieurs facteurs, eux-mêmes assez complexes à distinguer. Le premier était de ne pas voir la Cause récupérée et instrumentalisée par les partis politiques mais également par les corps intermédiaires. De façon assez intuitive, les Gilets Jaunes ont considéré que pour récupérer leur pouvoir, il était primordial d’éviter que ceux qui le détiennent habituellement leur confisquent à nouveau.

Il ne fallait par conséquent aucune accointance idéologique créant des passerelles non souhaitées. Cela permet d’ouvrir une précision à l’endroit des partis politiques car cette observation indique que ces partis ne sont plus considérés par les citoyens comme des moyens de transmettre au sein du débat parlementaire ou exécutif leurs aspirations mais également que les partis ne sont plus des structures auxquelles on pourrait faire confiance.

Traditionnellement, les collectifs n’aspiraient qu’à ce que soient repris leurs revendications afin qu’elles soient concrétisées dans une action parlementaire ou que le gouvernement en tienne compte. Les Gilets Jaunes ont souhaité l’inverse et en se déclarant apolitiques, c’était aussi une façon de se saisir directement du pouvoir. De fait la démocratie représentative semble en crise car les représentants échoueraient à représenter fidèlement les aspirations des citoyennes et citoyens. Et le paradoxe est intéressant : pour détenir le pouvoir politique il semblait nécessaire de se déclarer apolitiques.

L’apolitisme reposait sur un autre principe : rejeter les idéologies. En ne s’associant à aucun système d’idées qui aurait pu cliver, corrompre ou altérer un message concret et pragmatique. L’apolitisme chez les Gilets Jaunes était aussi une façon de réduire les choses à ce qu’elles sont, des conditions matérielles d’existence, des conditions de vie quotidienne et les exclure du champ politique pour qu’elles soient prises au sérieux.

Le politique serait alors quelque chose de totalement futile ou dépourvu de sérieux. De gravité. Cela rappelle d’une certaine manière une banderille de Coluche qui lors de sa présentation de candidature à la présidentielle déclarait qu’il se présentait pour piquer le boulot des politiciens puisqu’eux mêmes lui piquaient son boulot de clown.

Cela peut être aussi une indication. Pointer les politiciens comme ne faisant pas partie du même monde, établir une frontière entre les citoyens et eux, institue l’idée qu’ils ne sont plus décisionnaires, qu’ils ne sont plus représentants et que le politique a échoué.

Mais toutes ces affirmations, aussi logiques soient-elles reposent sur une définition erronée du politique. En effet, restreindre le politique aux partis, aux corps intermédiaires, aux institutions de l’État est fallacieux mais également dangereux à plus d’un titre. Car en créant artificiellement une telle séparation, les personnes apolitiques revendiquent l’idée selon laquelle le pouvoir politique est hors de portée et appartient à une caste hors de la société. Si dans les faits on peut observer un phénomène de caste ce n’est pas la résultante des institutions mais d’un conflit de classes sociales où les dominants, dominent. Si cela peut être facilité par les institutions elles-mêmes, ce ne sont pas elles qui sont visées mais leurs incarnations. Penser le politique hors de l’espace public consiste à le penser inaccessible. Or le principe est de se réapproprier le politique et donc l’établir comme ce qu’il est : l’organisation des pouvoirs et des relations dans la société.

Revendiquer son apolitisme, c’est également s’exclure de cette définition ce qui a produit un paradoxe étrange chez les Gilets Jaunes : revendiquer un pouvoir de décision en excluant le politique soit précisément la possibilité de participer à structurer les pouvoirs. C’est également s’exclure de la chose publique puisqu’il s’agit ni plus ni moins de renoncer à la part politique de la notion de citoyenneté. Il n’y a guère de doute sur la conception erronée du politique dans l’opinion.

Et cette confusion est similaire chez les personnes revendiquant être apolitiques en général. Par la croyance, fausse, d’être dépourvue de toute idéologie, il y a un rejet méconnu et involontaire de tous les principes qui garantissent leurs libertés individuelles et qui déterminent leurs droits.

L’exemple des Gilets Jaunes n’est cependant pas suffisant. Il en existe d’autres. Prenons la communauté des zététiciens ou de l’Esprit critique plus globalement qui est finalement assez éloignée du premier exemple et qu’on pourrait rapprocher de la position des Épicuriens. Cependant le rapprochement est fallacieux et le débat entre ceux qui affirment un positionnement politique et ceux qui s’en défendent, les arguments sont assez classiques et habituels. Et reposent également sur deux principes pour les seconds :

– Le préjugé de considérer qu’ils sont imperméables aux croyances et par extension aux systèmes de croyance.

– La croyance ironiquement qu’ils atteindront une vraie objectivité.

Seulement se dire apolitique, est un positionnement politique. C’est faire sécession avec la participation à l’espace public, de façon contradictoire puisque c’est une revendication et donc une participation à l’expression publique. Et cette revendication repose sur la croyance que l’apolitisme vaut mieux que le reste.

D’aucuns, voyant l’écueil, ont argué de faire preuve de neutralité politique mais c’est également faire fi que la neutralité est elle-même une prise de position politique. De fait rejeter le politique ou s’en exonérer c’est finalement revendiquer des droits, des libertés, qui s’inscrivent pleinement dans le champ politique. L’esprit critique, ou critical thinking est d’ailleurs un outil politique puisqu’il va permettre de structurer le système scolaire ou les modes d’éducation.

Quand John Dewey publie Comment nous pensons, véritable livre fondateur de l’esprit critique, il y développe une pensée politique autour d’un modèle d’éducation participant à la construction d’une démocratie éclairée. Il en va de même pour les Lumières, ou Kant. L’esprit critique n’a jamais été la pensée experte, ou le refus de s’exprimer sur le politique mais simplement de considérer ce qui est faux, ce qui est valide et de s’en tenir à ce qui semble valide pour construire un propos ou produire une réflexion. Et ce, comme le décrivait Dewey grâce à l’enquête. Et considérer comme cela peut être dit, que l’on peut s’exprimer sur des sujets politiques parce que l’on n’en posséderait pas l’expertise est un contresens total avec la vie en démocratie et avec le principe même de l’égalité citoyenne.

Les personnes apolitiques sont connues comme telles car elles le clament. Et à l‘instar des Gilets Jaunes ce sont celles qui luttent avec le plus de ferveur. Or une lutte apolitique est un oxymore. On ne peut lutter au sein de l’espace public, lutter pour des droits, lutter contre des dérives, lutter contre des extrêmes et prétendre faire sécession avec l’actualité de la société, avec ce qui la constitue. Et finalement porter une analyse critique sur des phénomènes ou des principes qui structurent la société et le système qui la constitue induit nécessairement une position politique. Selon la radicalité on peut même penser qu’il s’agit de positions révolutionnaires soit emplies de portée politique.

Aussi il n’existe pas de neutralité politique ou d’apolitisme. Il existe le rejet des partis, le rejet du système politique, le rejet des discours, la peur d’être instrumentalisé, mais pas le rejet du politique. Le rejet du politique ne peut qu’être silencieux et qualifier une indifférence totale aux affaires d’autrui. Sinon c’est une position politique qui peut être anti-système, subversive, révolutionnaire, radicale ou même modérée.

Si l’on prend un autre exemple, qui est celui des classes sociales précaires ou pauvres, l’abstention et l’apolitisme prennent leur source dans la violence subie et répétée qu’une société inflige par manque de protection sociale, économique ou de sécurité. Des principes que l’État doit respecter et qu’il ne respecte pas, provoquant une souffrance quotidienne chez des personnes qui finissent par ne plus rien attendre d’élus qui se succèdent sans n’en rien changer.

Même l’abstention est une expression, et un refus public, c’est-à-dire qui s’intègre dans l’espace public, de choisir par désintérêt ou par défiance, est une prise de position politique. De plus si cet argument peut sembler spécieux, il est illustré par le fait que les personnes abstentionnistes ne renoncent pas à leur citoyenneté et, même si c’est par défaut, dépit ou nécessité, elles jouissent de droits et libertés qui les intègrent automatiquement dans l’espace public et dans la structure politique de la société. Beaucoup veulent d’ailleurs que l’abstention soit prise en compte dans le suffrage. Et ce qui peut être frustrant lorsque l’on ne veut pas de cet automatisme d’intégration de sa décision dans l’espace public, c’est que l’on ne peut le contourner. Même si fatalement le contourner et faire totalement sécession est en soi une prise de position politique individuelle, une pensée que l’on peut retrouver chez certains auteurs anarchistes notamment.

Aussi, déclarer que l’on est apolitique parce qu’on ne se sent pas représenté par les partis n’a pas de sens, et démontre simplement que la pensée politique de la personne n’est pas représentée par les partis, non que la personne n’a pas de propos ou pensée politique.

Dire que l’on est neutre et qu’on ne choisit pas est en soi un choix. La neutralité est un choix et penser que le système actuel ne convient pas est une opinion politique.

Aussi l’apolitisme est une réponse politique à une société qui manque de diversité politique. Diversité par la reproduction sociale standardisée dans les partis, mais également un manque dans l’expression des idées ou dans la défense des droits de la majorité de la population. C’est, si l’on schématise la formule « ce sont tous les mêmes, ils ne changeront rien ».

Un dernier point concerne la confusion qui existe entre être apolitique et faire preuve d’objectivité. L’opinion que ne pas choisir entre la gauche ou la droite, entre un camp ou un autre et prôner un apolitisme au nom d’une objectivité ne fonctionne pas. Car cette affirmation repose également sur une analyse politique qui s’inscrit dans un débat qui est la défiance des citoyens ou d’une partie de la société envers les partis politiques et leurs représentativité. Un débat éminemment politique.

En conclusion, l’apolitisme est une réponse politique à une société qui possède des structures politiques qui ne considèrent pas suffisamment la pluralité et la multiplicité des besoins, des convictions, des opinions, des situations des citoyennes et des citoyens. Mais également un État qui ne garantit pas une pratique réelle de la démocratie à ces mêmes citoyens et qui pose tellement d’obstacles à une prise en compte de la parole individuelle mais également collective qu’il y a un constat de rejet, par les citoyens, de l’État et des pouvoirs qui le structurent.

Si la chose publique concerne un public restreint, et la démocratie ne rassemble pas la multiplicité des situations alors de moins en moins de personnes vont respecter ce système ou y participer. Finalement le seul apolitisme authentique, serait celui qui ne se construit pas en acte. C’est donc impossible.

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