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Billet de blog 16 décembre 2023

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Coup de philo ! Inclusion à tout prix ou inclusion sans moyen ?

Tout d’abord, l’inclusion est un devoir. Ce n’est pas un droit, ni une faveur, ni une question de charité. Dans la Constitution, l’État a le devoir d’organiser un enseignement public, gratuit et laïque. L’école est donc nécessairement inclusive, ajouter cet adjectif est un pléonasme, dans les faits c’est un oxymore.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est un débat clivant et qui perdure depuis longtemps. Ces dernières années, les antagonismes se sont renforcés et alimente des discussions souvent animées dans les ministères, chez les professionnels, les familles et les personnes concernées. C’est un sujet très animé au sein du milieu scolaire, en entreprise et plus généralement une question sociale qui revient souvent.

Ici nous allons nous concentrer sur le sujet de l’inclusion au sein de l’école.

Il est assez fréquent d’entendre des professionnels mais aussi parfois des parents et des associations de représentants déclarer que l’on ne peut inclure tout le monde et que l’inclusion à tout prix est vectrice de souffrance chez les enfants en situation de handicap.

Ce propos est repris par les syndicats de professionnels avec une force certaine depuis que le président de la République est Emmanuel Macron et qu’il est, il faut bien le reconnaître, le président qui aborde le plus le sujet. Ses différents ministres sont également celles et ceux qui ont fait preuve d’un discours volontariste pour que chaque enfant puisse aller à l’école.

Cela explique les réactions épidermiques de beaucoup de personnes considérant qu’il y a des enfants qu’on ne peut inclure dans un cursus ordinaire, et qu’il faut arrêter de prôner une inclusion à tout prix qui signifie alors que l’on force l’inclusion sur l’autel d’idées qui ne sont pas réalistes.

Un autre argument est de considérer qu’est mise en avant une inclusion à tout prix pour faire des économies sur le système spécialisé médico-social.

Un dernier argument s’articule sur la tension qui existe entre l’adaptation de l’enfant en opposition à l’adaptation de l’école. En effet il semble exister un dilemme et même une ignorance des responsabilités d’adaptation diverses.

Ces affirmations sont complétées par les professionnels notamment par des revendications sociales légitimes qui concernent leurs conditions de travail, contractuelles et salariales qui sont insuffisantes et placent les personnels dans des situations de souffrance. Les moyens ne seraient pas investis pour une reconnaissance plurielle de leurs métiers, compétences et implications.

Beaucoup de familles sont d’ailleurs tiraillées entre la volonté que leur enfant aille comme les autres à l’école, et une culpabilité à penser que leur enfant serait capable alors que beaucoup d’interlocuteurs ont présenté leur enfant comme incapable d’évoluer et qu’il s’agirait d’une souffrance inutile et illusoire de le placer en situation d’apprentissage. D’autres familles font fi de ces injonctions et persistent à souhaiter une éducation consistante pour leurs enfants en ayant pleinement conscience que le système scolaire ne sera pas adapté.

Penser que l’inclusion actuelle est une inclusion à tout prix consiste à affirmer que l’on a tout tenté, l’on a fait le maximum, mais qu’il est définitivement impossible d’accueillir tous les enfants. Il s’agit du même procédé rhétorique utilisé lorsque l’on cite Michel Rocard : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde mais elle doit y prendre sa part ». Généralement la seconde partie est réduite au silence mais cela revient au même. Ce propos a plusieurs conséquences malheureuses. La première d’entre elle est grave puisqu’il s’agit de s’exonérer de toute responsabilité et d’individualiser la responsabilité, et même pire, d’essentialiser l’échec chez l’enfant : « Écoutez on a tout tenté mais il ne peut vraiment pas continuer à venir à l’école, votre enfant n’a pas le niveau et il dérange le groupe classe, l’inclusion à tout prix ça a ses limites ».

Nous sommes nombreuses et nombreux à avoir entendu cela n’est ce pas ?

La seconde conséquence est non moins dramatique puisque ce propos induit qu’accueillir un enfant en situation de handicap à l’école n’est pas une obligation que l’école de la République aurait, que l’État aurait, que la société devrait considérer comme un impératif catégorique, mais comme une faveur, un acte de charité : « On a tout tenté, vraiment chers parents, on a fait des efforts, on a fait beaucoup de compromis, on avait vraiment envie que cela marche, mais vraiment ce n’est pas possible il ne peut être accueilli dans notre établissement, c’est pour son bien ».

La loi n’est alors plus un prérequis, ni une obligation, elle devient quelque chose d’accessoire, dont la pertinence est laissée au bon jugement de l’Education Nationale.

Pourtant cette loi est claire, et déclare que l’école doit accueillir tout le monde.

L’école peut ainsi s’exonérer de cette obligation pour le « bien de l’enfant » et développer tout un argumentaire sur l’impossibilité d’accueillir tous les enfants, forcer les choses serait une inclusion à tout prix, de même que la pensée consistant à affirmer que tout enfant doit être accueilli à l’école une illusion mauvaise pour ces enfants.

L’inclusion à tout prix est ainsi la dénonciation par une école validiste et intolérante de la croyance en ce que chaque enfant devrait pouvoir apprendre à l’école.

L’inclusion à tout prix consiste finalement à énoncer qu’affirmer que l’école peut accueillir tous les enfants est une démonstration de cruauté envers les enfants, réfléchir par idéologie et ne pas penser au bien être des enfants.

Mais si l’on analyse brièvement ce que signifie littéralement l’inclusion à tout prix, elle définit l’idée que l’on aurait mis un « pognon de dingue » dans cette inclusion. Pourtant les mêmes qui dénoncent une inclusion à tout prix en tant qu’idéologie obligeant l’école à transmettre des connaissances à tout le monde, sont les mêmes qui dénoncent le manque de moyens alloués à l’inclusion.

La contradiction est patente et révèle des incohérences sur la réflexion que l’on a en France sur l’inclusion.

Il semble nécessaire de rappeler quelques vérités.

Tout d’abord, l’inclusion est un devoir. Ce n’est pas un droit, ni une faveur, ni une question de charité. Dans la Constitution, l’État a le devoir d’organiser un enseignement public, gratuit et laïque. L’école est donc nécessairement inclusive, ajouter cet adjectif est un pléonasme, dans les faits c’est un oxymore.

J’anticipe un argument qui serait celui déclarant que l’enseignement ce n’est pas l’école et que des dispositifs autres peuvent être considérés comme un enseignement.

Ces dispositifs ne sont pas adaptés, et ne garantissent pas des apprentissages qui bénéficieraient à l’épanouissement de l’enfant, au développement de son autodétermination et de son autonomie.

Aussi ces dispositifs qui instruisent peut être, rarement, n’intègrent ni n’incluent. Ils adaptent simplement la structuration d’une ségrégation à des fins de préserver le système et les institutions : écarter les enfants qui posent des difficultés de compréhension aux établissements et aux institutions permet la préservation d’un statu quo normatif.

Déclarer que l’État procède à une inclusion à tout prix, c’est également procéder à un glissement de la responsabilité qui incombe à l’État à une essentialisation de l’enfant coupable d’une incapacité à s’adapter à un système hostile.

Les moyens ne sont pas uniquement financiers, ils sont humains, politiques, sociaux et reposent sur des principes moraux. Si l’on considère que l’école a comme devoir fondamental et structurel d’accueillir tous les enfants de façon adaptée, alors, les moyens seront adaptés à ce devoir.

Si l’on considère que c’est une faveur, que l’État peut choisir quels enfants peuvent aller à l’école, alors rien ne sera adapté.

Les professeurs ne seront pas formés et ne pourront comprendre sans un effort individuel important, les locaux ne seront pas déterminés selon des critères d’épanouissement des enfants et des personnels, les professionnels de la scolarité subiront une multitude de contraintes évitables, et la pédagogie sera sclérosante. Ce constat est proche de la situation actuelle.

Cette situation découle de la fabrique d’un échec. L’État sacrifiant l’école à des normes contraignantes et inadaptées génère une crise dans le milieu scolaire induisant une souffrance de toutes les personnes qui y travaillent, qui s’y impliquent, qui y vivent.

Cette crise a pour conséquence une défiance des parents, un conflit au sein de la communauté éducative et un jugement condamnatoire de la société.

Les enfants et les professionnels ne sont pas consultés, les parents ne sont pas consultés, et cette réduction au silence provoque une frustration qui apporte des éléments de souffrance supplémentaire à une crise que l’État alimente, et qui détermine davantage d’échecs collectifs et individuels.

En conclusion, nous assistons à une inclusion sans principe moral. L’État et le gouvernement actuel organisent une inclusion qui ne possède aucun fondement moral et politique et qui de fait ne tient pas compte des réalités et des besoins de l’école. Cela facilitera le constat que l’inclusion à tout prix ne fonctionne pas et permettra d’exclure de plus en plus d’enfants.

Une école pensée et organisée dans la tradition philosophique des Lumières, de Dewey, de Jane Addams ou de certains principes de Jacotot, structurée autour d’un modèle où l’établissement scolaire est une petite société qui apprend ensemble et qui est ouverte à tout le monde intégrant en son sein les sujets du monde et développant une pensée unique avec des moyens adaptés à chacun. Ce sont des principes facilement applicables existant dans des pays scandinaves notamment.

A l’heure où l’on pense une uniformisation par le vêtement, une méthode Singapour utilitariste, et des redoublements stigmatisants, on oublie le devoir de l’école, on oublie l’accueil du monde, et l’État industrialise la souffrance de toutes et tous. C’est ce combat que la communauté éducative, les syndicats, les politiques doivent mener, sans compromis, sans nuance. Cela sauvera les enfants, cela sauvera l’école.

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